Ce n'est pas la première fois qu'on le gronde, qu'on le punit, mais bien la première fois qu'on le sonne. Un coup de ceinture qu'il n'a pas vu venir. Ellair pensait qu'il ne verrait plus, même, mais en rouvrant douloureusement les yeux, il a vu rouge.
Du sang, il y en a. Il a coulé du front au menton, et a taché ses vêtements en tombant, le sol aussi. Ce même sang a cessé les réprimandes et les hurlements. L'enfant sauvage est figé, là où il se démenait comme un beau diable il n'y a même pas quelques secondes.
On l'appelle.
Et l'adulte est parti.
Ellair ne l'avait même pas remarqué.
L'enfant se tourne lentement, découvre une silhouette à l'entrée sans pouvoir l'identifier : ce sont le sang et les larmes silencieuses qui brouillent sa vue. Elles coulent sans son accord. Ses poings serrés, meurtri de l'affrontement, viennent effacer le sang et les larmes furieusement.
C'est là que la douleur lui parvient, fend son visage d'une grimace alors que l'enfant se recroqueville sous la peine.

De l'oeil intacte, il reconnait finalement Caden.
Il lui parlait pas, comme tous les autres.
Ils ne les aimaient pas, et surtout pas les balances comme Caden.
Caden, qui est à la porte juste après le drame. Le premier au courant, le premier qui voit le sang et les larmes.

- Caden.

La voix est rauque. Peut-être parce que ses mots se sont toujours fait rares, ou alors c'est la douleur qui les étouffe. La rage sinon, celle qui brille au fond de ses yeux malgré ses airs de pantin défait.
Il le fixe, poings serrés. En piteux état, mais meurtri comme il est, il frapperait encore juste rassasier sa colère, exorciser les larmes et toutes ces sensations affreuses qui fourmillent sous son visage.
Ellair s'approche, titube, et pousse faiblement Caden, marque de sa main rougie par son propre sang son vêtement.

- Tu les as appelé.

Aucune preuve.
Caden est peut etre innocent. Là, il est juste devant lui au mauvais moment.

Caden l'accuse.
Ellair ne répond premièrement que par un regard noir, droit, malgré le corps qui encaisse encore le choc, qui tremble par ci par là du coup fatal. C'est peut être les larmes réprimées, le corps qui veut lâcher, en attendant, c'est la colère qui le maintient debout. Et l'enfant ignore encore le poids des mots dont il l'accuse. Ils ne l'effraient pas. Ellair ne nie pas. Ses poings auraient continués de s'abattre malgré les supplications, les pleurs et l'absence de réaction, jusqu'à ce qu'ils le laissent tranquille pour de bon.
Ellair n'a jamais demandé à être embusqué de la sorte.
Ils l'ont cherché.

L'enfant monstre hausse ensuite les épaules : c'est de leur propre faute. Ils sont venus à quatre pour se venger de lui. Ils l'ont sous estimé, et la justice des adultes a décidé que c'est lui le coupable, qu'il mérite de saigner d'avantage.
Et Ellair ne sait pas quoi faire, de tout ce sang.

Il cesse de dévisager Caden pour essayer d'essuyer le sang de son visage, mains tremblantes, tressaillant s'il approchait de trop la plaie. Quand la balance mentionne la perte de son oeil, le monstre blessé se fige.
Ses yeux, le sain et celui qui lutte, empourpré et blessé, se relèvent vers lui. L'idée est affreuse, lointaine, jusqu'à ce qu'il le mentionne.
Sa main agrippe le col de l'autre orphelin, trouvant dans cette inquiétude la force soudaine de le tirer à lui.

- Il est toujours là ??!

Ca fourmille si fort, Ellair n'arrive pas à le savoir. Tout picote, tout brûle du côté droit de son visage. En son creux aussi, il bouillonne; c'est injuste. Il veut griffer le responsable, le mordre, mais il n'est pas encore sûr de qui. C'est la faute de l'adulte à la ceinture, c'est la faute des quatre enfants, c'est la faute de Caden.
En attendant de choisir, Ellair force le rouquin à le regarder. Sa poigne ne faiblit pas, l'autre main est prête à forcer son visage s'il ose détourner le regard, tant qu'il n'aura pas eu sa réponse.

Le seul miroir dont l'enfant dispose, Ellair le tient fermement par le col. Le reflet qu'on lui offre habituellement est teinté de crainte ou de colère, et l'enfant soutient leur regard jusqu'à ce qu'on cède en face, en chien de faïence.
C'est la première fois qu'on pose un regard innocent sur son nouveau visage. C'est nouveau, ça lui tort les tripes. L'espoir ténu de connaitre le réconfort dans ce foyer disparait peu à peu chaque jour.
Ce n'est que le premier enfant qui l'observe avec dégout. Demain, s'il a le malheur de survivre, d'autre comme lui viendront le dévisager grimaces au visage du matin au soir à jamais, c'est ce qu'il se dit.
C'est qui fait faiblir ses petites mains d'enfants, alors qu'on lui dit que l'ennemi est parti, hors de portée de son courroux.

Si Caden veut tant se libérer de sa vue, Ellair allait exaucer son vœu. Il le pousse avec force en remarquant qu'il prend son souffle, grognant de colère; cela ne le sauve pas de sa présence cependant, car Ellair vient le surplomber, les poings et la  mâchoire serrés.

- Appelle le, et- et-

Il se surprend à hoqueter, trahissant ses sanglots silencieux et les larmes mêlées au sang.

- Et je te fais pareil !

Les poings tremblent, Ellair voit flou au mieux. Regardant en contre bas, il est obligé d'essuyer les larmes furieusement. La peur se bataille avec la rage, immobilisant la menace au dessus de Caden.
Sa question tourne en boucle dans sa tête : timidement, sa main essaie de sentir du bout des doigts l'oeil, mais parvient seulement à lui tirer un couinement essoufflé de douleur.
Seul, il n'y parviendrait pas.
Et quand son regard humide retrouve celui de Caden, Ellair hésite. Caden n'a jamais été d'une grande aide, pourquoi le serait il aujourd'hui ? C'est bien lui qui l'a mis dans cette situation, alors l'enfant monstre grimace pour se retenir de lui poser la question.