Sous le contrôle du chef des Spartes, son précieux nouveau collaborateur - Cecil recouvre le droit immune de pénétrer l'arène, qui pour lui fut pendant de longues années un lieu de culte. Au-delà du temple d'Arès ; c'est dans l'étalage brut et violent que leur père reconnait les forts et accepte d'écouter les prières. Cecil n'en fut que plus accablé d'en être privé, quelques mois en arrière.

Ses pas tracent dans le sable fin l'unique chemin qui lui est destiné. Il admire l'architecture en silence, béni par le calme olympien qui règnent ironiquement sur les vestiges de leurs ancêtres. Cecil regrette parfois sa position politique ; il aimerait avoir l'occasion de briller de nouveau - être lâché comme un fauve au milieu des spectateurs. Prouver sa valeur.

Je pensais te trouver là.
Cecil ne se retourne pas. Il a reconnu la voix de celui qui l'interpelle. Les muscles de son visage se contractent et son les battements de son coeur accélèrent. S'il y a bien un sentiment sur cette planète qui lui fait peur - c'est celui que Nate van der Bauer représente. L'Amour avec un grand A ! On a déclenché des guerres en son nom, ravagé des peuples, des nations. La Beauté d'Hélène a initié celle de Troie et celle de Nate n'est plus à prétendre. Cecil se retourne et décide de l'affronter, une bonne fois pour toutes.

Mais Nate aussi lui tourne le dos. Cecil fronce les sourcils, déstabilisé par sa posture. Se serait-il avancé le second sans le voir, tapi dans l'ombre ? Cecil reprend contenance, il plisse les paupières pour chercher la faille ou le piège dans ses déclarations. Il ne croit pas en son empathie, c'est forcément une parade.

Q-quoi ?

Il glisse ses doigts à sa ceinture, frôle le manche de son épée. Sur la défensive, Cecil accuse le coup. Nate qui joue la carte du plus mature ! C'est infect. Il ose même reconnaitre ses torts. Cecil est cloué. Il ne sait plus quoi dire - il en avait rêvé plus jeune ; jusqu'à devenir incapable de rêver de quoi que ce soit d'autre que de vengeance et de violences.

Qu'est-ce qui te prend ? Tu es devenu fou ?

Il crache, le regard torve.

Si c'est de la pitié, tu peux te la garder.

Personne ne s'est jamais soucié de son état, de ce qu'il pouvait ressentir. Cecil le serpent, Cecil le fourbe, Cecil l'incarnation du mal ! Peut-être qu'il l'était bien, toutes ces appellations l'ont condamné à le rester.

J'aime dessiner, ça me détend. avoue-t-il, sur un ton plus léger mais toujours en suspens d'une potentielle agressivité.

Pour l'instant, il reste sur ses gardes. Il ne s'excusera que s'il en est contraint.

Se détendre. C'est une drôle de déclaration de guerre. Evidemment que Cecil est sur la défensive ! Il n'est pas stupide ; il sait parfaitement comment Nate le figure dans son esprit étriqué : un malade, un fou, une brute qui ne mérite ni amour ni considération. Aucun traitement de faveur pour Cecil Warren, le plus mal aimé des privilégiés.
Malgré tout, Nate ne témoigne d'aucune agressivité et Cecil, toujours aussi crispé, doit bien admettre qu'il n'est pas en danger. Ce serait un comble même de le penser, au vu de leurs récentes altercations. Depuis l'incident du Lac, Cecil s'est toujours assuré d'avoir l'ascendant sur le fils d'Aphrodite.

Hm.

Il reste debout, maitre de son environnement. Ses doigts s'éloignent lentement du manche et il laisse pendre ses bras le long de son corps, tentant d'adopter une posture détendue. Et ça ne lui sied pas. Il a l'air ridicule.

Cecil n'accueille pas le compliment que Nate lui donne. Il s'en méfie, ne peut pas s'empêcher d'y voir une forme de mépris. Mais Nate appelle à la paix et Cecil est décontenancé. Lui qui rêvait jusqu'alors de l'étrangler, pour lui montrer que la peur est dans son camp - pour prouver qu'il est le plus fort... Nate le reconnait à demi-mots et se soumet habilement, dans l'implorement digne d'une trève. Cecil ne l'avait pas anticipé. Il ne sait pas comment réagir autrement qu'en se rigidifiant, figé dans un spectre de haine éternel.

Tu te méprends sur moi. Tu me dépeins comme un meurtrier froid en quête d'une extermination totale. C'est faux et ça me blesse.

Cecil avait accepté sa nature de monstre.
Qu'est-ce que tu cherches ?

Jamais personne ne lui avait vraiment posé la question. Personne ne s'était intéressé à l'homme derrière, tapi dans l'ombre de ses pensées décadentes, l'adolescent brisé par le jugement. Cecil se renfrogne, le visage déformé par une colère brute.

Ne te fous pas de ma gueule !

Il fond vers lui, lui arrache la cigarette de la bouche pour l'écraser dans le sable. Il l'attrape ensuite par le col pour le soulever - rapprochant leurs visages.

Tu essaies de me tourner en ridicule ! Tu te moques de moi ouvertement !

Cecil repense à cette fascination qu'il avait pour lui, à l'époque ; hanté par le souvenir glaçant de son sourire, de ses lèvres. Le désir s'est mué en dégoût, et Cecil ne trouve d'apaisement qu'en les peignant usées et tuméfiées par les vers.

Je ne cherche rien. N'essaie pas de me psychanaliser avec ton poison.

Et pourtant, Cecil crève de l'intérieur - il a besoin de dire la vérité, elle lui brûle la langue.

Je te déteste tellement. Tout est tellement facile pour toi !

Face à la logique implacable et enflammée de Nate, Cecil est bien obligé de se mettre en repli. Il lâche lentement l'encolure de sa au pied du mur sans stratégie, Cecil d'être d'être incapable de reprendre le dessus. Totalement mis à nu. Nate gagne du terrain à mesure que Nate emploie des termes comme comprendre ou accepter. C'est peut-être la première fois en des années tente tant bien que mal de le comprendre. Si bien que Cecil fronce les sourcils, désarçonné. Lui-même n'a jamais ne serait-ce qu'essayé.

Pourquoi me comprendre ? Pour mieux me détruire ou me salire quand j'aurai baissé ma garde ? Il n'y avait pas besoin de public pour me calomnier à Arden. Je sais que tu lui as parlé. Et tu as dû te réjouir d'apprendre qu'elle m'avait quitté.

Et c'est parce qu'il a encore cette sombre histoire en travers de la gorge que Cecil le trouve culotté d'implorer la paix maintenant - qu'il a saccagé le jardin qu'il s'efforçait d'entretenir, à la main.

C'est bon, ça y est ! Cecil oublie les bonnes résolutions. Il se laisse envahir par un flot de haine nauséabonde ; il lui souhaite amèrement de connaitre la même peine, et il s'imagine saboter la relation qu'il entretient avec un de ses frères.

Il secoue la tête, rattrapé par Nate qui continue sa tirade. Le fait que celui-ci admette l'avoir blessé le perd de nouveau. Il oscille à la seconde entre raisonnable et détestation. Il est dépassé par ses propres émotions.

Je-

Il plisse les paupières, le dévisage pour traquer un potentiel mensonge.
Mais rien, Nate a l'air sincère.

Ne me fais pas rire...

Cecil recule d'un pas, acculé.

Tu m'as blessé, c'est vrai.

L'admettre lui arrache la gorge, c'est comme déglutir de l'acide. Il a l'air sur le point de faire un malaise.

Tu me plaisais. Et tu m'as traité de monstre alors que je te faisais suffisamment confiance. Tu m'as regardé comme si je te dégoutais. C'est toi qui est écœurant !

Nate crache une vérité brute et sans détour, sans manoeuvres ou sans engrenages. Cecil a beau s'attendre à être manipulé ; il a beau se forcer à rester hermétique et lucide, ses efforts sont vains et inutiles. Il ne peut que se laisser frapper par la magnificence avec laquelle Nate le met à terre sans user de violence. Cecil étouffe, il peine à déglutir, les yeux rivés sur le sol sableux de l'arène. Il serre ses poings sur ses cuisses, agacé de la dignité de Nate ; sa propre vulnérabilité le met ensuite en colère. Pour répondre à ses travers, Cecil ne connait que ce remède. La haine, la haine, la haine.

Mais haïr, c'est ressentir.
Et ressentir, c'est fatiguant.

Face à l'argumentation sensée et égide de paix - Cecil est décontenancé. Il n'arrive pas à alimenter la haine, il ne comprend pas non plus totalement mais essaie. C'est tout ce qui compte en cet instant, pour l'enfant d'Arès à qui on demande de poser son épée. Et Homère l'avait dit, seuls ceux qui sont capables de le faire sont aussi dignes de la porter à leurs côtés.

Je te déteste toujours, ça ne changera rien. Je te détesterai jusqu'à la fin de mes jours, qu'ils demeurent vieux ou qu'ils s'arrêtent demain.

Mais il doit bien reconnaitre qu'il a perdu ;
que ça soit hier ou aujourd'hui. Il ne sert à rien de le considérer comme un ennemi.
Cecil se tortille comme un ver, ça lui arrache la bouche ; ses traits de visage se crispent mais il finit par lâcher, au bord du rejet :

Je suis désolé.

Ses excuses paraissent sèches et vides, et pourtant Cecil veut lui-même y croire. Sans être certain de la sincérité de ses propres mots, il les prononce quand même avec une certaine énergie. Il attend et scrute la réaction de son interlocuteur, le jauge pour déterminer s'il est capable ou non d'être crédible dans cette expression. C'est étrange, Nate n'est plus vindicatif. Il semble apaisé, s'excuse en retour. Ça parait trop simple et trop lisse. Mais pour la première fois depuis le début de leur conflit, Cecil n'a plus rien à dire.

Cloué sur place, c'est l'étreinte qui l'achève. Il est tendu comme un piquet, le regard écarquillé de stupeur. La douceur de Nate, il en avait rêvé à une certaine époque. Elle lui parait lointaine. Et Cecil réalise qu'il n'aurait pas su y répondre correctement - à l'époque.

Tu-

Mais Nate met fin à la discussion.
Telle une ombre fugace, s'échappe déjà et ne laisse derrière qu'un sentiment amer ; comme si l'amour avait témoigné de sa chaleur avant de disparaitre. Cecil est vide. Il veut retrouver ce qu'il a ressenti, avide.

Alors il se lève pour le rattraper. La main qui jadis agrippait sauvagement le manche de son poignard s'en est détaché, se pose sur l'épaule de l'autre ambassadeur. Il le dévisage, sans savoir quoi dire à l'avance. Quand il ouvre la bouche, rien ne sort.

Je te hais je te hais je te hais
C'était tellement évident. Aujourd'hui, Cecil n'est plus trop sûr.

Ok, bye.

Il le lâche et le laisse partir, paupières plissées. Cecil est médusé.