Des jours qu'il partait en fermant la porte, des jours qu'il refusait de te parler. Tu avais fini par t'y faire, de passer tes journées seul et de dormir le soir sur le canapé ; de le voir rentrer avec ses potes et t'éjecter. A force de vivre ensemble sans vraiment se côtoyer, tu commençais à douter de ta propre existence. Tu ne prenais plus goût à rien - ni à ton travail ni à la vie (en général) ; angoissé par le simple fait de recevoir des messages et de te forcer à ne pas y répondre.

Ce soir là, tu es terré au fond du fauteuil, ton casque sur les oreilles. Tu avais regardé des vidéos tout l'après-midi, n'avais même pas fait l'effort de t'habiller. Pour quoi faire ? Tu ne sortais pas de toute manière - et ce n'est pas comme s'il avait la grâce de te regarder.

La porte s'ouvre brusquement, tu lèves les yeux vers lui puis te replonges dans ta vidéo, la tête dans ta main.

C'est moi.

T'as cru rêver.
Ou il t'a parlé ?

Tu ne fais pas attention, essaies de te concentrer sur la voix du mec qui hurle dans ton casque.

Ça va, tu regardes quoi ?

Hein ?

Tu hausses un sourcil, perplexe. C'est quoi son soucis ? Pourquoi est-ce qu'il redevient gentil ?

Euh... Rien.

Tu fermes l'ordi et le dévisages, un peu sur la défensive. Midas a une bière dans la main et vient de s'assoir dans le canapé. Tu sens ton coeur tambouriner dans ta poitrine. Tu agonises Ezra. La punition est enfin levée ? Tu vas pouvoir sortir ? T'autoriser à respirer, exister - le tout sans culpabiliser ?

De quoi tu parles ?

Tu détestes son petit sourire. Tu le trouves inquiétant et malsain. C'est la même expression qu'il affiche quand il sait qu'il a gagné.

J'ai couché avec Alyss.

T'es tellement sidéré que tu ne dis rien sur le coup. Tu le fixes, abasourdi.
Abattu.
Il bluff, c'est pas possible. Alyss ne coucherait jamais avec lui, elle qui prétend le détester depuis des années. Elle ne t'aurait pas trahi. Elle n'aurait pas osé.

Lui tu le sais capable de n'importe quoi.

Quoi.

Tu trembles. Tu fixes le vide, te retiens de sauter.

Tu mens, c'est faux. Tu dis ça juste pour me blesser.

Il est trop serein, ça cache quelque chose. Tu sens l'angoisse gronder dans ton ventre - Midas ne fanfaronnerait pas si ce n'était pas la vérité. Il n'a d'ailleurs, aucun avantage à mentir puisqu'il te reproche justement ce fait, et qu'il l'utilise à outrance pour justifier tout ces abus. Tu le fixes d'un air sidéré. Les mots te manquent, tu encaisses difficilement l'information ; elle te parait aussi absurde qu'elle n'est en réalité assourdissante.

Mais...

Il continue de siroter sa bière à côté de toi. Il a l'air content de lui, satisfait de t'avoir fait mal - il t'a porté le dernier coup et il est fatal. Cette fois, tu te demandes comment est-ce que tu te releveras.

Pourquoi est-ce qu'Alyss... Alyss... Avec toi ? C'est...

Qu'est-ce qu'elle était bonne.

Tu vrilles.
C'est de trop.
Tout le reste, tu pouvais l'encaisser. Mais pas elle ! Pas elle !

JE VAIS TE TUER PUTAIN !

Tu te jettes sur lui. L'ordinateur glisse sur le côté. Tu attrapes Midas par le col et le secoues dans un premier temps, lui hurles dans les oreilles.

TU MÉRITES DE CREVER JE TE DÉTESTE !

Vous basculez par terre, la bouteille de bière roule sur le sol et le contenu se renverse sur le parquet. Tu le gifles, le frappes, cherches à le bloquer sur le tapis pour ne pas qu'il se relève.
Qu'il s'effondre aussi bas qu'il a pris plaisir à venir te ramasser.

Son rire est l'humiliation suprême. Tu le détestes d'oser rire de ton malheur après avoir insidieusement provoqué. Tu perds patience, tu n'as plus aucune empathie pour cet homme abject, prêt à tout pour arriver à ses fins. Prêt à souiller ta meilleure amie juste pour te faire mal, prêt à s'en vanter juste pour te faire mal.

((C'est toi qui va lui faire mal))

Tu hurles plus fort que lui.

MAIS FERME TA GUEULE !

Tu serres la prise à son col, tenté de l'étrangler.

NON JE COMPRENDS PAS ! JE COMPRENDS PAS POURQUOI T'ES AUTANT UN CONNARD !

Rapidement, tu perds de l'élan et de la force dans tes coups. Il frappe son front contre le tien et tu recules ton buste sonné, lui donnant l'ouverture suffisante pour te retourner. Tu chiales de haine. Étouffes un sanglot lorsque ton crâne heurte le parquet. Tu te débats comme un forcené.

LACHE MOI LACHE MOI !

Tu finis par t'épuiser tout seul, laisses tomber ta tête par terre en grognant. Les larmes coulent sur tes joues à flot.

Me compare pas à toi... Je t'ai jamais trompé...

T'as le regard sombre tu lui craches avec hargne.

J'aurai du le baiser Precieux ! J'aurai du au moins l'embrasser pour qu'on soit quitte. Je te déteste... Je te déteste.

C'est pas moi que tu détestes, c'est elle. Tes yeux te brûlent. Tu fronces les sourcils, agacé qu'il pense s'en tirer en brandissant cette vérité comme un bouclier. Bien sûr - tu étais tellement concentré sur ta rage envers lui que tu as occulté, temporairement, la déception amère qui grossit peu à peu dans tes entrailles. Tu ne supportes pas qu'elle l'ait touché, qu'elle l'ait volé - elle qui se permettait sans cesse de te mettre en garde contre lui. Que croit-elle exprimer dans cette trahison ? Qu'elle avait raison ?

((Qu'elle ose seulement t'adresser la parole))

ARRÊTE !

Tu n'en peux plus.

C'est pas d'elle dont il s'agit c'est toi ! ARRETE D'ESSAYER DE M'EMBROUILLER ! Arrête de tout déformer tu me rends fou, arrête, arrête ARRÊTE !

Essoufflé, tu forces pour te redresser sur tes coudes. Ton regard n'est plus seulement bleu, il est surtout gris - s'est formé en son sein une masse nuageuse semblable à du brouillard. Embué de larmes, tes longs cils s'agitent et libèrent les perles salées qui dévalent en continu tes joues gonflées.

Je te déteste.

Affirmes-tu avec conviction.

Peut-être que je la déteste aussi, que je me déteste mais toi je te hais. Laisse-moi sortir, j'en ai assez !

Tu baisses la tête, inspires difficilement. Tu lui assènes une nouvelle gifle parce que tu crois que le bruit te ferait du bien. Il n'en est rien. Rien ne te soulage.

J'en ai assez, ça suffit...

Tu te mords la lèvre, gorgé de remords et de sanglots.

J'ai assez payé. J'ai assez payé ! Je veux que ça s'arrête, cette guerre. T'as gagné.

Non. Mais Non quoi ? Il n'a pas envie de te laisser partir mais il faudra bien. Si Simca veut te voir ; si tu dois aller t'occuper de ton cheval (depuis combien de temps tu ne lui as pas rendu visite au box ?) ; si tu dois aller à un rendez-vous. Tu contemples avec effroi la perspective de devoir ramper pour regagner sa confiance et peut-être, mériter un jour prochain de sortir à sa convenance.

Tu ne peux pas me garder ici pour toujours et tu le sais ! Tu le sais... hein ? Je deviens fou toute la journée dans cet appartement, j'ai besoin de voir mon cheval, de parler à des gens, de voir autre chose que ta sale tête !

C'est pas aujourd'hui que tu seras convaincant mais tu t'en fous, t'es à bout.
Il se relève et tu t'en branles du bordel que t'as foutu, il a qu'a ramasser et nettoyer : c'est sa merde qu'il a lui même propagé. Qu'il assume et passe la serpillère pour changer.

Tu as gagné

C'est vrai ?

Enfoiré.

Tu te recroquevilles contre le canapé, ramènes tes genoux à ton buste. Son conseil mal avisé, tu le prends comme une menace déguisé.
Les yeux encore brumeux de larmes, tu le laisses faire, dégoûté. Dégoûté de comment il présente les faits - il ne lâchera jamais l'affaire ; c'est en cela qu'il a gagné.

((Depuis le début))
Aucune chance de lutter. Tu aurais du t'excuser.

O-ouai. Je suis désolé.

Ça t'arrache la bouche parce que tu te sais plus innocent que réellement coupable. Pour que ça cesse tu es prêt à croire en une autre vérité, à remplacer la tienne par la sienne. Qu'il prenne, qu'il prenne tout et te laisse en paix !

Pour Precieux.

Tu le dévisages avec un mélange encore frais de colère et de mépris. Tu en as assez d'avoir peur de lui. Qu'est ce qu'il pourrait faire de pire ? Il te corrige avec son petit air plus malin que les autres. Tu t'autorises un instant à t'apaiser, malgré que tu sois toujours sur tes gardes. Tu veux croire à ce qu'il déclare parce que c'est plus facile que de lutter dans le vide, encore et encore.

Mais si, ça l'est !

Tu réalises que ses doigts à ta peau t'avaient manqué et ça te fait mal... ça fait mal de comprendre que tu es encore imprégné de lui, de son odeur, de son corps. Tu le détestes de te donner envie de l'aimer éperdument alors qu'il te fait tellement de mal.

Oui...

Tu baisses la tête, capitules pour cette fois parce que tu ne veux plus qu'il y en ait de prochaines.

Mais toi, tu...

Tu relèves les yeux. Tes narines frétillent sous le parfum entêtant familier qui se mêle à son musc.

c'est le
putain
de
parfum
d'alyss

Il avait pas menti.
Même sans le remettre en question - ça te force à l'admettre.

Tu schlingues.

Tu ne t'attendais pas à ce qu'il te tire jusqu'à la salle de bain, qu'il te réinvite dans votre lit, qu'il fasse comme si de rien n'était après des semaines de silence imposé. Tu écarquilles les yeux mais n'ose pas vraiment l'arrêter. Tu accueilles ses fringues sales dans tes bras et les jettes dans le panier à linge, dégouté.

Eh !

Il allume l'eau et le bruit du jet couvre aisément tes grognements et tes reproches. Tu serres les dents et te forces malgré tout de sourire. Il est fort. Tu ne peux même pas te plaindre de ses efforts.

Quel chanceux je suis.

Tu lèves les yeux au ciel. Ton coeur se serre, tu manques d'air dans cette salle de bain sans fenêtre. Tu le laisses se laver et retournes dans le salon. Tu as pris l'habitude d'emprunter les portes depuis un moment. Tu oublies presque que tu peux les traverser normalement.

Tu es pitoyable.
((il n'y a rien de divin))

ET FROTTE BIEN !

Sans attendre de réponse, tu te laisses tomber dans le canapé. Tu attrapes maladroitement ton portable, cherches en tremblant le numéro d'Alyss dans tes contacts.

Tu tapes un message ;
effaces.
En réécrit un ;
effaces.

Tu es brisé.
Tu ne reconnais pas Alyss dans ce trépas. Tu ne reconnais pas ta meilleure amie dans cette trahison. Tu ne la reconnais pas.

Et parce que c'est trop douloureux d'être incapable de pardonner, tu préfères la bloquer. Lâchement.

Au même moment, Midas sort de la douche.

Quoi ?

Comme un petit chien, tu remues la queue. A genoux sur le canapé, tu appuies ton ventre contre le dossier pour laisser pendre tes bras dans le vide.

Oui... Je préfère... S'il te plait.

Tu te surprends à étirer un sourire un peu niais. Midas est exactement comme avant - tu le détestes (au plus profond de toi) mais il reste l'homme dont tu as fini par tomber amoureux malgré tout (et malgré lui et son attitude de merde). Le voir posé et agréable est un soulagement au coeur et un poids qui s'enlève. Tu te lèves en ricanant, c'est presque risible à quel point il lui a suffit de claquer des doigts pour ne plus être décevant - pour faire le strict minimum et que tu t'en contentes.

 Et efface le numéro de Précieux, tu veux ?

Et le revoilà.
Ça n'avait pas duré longtemps, cette fausse accalmie. Tu réprimes un sanglot et renifles, les yeux fixés sur l'écran de ton rainphone. Tu essaies de mémoriser son numéro - comme si ça pouvait te servir à quelque chose.

Fais chier.

Okay.

Tu supprimes le contact et jettes ton téléphone sur le canapé, tendu.

Tu te fraies un passage pour accéder à la chambre et cherches dans ta penderie des vêtements propres. Tu retires ton pyjama, enfiles une chemise noire et froissée que tu rentres dans un pantalon.

N'importe. Ce que tu veux.

Tu as une petite mine.
Il t'appelle et tu le rejoins. Son doigt à ton menton arrive à t'arracher quelques rougeurs au niveau des joues. Les yeux, eux, sont fatigués pour avoir autant pleuré.

Une laisse, haha...

Tu le repousses sans y mettre de la force.

T'es con.

Tu grimaces. Ça recommence. Ton visage prisonnier de sa poigne, tu fronces les sourcils et poses tes mains sur son poignet pour l'enjoindre à te lâcher. Tu fais non de la tête sans le lâcher du regard. Tu détestes cette sensation d'être jugé, que rien n'est assez. Tu l'as fait putain, tu l'as fait ! Tu lui as obéis, tu as fait ce qu'il voulait - n'est-ce pas assez ? Non, ça ne l'est jamais !

Il te lâche et tu te sens comme une merde. Tu commences à avoir peur de la soirée au restaurant ; tu espères naïvement que ce n'est qu'un reproche comme ça et que ça n'aura pas d'incidence sur les heures à venir.

J'ai pleuré pour toi !

Il t'agace à essayer de te convaincre d'une fausse vérité. Il aime jouer les victimes mais le pire de tous, c'est lui.
C'est lui ou c'est toi, pour oser commettre le crime sacré de l'aimer ?

Il se dirige vers la sortie sans t'attendre, tu l'interpelles.

Eh attends !

Tu enfiles tes doc martens à l'arrache et cours dans les escaliers pour le rattraper. Une fois dehors, tu manques de vaciller. L'air frais de l'extérieur te fait un choc. Tu ne savais pas quand est-ce que tu aurais le privilège de le sentir de nouveau.

Comme il ne t'attend toujours pas, muré dans le silence, tu sprintes et manques de trébucher sur Aphrodite.

Putain !

Tu lui attrapes le bras pour marcher avec lui.

T'es chiant. C'est à moi de t'en vouloir et tu fais encore la gueule. S'il te plait, je veux qu'on se réconcilie.

Il déforme tout. Tu t'accroches à son bras pour marcher droit mais il s'entête à vouloir s'embrouiller avec toi. Tu te mords la langue, agacé. Tu n'aimes pas comment il parle de Precieux. Il te sort les argument habituels, tu le trouves culotté. Tu t'arrêtes en plein milieu de la rue pour lui tenir tête.

Mais tu vas arrêter ?! Je te trouve gonflé. Tu couches avec ma meilleure amie, juste pour me faire du mal, c'est ça hein ? Tu repeins les murs de l'appart et tu m'enfermes toute la journée depuis des jours, tu me parles plus, tu me forces à supprimer le numéro, j'obéis à tout tes désirs sans broncher mais ÇA SUFFIT TOUJOURS PAS !

Et il ose te demander ce qu'il doit faire.

Déjà, commence par arrêter de faire la gueule et de prendre la mouche pour tout et n'importe quoi. T'as dit qu'on allait au restaurant, je veux passer un vrai bon moment.

Lui dire que tu l'aimes reviendrait à le faire gagner. C'est insupportable - il obtient toujours tout ce qu'il veut de la même manière. Tu lui feras pas le plaisir de crier.

Tu peux au moins faire l'effort de lui chuchoter.
Tu attrapes son bras et te penches à son oreille, lui murmures les doux mots du je t'aime.

Il a toujours le même discours à la bouche, ça ne t'atteint pas. Il n'arrive même plus à te convaincre. Tu arques un sourcil et le toises en retour, fermé à tout reproches. Tu n'en peux plus. Tu te sens gagner du terrain, il est à deux doigts de bégayer. C'est donc ça qu'il ressent quand il assoit son pouvoir sur toi ?

Ouai, ouai je vais faire ça.

Tu reprends son bras et le suit dans sa quête hasardeuse d'un restaurant. Malgré la foule, tu sens quelques regards sur toi et ça te met mal à l'aise. Tu t'efforces d'avancer en fixant le sol et laisses Midas te guider.

Une fois devant un restaurant, Midas fait son sketch. Le serveur annonce que c'est complet et tu lui souffles.

C'est pas grave eh on va ailleurs.

Mais non.
Il veut aller là.
Sous la menace, le serveur finit par céder et vous installer à une table. Tu t'assoies et regardes autour de toi. Tu réalises que...

C'est la première fois qu'on va au restau ensemble je réalise.

D'habitude vous vous voyiez soit au bar, soit chez lui, soit chez toi. Jamais dans un cadre comme celui-ci.

Ça change.

C'est dit plus méchamment que tu ne l'aurais voulu. Tu noies le poisson dans un verre d'eau, que tu bois d'une traite.

(...)

Puis la soirée bat son plein. On vient vous servir, tu te surprends à manger plus que d'habitude. Toi qui a un appétit de souris, tu picores dans ton assiette mais n'en laisse aucune miettes.

C'est super bon.

Midas aussi a l'air de se régaler.
Tu t'autorises à te détendre un petit peu. À vos pieds, Aphrodite ronfle. Tu lui glisses discrètement un morceau de viande sous la table.

C'est cool, c'était une bonne soirée.

Mais tu ne vas pas tarder à étouffer, tu veux rentrer.