Naissance À l’hôpital de New York, Hana a perdu beaucoup de sang, peut-être est-ce un penchant vicieux de mon père que de voir souffrir les femmes - oui. Je nais, éclose dans une mare poisseuse de rouge cramoisi, la bouche béante, déjà prête à crier mon existence.

4 ans Papa est mort à la guerre, m’a-t-elle répondu sans tristesse, c’est la réalité dans ses traits les plus cruels et pourtant je n’ai rien ressenti. Pleurer un mort que l’on n’a jamais connu reviendrait à épuiser des larmes qui ne tomberont jamais sur la terre fertile du deuil. Je grandis sans figure paternelle, le nom d’Arès n’a jamais été prononcé, le mensonge s'installe, l'hypocrisie prend place.

8 ans Nous étions assises dans ce petit salon morne que ma mère n’avait pas pris grande peine à décorer. La nouvelle tombe, chute qui résonne par delà les quatre murs de la pièce puis le silence. Dans la tête de l’enfant que j'étais, elle tourne en boucle, elle essaie de s’aligner à tous mes ressentiments, mes intuitions. Elle est une pièce qui s'assemble enfin dans le pêle-mêle de celle que je suis désormais.
Un contrat avait été établi entre maman et Arès. « Je vous offrirais la sécurité mais Leto doit aller dans les colonies divines », Pourquoi as-tu voulu de moi ? Est-ce par fierté ? Par cruauté de me voir atterrir dans un lieu qui, tu le savais, n’allait pas m’accueillir à bras ouverts ?

Adolescence Mes doigts tapotent le bois sombre de ma table, la classe est silencieuse, en plein examen. Je jette un œil à la fenêtre à côté de moi, le temps dehors me donne envie de quitter ce nuage anxieux qui embaume la pièce. Ma tête n’arrive pas à suivre le chemin des lettres sur ma copie, perdue, je tente de trouver une distraction dans la contemplation de la flore extérieure - beaucoup plus intéressante que ces mythes d’héros. Des bleus habillent mon visage, je sais qu’à la sortie mes demi-frères vont encore me pousser à la bagarre, Chiron me prendra à part et me punira dans un coin le temps que je me calme. Il y a une certaine catharsis à se débarrasser de la peur par la violence, un cocktail explosif qui rompt les reines du raisonnable. On ne réfléchit pas trop, ça nous libère le temps d’une claque, d’un poing, d’un coup de pied…
Pourtant, je suis toujours la seule fautive, les autres enfants d’Arès ne se font jamais prendre, je les entends parfois, se regrouper pour parler de leur prochain mauvais coup. Jamais je ne suis inclus dans l’équation. T’es pas encore assez dure, Plus tard, des paroles dont les actes ne verront jamais le jour.

20 ans Térée était petit, beaucoup plus petit que sa bouche qui, elle, grandissait au fur à mesure que les poils commençaient à pousser sur sa mâchoire. Nabot, lécheur de bottes professionnel, il était l’un des favoris de mon père. Arrogant, prétentieux, les défauts lui étaient nombreux mais qui allait les reprocher à lui, un fils d’Arès ? Qui oserait s’aventurer sur ce terrain propice aux emmerdes ? Paradoxalement, pendant toutes ces années à Nausikaa, j’avais bien suivi les conseils de ma mère, je ne provoquais pas de vagues - du moins dans ma propre âme et conscience, ce n’est pas pour me dédouaner mais je n’ai jamais harcelé de mon propre chef…où en étions-nous ? À l’histoire qui marqua le début de mon exil, non ?
Elle pourrait être résumée en trois temps assez simples, une valse récurrente : trop-plein, décharge, meurtre. Lorsque l’on passe son adolescence à chercher l’approbation de ceux que l’on a attendu toute sa vie sans le vouloir, et que celle-ci ne vient jamais, que par dessus le marché on vous ramène à une histoire matriarcale compliquée dont seule vous connaissait la véritable teneur, quel résultat aurait vous attendu ?
Térée aurait dû mettre sa langue vicieuse dans sa poche, il aurait évité de la perdre par la même occasion. Malheureusement, la sagesse n’étant pas une de ses caractéristiques principales - vous en conviendrez, il dépassa les limites de ma patience surexploitée. Le sang sur les mains, le cadavre d’un beau-parleur à mes pieds et les cris environnant qui ne me comprendront jamais.

21 ans Je suis partie. Ce jeu où l’on essaye de devenir le héros de quelqu’un m’a lassé. Mais je le vois d'en haut, dieu de la violence et de la brutalité, sourire à ma rage constante. Je lève mon majeur en son honneur.