Peut-être étaient-ce les reliquats de leurs nuits à piétiner leurs peurs aux rythmes des hymnes des saturday nights fevers ou tout simplement ce partage d'une phobie envers ces prédateurs humains qui ravageaient tout et n'épargnaient rien — Diantha aimait Dionne comme une soeur et une sainte. Elle s'extasiait de voir quelqu'un partager sa haine mais surtout son essence. Diantha n'avait rien du monstre : elle ne chassait pas, n'aimait pas le sang et réfutait la guerre, tolérait du bout de l'ongle la violence quand elle était dirigée vers ceux qu'elle voulait annihiler. Et Dionne n'avait rien d'un monstre. Elles se retrouvaient toutes deux dans cette prison qui leur servait de maison mais elles étaient si différentes de leurs geôliers. Leur essence était la même : Diantha et Dionne étaient victimes de leur vie mais jamais de leur choix. Il fallait faire l'impensable et parfois même se vendre aux criminels pour survivre : elles le comprenaient et se comprenaient comme deux soeurs. Dionne ? Je rentre. Elle l'avertit en toquant à la porte — n'en attendit aucune réponse.

Les yeux de Diantha portaient en eux une douceur nymphatique qu'elle ne réservait qu'aux siennes, car Dionne désormais était incluse dans son coeur et n'y serait jamais délogée. Viens, assieds-toi, je vais te démêler les cheveux. Elle agita les différentes brosses et peignes qu'elle avait dans la main avec un étirement gracieux de ses lèvres. Diantha prit position sur le lit et incita Dionne à s'assoir devant elle. S'attelant à sa tâche elle se mit à fredonner un air qu'elle chantait avec ses soeurs, parsemé de moments silencieux car emplis de doute : une éternité suffit à faire oublier jusqu'aux chants et poésies gravés dans ses mémoires les plus explorées. Et sans se l'avouer ni vraiment le comprendre, c'était Taygète qui reprenait forme à ce moment-là, sous les traits et la voix de Diantha. Les jardins de sa première vie étaient morts et fanés mais l'âme de ses soeurs subsistait par moment à travers Dionne. Moi aussi, ils me dégoûtent, je voulais te le dire : tu n'es pas la seule. Ils sont sauvages, sales et négligents. L'immortalité ne les assagira jamais, je crois. Ils n'ont rien appris, pire encore, ne veulent rien apprendre. C'est répugnant.
Mais je crois qu'ils ne te toucheront pas, je ne veux pas qu'ils te touchent. Nous devons rester soudées, toutes les deux, nous ne sommes pas comme eux. Oui, nous sommes différentes. Ses gestes étaient presque mécaniques mais d'un rouage sucré, avec une fragilité si subtile que Diantha semblerait se briser à chaque fois qu'elle recommençait son mouvement. Elle jouait désormais avec quelques mèches, y laissait passer ses doigts et les clairsemait en tresses, comme elle eut fait il y a de ça quatre vies déjà. Elle sentit dans sa gorge que ses cordes se nouaient mais son coeur était (pour un rare moment) en paix — assurément, pensa Diantha, Dionne a en elle un morceau d'étoile logé en son sein : c'était à travers ses iris teintées d'un souvenir qu'elle crut apercevoir l'astérisme sororal chez Dionne.
Je crois que tu ressembles à Maïa. Dans mes souvenirs, elle était aussi blonde que toi. Ou alors j'ai remodelé mes souvenirs à partir de toi, je ne sais plus.

@Dionne Zarachiou

Elles étaient marquées par la perte. Les mains du destin — de la fatalité, plutôt, avaient grattées et creusées en elles comme une galerie de rongeurs et elles ne tenaient qu'au peu de terre qu'on avait pas encore rongé. Dionne et Diantha étaient deux soeurs à qui on avait tout pris. Pourtant elle tenaient droites : sans béquille et sans tutelle ; elles se tenaient droite.

Tu ne m'étoufferas jamais. Si quelqu'un doit étouffer l'autre, ça sera moi avec mes histoires du passé. Puis elle continue de brosser, réfléchit au sentiment de manque. Oui, ses soeurs lui manquaient, c'était évident. Mais tout comme elle, elles auraient changés, elles aussi. Tout change mais Diantha demeure. Elle demeurera toujours et ne disparaîtra jamais vraiment. Elle rêve de faire partie des étoiles et d'enfin reformer l'entièreté de son être : une Pléiade. Mais ça n'est qu'un rêve — on ne l'autorise plus de rêver. Elle pense encore un petit peu et enfin empiète sur son silence, d'une voix presque enfantine : honnête. Non, pas tellement. J'étais si grande avant, et maintenant je suis petite. J'étais plus fine avant et je suis devenue une biche.
Ses cheveux auraient finis par changer. Peut-être aurait-elle été brune, aujour-
Elle ne finit pas sa phrase car ses cordes vocales lui font défaut. Diantha ne chante plus : elle se lamente. Elle pleure un passé qui était sien : mais si c'est passé, ça n'est plus vrai et ça n'est plus sien non plus ; il faut alors que le passé ne soit rien.
Je crois que c'est la mère, qui m'a appelée. Et j'ai répondu. Je cherchais un asile mais je ne le trouve pas tout à fait ici. Ils ne sont pas accueillants mais j'ai besoin d'eux — je crois qu'ils ont besoin de moi, aussi. Mais je les déteste, ça ne change rien, cette ridicule histoire de besoin

Dionne comme Maïa posait les bonnes questions. Maïa avait toujours agacé Taygète : elle ne jouait qu'avec les grandes parfois et refusait les babillages de la nymphette. Et Diantha l'entend encore la sermonner comme une canne à un cygne : il y a plus important que de danser, Taygète ou bien tu m'embêtes, je dois finir mon poème. Et l'essence de la nostalgie est d'apporter de la joie dans la tristesse, ou bien de la peine dans le bonheur ?
En tout cas, elle en était nostalgique
Je ne te quitterai pas du regard, je ne te laisserai pas partir. Je ne referai pas la même erreur. Mais il faut que tu me promettes que tu ne m'abandonneras pas. Tu as peut-être déjà perdu les tiens, une fois. Je comprends, moi aussi.
Mais tu dois me jurer sur tout ce que tu peux que tu ne me lâcheras pas, moi, d'accord ? Je ne saurais plus quoi faire, si tu n'es plus là. Elle lui prend les épaules de ses doigts fins et ses bracelets d'étain teintent à son mouvement. Il était commun d'entendre les cliquetis de ses ornements à chacun de ses balancements ; ils avaient une saveur spéciale. Celle de Diantha.

Je ne veux pas te faire peur, Dionne, pardon. Mais c'est que moi, je suis terrifiée. Tout le temps. Et te savoir, là, avec moi, ça m'ôte un peu de peur. Je ne peux plus me retrouver seule, plus jamais. Je ne saurais plus comment faire, maintenant que tu es là. Il n'y avait pourtant pas tant de dépendance entre elles : c'était l'amour qui les liait. Cette nécessité que décriait Diantha, c'était en réalité l'essence retrouvée d'un amour entre deux soeurs qui s'étaient choisies. Elle avait décidé de faire de Dionne son sang — elle souffrirait d'hémorragie (pathologique mais non létale) si on la lui enlevait.

On ne sépare pas la famille : c'est une loi sainte. C'est une injonction irrévocable, un commandement ; pourtant toutes deux s'étaient retrouvées déracinées.

@Dionne Zarachiou

C’est dans les confidences des boudoirs que se font et se défont les guerres ; Diantha le savait, elle l’avait vu. Ce boudoir-ci, n’était pas précieux. Il était rance et gris. Trop neutre pour en faire un lieu de culte — leur parole sera sanctifiée mais si elle devait s’y raconter, Diantha en changera les décors.
Mmmh ? Non, je ne sais pas, je ne la connais pas assez. Moi je pense qu’elle souffre. Les siens sont persécutés depuis toujours. Ça je le comprend trop bien.
Sa faim ? Elle me dérange. Elle n’est pas tout à fait comme nous … Je me suis demandé tu sais ? Elle avait dans la voix cette intonation des enfants qui se prouvent. Diantha n’était pas la plus fine ni la plus compétente ; elle le savait, on lui a dit. Mais elle n’était pas bête pour autant. Penser ne l’intéressait pas souvent : elle se complaisait dans la vie facile des ignorantes.

Elle est mère, c’est certain. Pourtant, je ne l’ai pas souvent vu femme. C’est intéressant, hein ? Cette distinction, entre les deux, tu ne crois pas ?
Toi et moi nous sommes femmes et nous sommes soeurs. Je ne serai jamais mère, peut-être toi le seras tu.
Mais je ne te le souhaite pas : tu es trop brillante pour te limiter. Elle avait dit tout ça d’une traite, avec les certitudes indélogeables des femmes à l’esprit sûr. C’est que Diantha même dans ses certitudes se refusaient à l’homme-savant. Il y avait des certitudes hommes — elle les détestait ; il y avait la vérité femme, indetrônable.

Ça serait merveilleux, oui ! Magnifique ! Mais tu devras m’apprendre : peut-être écris tu mal, moi je ne pourrais pas te le dire. Elle reposa la brosse et regarda son orfèvre. Elle sourit ainsi à la vue de Dionne, passe une main pleine d’affection sur sa joue. Je n’ai appris que trop tard à lire et à écrire votre langue. Tu devras m’apprendre avant de partir, je ne sais pas combien de décennies passeront avant que je retrouve une soeur comme toi.

@Dionne Zarachiou

Diantha garda pour elle-même ses observations ; mais ces pensées garderont captives un moment toutes ses idées et ses remords — elle était si convaincue que la maternité était monstre. Elle voulut balbutier une réponse, surenchérir sur ce qu'elle sait ; resta muette.
Diantha est danseuse, Diantha est joueuse : jamais dans ses itérations d'elle-même elle se fantasme mère.
Et puis c'est injuste. Tu mets au monde ta chair pour la laisser seule. C'est un caprice. Elle se tait, se croyant au delà de ses permissions. Diantha n'est pas femme de sciences — si donné qu'elle soit femme, elle est ignorante au fruit qui pousserait dans sa chair. Son abomination serait-elle biche ou nymphe ? Peut-être monstre, simplement. Sa maternité est morte avec Taygète.

Vos langues sont compliquées ! Et puis peut-être parce que je suis idiote, c'est ce qu'on me disait, parfois. Mais c'est vrai ! Je suis là depuis toujours et le langage ne cesse de changer, moi je m'y suis perdue et j'en ai eu assez. Alors j'ai arrêté de vouloir apprendre, c'était trop compliqué, ça ne m'intéressait pas.
J'ai préféré danser. Tout le monde comprend ça, partout où tu vas. Et c'est plus agréable !
Diantha avait en horreur la difficulté, elle si simple et vivante ne voulait s'alourdir de codes et de savoirs qui ne tiendraient pas sur la longueur alors qu'elle, pour toujours, demeure. Raconter parfois, si, mais à qui ? Pour me répéter encore et toujours ? Je me lasse, ils meurent trop vite.
Et comprendre ... Elle pensa un moment. La caresse de Dionne la poussa à satisfaire son désir de comprendre mais c'était au dessus de ses forces — Diantha ne savait plus. Non, je ne veux pas comprendre. J'ai déjà compris tout ce qu'il me faut. Elle sourit vivement à sa demande. Mais ta langue, je veux la connaître bien. Je veux pouvoir te parler et t'écrire pour que même quand tu n'es pas là, tu seras avec moi.


J'ai aimé, avant.
Dans mon jardin, j'ai aimé les fleurs, les arbres, les autres nymphes ... Elle avait connu la chair sans y reconnaître ses plaisirs, elle se croyait jeune. Depuis son exode, elle n'avait osé découvrir les Autres. Diantha bien souvent avait contrarié ses artistes et ses musiciens — elle avait dansé au rythme des tambours, des darboukas, des tincos, des dhyāngros mais s'évaporaient dès les dernières notes cessant de résonner. Elle pleurait son malheur et s'y réfugiait en même temps ; sous ses faux-serments et ses belles promesses, Diantha exprimait en réalité son désintérêt.
Peut-être un jour j'aimerai encore. Mais là je fuis et je ne veux pas- je ne peux pas m'arrêter.

@Dionne Zarachiou

Il y a un extase à dominer le monde, assouvir les peuples, emprisonner l'autre et l'écraser de tout son long — la domination est jubilatoire ; pourquoi s'y tuer pour l'atteindre, sinon ? Mais Diantha le reconnaissait bien, elle n'était pas hypocrite. Elle aimait jouir d'une puissance de femme, bien singulière. Sa force à elle n'était pas maternelle mais se refusait de la réduire à charnelle. Non, sa force était plus subtile car sentimentale : empathique. Elle tirait les cordes d'émotions des autres comme une harpiste virtuose, parfois pour y imposer ses desseins, d'autre juste par chaos jubilatoire.
Si elle avait été homme, elle aurait été nulle : elle n'aurait pas su guerroyer correctement pour des concours d'ego et des orgueils phalliques.
Tu sais, les demis-dieux ne sont pas les seuls à souffrir des dieux. Ils sont leur parent, mais pour les résidents de ce trou-là — elle désigna la pièce d'un geste circulaire de ses deux index, ils souffrent tout autant des dieux. Et ils n'ont aucune réelle raison de les pardonner car ils n'ont même pas de relation de parenté. Elle finit par hausser sourcil et épaule.

Dans mes prairies, j'aimais les fleurs blanches, petites et toutes fines. Elles étaient magnifiques au vent, et légèrement sucrée au palais. Mais celle que je regardais toujours c'étaient le delphinium. Je ne m'en occupais pas tout à fait non plus, tu sais, je suis une nymphe sans ancre à la nature. Je n'ai plus de jardin et je n'ai jamais eu d'arbre ou de lac auquel m'attacher. Je ne fais que vivre avec les plantes et elles vivent avec moi. Elle s'illumine à cette idée Ça serait ... merveilleux ! Diantha s'agite dans tous les sens. Dis moi laquelle, et nous partirons la chercher ! Une garde partagée, ça serait chouette, tu crois ?


@Dionne Zarachiou