i won't be

dans le fouillis de cette nuit, winnie ne s'arrêtait pas. il courrait là où on lui disait d'aller, ne se laissait pas le temps de réfléchir plus que sur les tâches qui lui incombaient ; le temps était précieux, et alors il n'en perdait rien. il avait d'abord appelé à l'aide toustes celleux qui pouvaient sauver des vies, puis s'était fait serviteur de leurs demandes, de leurs besoins, et surtout il s'était fait saint, lui qui exauçait des vœux à la volée si cela pouvait permettre à toustes d'aller mieux. dans la cacophonie, il se refusait de s'arrêter, buté comme il l'était toujours, mais était anxieux à l'idée de croiser un-e de ses adelphes. il avait mis son téléphone sur urgences uniquement, et il sentait parfois sa poche vibrer mais il n'avait pas le temps de lire, encore moins de répondre, et alors ah peut-être là pouvait-il au moins regarder les notifications, voir qui lui avait écrit -star pascal themisto henriette ethel, des signes de vie comme des autres, ou de nouvelle vie peut-être plutôt, ah ! ce n'était pas l'endroit pour penser à cela.
alors qu'il déambulait encore, il a reconnu le long rideau de jais qu'il caressait tranquillement dans une autre vie, dans un autre temps. et, soudainement, il avait envie de courir à elle, et de mettre son nez dans ce cou-là, et de la serrer fort à défaut de lui dire combien il était heureux de la voir ici. mais il ne pouvait pas- il devait continuer- il y avait tant à faire- et ses yeux cernés ne se décollent pas de la silhouette, alors l'infirmière à ses côtés lui souffle qu'il a le droit à une pause, lui aussi. c'est vrai. il avait promis, à ethel, à themisto, à d'autres aussi, qu'il ferait attention. mais en avait-il le droit ? maintenant, ici ?
il s'abandonne dans le hall, statue qui dérange au milieu du passage. il avance, alors, dans un réflexe qu'il n'a pas choisi. il était tard, enfin tôt, enfin les deux en même temps, et dans cet instant sans heure sans minute sans seconde, il s'annonce au rythme d'autres syllabes : sinistra. il pose ses mains, doucement, là où il le peut. il a trop peur de lui faire mal, d'appuyer sur des bleus, de défaire les bandages. il regarde, de ses yeux fatigués. elle lui a déjà dit qu'elle n'allait pas mal, et il se retrouve incapable de redemander. alors il cherche la réponse.
il meurt d'envie de la prendre dans ses bras.

i won't be

sa peau est chaude. elle est chaude contre ses doigts, qu'il amène comme des caresses volatiles ; ce sont des chuchotement d'amour, dont il souhaite entourer sinistra comme on enveloppe, en hiver, les plus frileux-ses dans des grandes couvertures lourdes et chaudes. il aimerait, rien qu'avec le bout de ses doigts, tisser un abris, une maison, un chez elleux qui leur permettra de, doucement, à deux, prendre soin d'elle. il avait peur de ce qu'il se trouvait sous les bandages, il en était terrifié, et alors il se voyait déjà le dérouler peu à peu pour y appliquer onguent et crèmes, gras et gazes. il déposerait aussi un baiser sur son front. ça faisait partie de l'ordonnance.
c'est bizarre, de la voir là. c'est elle qui supervise les allongé-es, en temps normal. et, dans tout ce chaos, dans ce monde qui ne tourne pas rond, elle parle. winnie n'a pas besoin d'autre maison que sa voix. il en sourit. c'est tranquille, un peu moins grand que d'habitude, mais c'est là et alors le soleil se lève dans cette nuit étrange ; il dit : demain vient déjà.
demain vient déjà et il sera avec elle. il enveloppe ses épaules dans une pause qui ne leur est pas étrangère, mais l'habitude n'est pas celle d'aujourd'hui, alors il s'inquiète encore de lui faire mal -peut-être, pensait-il, ce n'était qu'un peu de peine pour un résultat bien plus satisfaisant. peut-être devait-elle se rappeler qu'elle était sortie du cauchemar. que la normalité l'attendait, et que c'est dans le calme de chez elle, chez elleux peut-être, qu'elle retournera bientôt.
winnie ne dit rien mais son esprit criait bien sûr, bien sûr, bien sûr ! et pourtant, il y a quelques instants, il n'était nulle part, emprisonné dans les vagues d'arrivées qui se transformaient en tsunami. bien sûr, qu'il était là-bas, winnie, auprès des gens, auprès des autres, auprès de son premier amour de toujours. sinistra ne lui en voudra pas. il n'en était pas certain. c'était une prière.
il pose son menton sur le haut des cheveux noirs. il est là. pour elle. les mots s'accumulent dans sa gorge, et pourtant il n'en dit rien. c'est le sel de la mer qui a scellé ses lèvres, et les orages à l'intérieur lui font peur aussi. winnie se retrouve n'être qu'un homme une fois de plus : apeuré de tout ce qu'il a à perdre, et surtout de tout ce que les autres ont failli se faire prendre. shhhhhht, sinistra il la balance contre lui, dans un rythme lent des valses de fin de soirée, celles où rien ne reste si ce n'est des pieds fatigués et des yeux qui ne savent que s'aimer mes adelphes vont toustes bien c'était un demi-mensonge. elle le comprendrait, pensait-il : personne ne pouvait aller bien. winnie voyait déjà, entre les pixels des messages, les bouts qu'il s'était promis de ramasser et de recoller. iels s'en relèveraient. c'était une promesse.
quand il lui renvoie son regard, il y voit des serments aussi. ses yeux étaient restés secs toute la soirée. il avait été hors de lui, se préférant utile plutôt que sanglotant, et alors qu'il s'était détaché de ses émotions, les voilà qui revenaient comme au bout d'un élastique. elles éclataient en plein dans sa tête. winnie pleure. il pleure de beaucoup de choses. moi aussi. c'est murmuré dans l'intimité de leur embrassades, dans la tendresse de leurs mouvements, dans le renouveau du jour. j'ai eu si peur. pour elle, pour ses adelphes, pour ses ami-es, pour toustes.
il embrasse son front, plusieurs fois ; passe ses doigts entre ses cheveux. il se dit : s'il était mort, elle pourrait le faire revenir. elle pourrait lui parler à nouveau. lui demander des choses inutiles comme prétexte, et le revoir encore. elle pourrait trouver la paix, sûrement, s'il le lui disait. se souviendrait-il d'elle ? probablement pas. ce n'est pas grave. il penserait toujours à lui souhaiter le bonheur. et, alors, dans un certain sens, il en était heureux. serein.
mais elle ? tu serais revenue. il l'imaginait bien, révolutionner les enfers, casser les murs métaphoriques des champs d'asphodèle -mais il ne parlait pas de cela. la vraie mort de sinistra serait une horreur sans retour. sans contact. alors il se contentait de parler de celle d'hébé -lui qui disait tant d'y faire attention, il la traitait soudainement comme si de rien n'était. c'était trop difficile. il n'arrivait à rien d'autre.

stand by me

les larmes affluent et quatre rivières se forment alors ; winnie lui aussi trouve du réconfort dans ces expiations d'eau presque sacrées -il respire doucement, se force à garder un rythme que pourrait suivre sinistra si elle faisait de lui son repère. il offrait son rivage, priant les vagues de ne jamais emmener son amante loin de ces terres-là ; maintenant que le doute était parti, il ne lui restait plus que, à lui aussi, l'espoir.
il pleure de la même image tragique, il pleure de ce qui aurait pu être, il pleure d'autres nouvelles ; il pleure pour les mort-es de la nuit, il pleure pour les vivant-es qui restent, il pleure pour les coupables et pour l'avenir qui n'aura plus jamais le goût de l'insouciance du passé. il avait dit "tu serais revenue" comme s’il ne respectait plus la mort, mais ce n'était pas de ça dont il s'agissait. c'est qu'il l'aimait trop fort.
alors, il répond je t'aime en la berçant toujours dans ses bras, en mettant son cœur en âtre contre lequel se réchauffer -un phare dans la nuit, allumé maintenant de l'évidence de sa réponse. les indécisions n'étaient plus tant l'instant lui paraissait clair, et dans cet hôpital macabre il avait pourtant envie de chanter : j'aime ! je suis amoureux !
à ces mots il n'associait qu'un seul visage.
il garde son bonheur, ne le laisse filtrer qu'à travers ses dents et quelques larmes lumineuses. il garde son bonheur, oui, le stocke juste derrière ses poumons ; il ira le chercher plus tard, quand sinistra sera à la maison et qu'il lui cuisinera ses repas, et qu'il lui tournera les pages de son livre, et qu'il lui allumera sa cigarette, et quand il fermera les volets pour lui éviter le soleil d'août, et quand il lui apportera une tisane avant de s'allonger sur ses cuisses.
ils avaient survécus. et, au-delà de cela, ils avaient grandi - ou peut-être que seul winnie avait cette impression. il a envie de répéter les mots de sinistra pour les planter dans la réalité, pour l'empêcher de se réveiller si c'était un rêve, pour faire d'elleux quelque chose de plus que survivant-es. peut-être que ce n'était pas ma mère. winnie ne se croit pas dieu, et c'est bien pour cela qu'il le dit : peut-être que parfois les choses ne sont pas divines, qu'elles ne sont que les faits de deux humain-es qui s'aiment. dès qu'il a su, il a donné sa chance à d'autres. dès qu'il a su, il a accompagné sinistra. je te crois, alors. ses mains glissent, s'installent sur la hanche et la cuisse. les emplacements sont familiers, il ne saurait pas pour le moment plus s'éloigner. j'aurai l'honneur d'être ton infirmier, peut-être. ah ! il me faudra veiller sur ma patiente. un baiser vient la couronner -une, deux, trois fois. il dérive, reste au niveau de ses cheveux. ça te dirait ? quelques jours, juste nous. la joue s'y appuie. enfin, j'imagine que tu vas avoir du travail. ce n'est pas grave. je t'attendrai à la maison. il écrivait dans l'avenir en lettres capitales.