La vue se tord alors que face à lui les corps deviennent des néons furieux - il oublie leurs formes, puisqu’ils se forment se reforment. Il oublie un instant la silhouette vivante de l’homme à ses côtés ; c’est comme s’il n’existait pas, c’est comme si un nuage de fumée s’était érigé alors il ne percevait plus rien. Seules ses mains se tenaient là, noyées dans une mer rouge ; il percevait à peine sa couleur qu’il avait tapé un message au bord de la nausée. Mais même son téléphone à moitié brisé était difficile à distinguer, et ça le saoulait de répondre à ce qu’il avait envoyé alors il l’a jeté derrière lui sans prendre garde à ce qu’il avait réellement écrit.
Autour de lui, le cri paniqué semble s’être étouffé, c’est à peine s’il l’entend. Agité il peinait à avancer  - ses pieds semblaient loin et sa chair semblait flamber à mesure qu’il l’approchait de lui, les articulations de ses doigts grinçait à mesure qu’il ouvrait et fermait le poing et pourtant, il y avait ce filet carmin qui s'étendait - comme si ses yeux ne voyait que ça.

Quand son téléphone sonne, il a des allures d’alarmes qui résonnent et percent ses tympans ; et en dégageant toute l’herbe qui s’étendait autour des draps il finit par l’attraper pour répondre : Putain je m’en tape ramène-toi ! Il grogne, mais ce n’est rien d’autre qu’un grondement de douleur (lui-même peine à comprendre qu’il s’est gravement blessé) la douleur pourtant est démultipliée - il était simplement trop camé pour s’en rendre compte. Dans cet hôtel pourri de merde, ah putain- c’est quoi ce bordel ? La voix flambe quand il fixe son téléphone entre son oreille et son épaule, vient serrer de sa main libre son doigt manquant. En face de lui, l’homme vomit un peu plus loin - il le voit à peine, il a presque oublié qu’ils étaient là et que leurs jeux dangereux les ont amenés ici. Sur sa peau nue, le sang s’écoule et l’odeur du cruor lui monte au nez - tapisse son palais d’un goût métallique. Dépêche-toi putain ! Son portable glisse pour tomber sur le matelas ; un matelas un peu miteux mais fonctionnel. Autour de lui, Miloslav peine à distinguer certaines couleurs alors que d’autres lui brûlent intensément la rétine ; il gît par terre les vêtements et le couteau (une arme franchement ridicule) maintenant les gouttes de sang. Peut-être qu’avoir l’esprit un peu plus bercé par les démons l’aiderait à se concentrer sur ce qui était réel - de toute évidence, ce qui arrivait ne l’était pas.

Il ne distingue pas grand chose mais suffisamment pour être agacé - à vrai dire, il n’y avait actuellement rien de bien agréable. Ni les lieux, ni les présences, ni le goût amer du sang qui remonte à ses narines, et pas même Stolas. Il n’a qu’à faire mine d’ignorer ce qu’il entend pour ne pas être plus agacé, alors que ses doigts s’enroulent autour de la plaie - ça ne peut pas vraiment être réel, il n’aurait pas été stupide à ce point, hein ? L’homme pas plus loin que lui, qui vomissait dans un coin enfilait rapidement ses vêtements, comme s’il ne voulait pas du tout être lié à ça. C’est à moi ça hein. Qu’il le surprend, causant un sursaut à l’homme qui avait partagé quelques minutes de sa nuit (et il aurait préféré l’oublier - il finira par l’oublier) son attention se porte sur les mots de l’homme à l’autre bout du téléphone ; et pendant un instant il réfléchit.

— Comment ça soit plus précis, j’en sais rien moi. Il a pas vraiment été regardant sur là où on l’avait emmené. En réalité, il avait simplement suivi, alors - c’était probablement un de ces hôtels qui acceptent les invités de dernière minute. On est où ? Qu’il demande, attirant l’attention de l’homme à la porte - celui-ci bégaie un nom qui n’attire pas vraiment l'attention de Milo, mais suffisamment fort pour que son interlocuteur l’entende. Ouais voilà, comme il a dit. Autour de lui, les draps se teintent de rouge et sa vue peine à se concentrer sur ce qui n’est pas rouge, c’est comme s’il s’était enfoncé dans une marée de cruor et que l’air lui manquait.
Sur ses bras, c’était comme si des mites grimpaient et lui bouffaient la chair, en commençant par l’intérieur et nerveusement - il grattait alors. Et le sang coulait sans s’arrêter, et c’était comme si ce qu’il restait de sa blessure pourrissait plus loin, mais qu’il était trop effacé pour le voir. Il se souvient avoir grogné quand la lame lui a sectionné la chair, mais il ne se souvient pas que c’était aussi douloureux quand c’est arrivé.

Heureusement que la pudeur était bien loin d’être une des priorités de Miloslav - pour ça qu’il ne bouge pas même quand l’autre se rhabille, pas même si on venait à frapper. Il avait surtout bien mieux à penser, cette plaie qui ne faisait que couler (ça n’était plus vraiment une plaie, à ce stade) et lui qui ne faisait que s’imaginer planer un peu plus. Ce n’était qu’une question de temps avant que tout ça ne soit qu’un mauvais rêve parmi tant d’autres ; en sommes, il n’attendait que Stolas pour résoudre son problème. Peut-être que ça l’aiderait à oublier ce qui était arrivé - peut-être que ça brûlerait aussi un peu moi cette douleur immense au doigt.
Quand la porte s’ouvre enfin, c’est après ce qui a semblé être une éternité ; mais Milo l’entend à peine grincer, alors que l’homme avec qui il a partagé une soirée, presque honteux d’être ainsi perçu, enfile rapidement ses vêtements pour s’en aller sans demander son reste. Et ça tombe bien, car Milo n’attendait que ça.
C’est seulement la voix de son vis-à-vis qui lui fait enfin se redresser, totalement avachi dans les draps que son propre sang avait encrassé, la peau nue elle aussi commençait à s’être tâchée du sang qui n’avait pas cessé.

— D’beaux draps tu parles, j’aurais mieux fait de rester chez moi. Son regard se lève vers le nouvel arrivant, entre ses doigts l’un est manquant et le sang embaume presque la pièce d’un cruor au goût de métal.Fais comme chez toi hein. Ses orbes fixent Frigg sur son épaule, de toute évidence c’était déjà le cas - juste histoire d’appuyer un peu sur cette évidence. Lui ne bouge pas vraiment, c’est un peu comme si sa raison lui faisait défaut, comme si le sol tremblait presque sous ses pas.

— T’as ramené ce que je t’ai demandé ? Comme si c’était le plus important, mais évidemment lui-même était bien trop inconscient pour le remarquer.

Le sachet arrive tout droit et il ne cherche pas même à l’esquiver - c’est à peine s’il l’a perçu en réalité. Autour de lui, le cruor a totalement altéré ses sens, il ne sent pas même cette douleur lacérante qui handicape toute sa main, seulement des picotements désagréable qui tourmente son esprit ; c’est comme si les Enfers s’étaient dessinés sous ses pas en grandes rives incommodantes. Tout ce qu’il trouve à faire, c’est se préparer à faire un autre joint ; il est persuadé que rien de tout ça n’est réel, parce qu’il s’est habitué à ce que la réalité se déforme sous ses yeux.
Si seulement eux étaient réels ; il semblait plus troublé d’être encore éveillé, d’ici voir le chat et de l’autre ce qui semblait être les restes ingérés de son ancien compagnon de chambre.
Et quand le monde se déforme, les mots aussi - c’était une blessure ? Elle était à peine ressentie et pourtant, elle semblait si réelle et irréelle à la fois.

— Déconne pas hein, il rit, un rire qui n’en est pas vraiment un, c’est amer et finalement ça sonne faux. Y’a qu’un moyen de soigner ce truc. Ses doigts se desserrent et il présente son doigt manquant, franchement bien coupé, l’état lamentable ; le sang transforme sa peau en muscle. Il vient chercher le sachet du bout des doigts, et peut-être que ce n’était pas le plus idéal mais pour Milo tout était suffisant, tout était si difforme et la réalité - quelle réalité ?

—Mais vas-y, prend ton fric. Il doit être par-là. Et du doigt il pointait en réalité un côté où il n’y avait rien, lui était sûr que son pantalon se situait là bas, et dans sa poche une somme suffisante d’argent. Si c’était tout ce qui lui importait, il n’attendait que de tomber plus bas encore ; peut-être qu’un jour il finirait par totalement s’effondrer.

Bientôt l’odeur indélicate et putride se mélangera au cruor et il ne ressentira plus rien, bientôt il sera totalement apathie de tout - la douleur, la résolution, le sens ; s’il devait s’assurer de dormir suffisamment pour oublier les ignominies de cette soirée, c’est fièrement qu’il consommera. Et il sait les effets presque indécents que contiennent ce sachet une fois infusé dans son sang, c’est immédiat il se sentira mourir instantanément puis il rira aux éclats, comme s’il ne s’était rien passé.
Quand la question tombe, il l’entend à peine ; tout ce qu’il a précédemment consommé force à s’éteindre ses quelques sens encore en éveil.

— De la glace ? Peut-être qu’y’a une supérette au bout d’la ruelle, j’en sais rien. Pas même conscient du manque de sens de sa réponse, ni-même conscient d’avoir compris partiellement la question - et quand il revient avec son dû et pose la question Miloslav se contente déjà de préparer de quoi le faire s’étouffer une nuit entière et peut-être même le lendemain. S’il manque de la thune c’est que cet enfoiré s’est fait plaisir, putain.. C’est stupide c’est inconscient, et lui se lève trop rapidement pour son état le sang manquant - dans ses yeux les fourmis creusent des trous c’est une nébuleuse noire très noire, et sa silhouette qui avance lentement s’effrite ; qu’est-ce qu’il cherchait déjà ?
Mais quand on parlait de ce qu’il manquait, c'était assurément dans ce lit qu’il reposait - il ne se souvenait même plus comment c’était arrivé et pourtant, son corps le savait très bien. Le plus terrible était probablement qu’il était bien trop hors de terre pour se rendre compte des marées de sang à ses pieds, des rivières de son propre sang.