— Mais ce n'est pas-
— Un mort Midas et sous ta responsabilité.

Le regard sévère de Chiron te dissuade de continuer. Dans ton dos, tu serres tes mains jointes. T'as la haine. Ça devait être ton heure de gloire. Tu étais né pour ce moment. Tout aurait dû bien se passer, mais ce stupide vantard de Niké avait passé l'arme à gauche et ton frère était défiguré. Le seul à être revenu globalement intact c'était toi. Loin d'être un fait d'armes, c'était une marque de honte. Jamais un leader ne revient dans un meilleur état que celui de ses subordonnés. C'était contraire au code d'honneur. C'était contraire à tout ce que tu avais toujours appris à estimer. Voilà près d'une heure que Chiron te sermonnait et que Mr. D, le regard dans la vague hochai la tête.

— Qu'as-tu à dire sur tout ceci, fils d'Arès ?

Que Cecil est un cancer, que tout est de sa faute, que Mr. D, tout divin qu'il était, devait être un sale con pour ne pas s'en rendre compte, que ce fils de Niké était un faiblard qui a payé son manque de sérieux, que tu ne devrais pas être tenu pour responsable de la faiblesse d’autrui, que ton seul regret c'est que ton frère s'en soit sorti. Tu fixes le sol, considères le scénario où tu hurles, attaque toi-même. Tu te dis que tu pourrais peut-être tuer Chiron ? Blesser Mr. D. Est-ce que ton père serait fier si tu réussissais à faire saigner un dieu ? C'est tout ce qui t'obsède. Mais à la place, droit dans ta posture de bon petit soldat, tu relèves le regard.

— J'ai manqué de rigueur, je n'ai pas pris les bonnes décisions pour protéger mes équipiers, c'est entièrement de ma faute. J'assumerai la punition, quelque qu'elle soit.

Chiron semble te jauger, mais tu sais ce vieux canasson sensible au repentir. Dans un soupir, il lance un regard à Mr. D avant d'annoncer.

— Je me doute que cette épreuve ne t'ait pas épargné non plus. Ton bungalow élira un nouveau représentant, je te souhaite de tirer les bonnes leçons de cette tragédie.

Et ce fut tout. Ce soir-là, tu as prié ton père. Pas pour lui demander pardon, non, mais pour lui promettre que tu ne laisseras plus personne traîner ton nom dans la boue.

--

Tu essuies ton premier jour en tant que déchu. Ton humeur est massacrante, tu ne parles à personne, autocentré sur ton aigreur quand tout le monde pense que tu l'es sur ta honte. Certains ont pitié, d'autres t'en veule. Tu songes que c'est un miracle si tu n'as frappé personne. Comme si ton père, béni soit-il, avait entendu ton appel de détresse, l'occasion de donner corps à ta colère se présente. Ellair, ton demi-frère, arrive. Sans un mot, ni un cri. Juste un coup suffisamment puissant pour te faire tomber. Tu lèves les yeux sur lui, une seconde interloquée. Et pour la première fois depuis ton retour de quête, tu as l'impression de sentir ton père te souffler "vas-y".

À Ellair, t'as presque envie de dire merci.

Alors qu'il arme son second coup, tu saisis son poignet pour, d'une prise, le retourner et lui faire gagner le sol à son tour. Remis sur tes appuis, en garde, tu craches sur le sol, glisse, le ton vibrant de violence.

— Me cherche pas, le caniche, parce que je ne suis pas d'humeur.

Visiblement, il n'est pas d'humeur non plus. Tu le regardes, conscient que vous allez vous battre et conscient que ni toi, ni lui, ne vous ferrait de concession. La vérité, c'est que tu méprises Ellair plus que tu ne méprises le reste de la colonie. Tu le méprises car il est le chien fidèle de Cecil. Tu le méprises pour son aveuglement et sa loyauté débordante. Peut-être que, dans le fond, tu voudrais un chien de guerre à tes pieds.

Ellair se relève, les coups pleuvent. Si tu pares, ça ne te préserve pas de la douleur. Une douleur anormale tant elle est puissante. Ce fils de chien fait usage de sa dolokinésie. Très bien.

— Si tu veux la jouer comme ça.

Tu hurles avec ton cris pour le figer et profites de ce bref répit pour le saisir par les épaules et écraser ton front contre le sien. Un crack sonore t'espère lui avoir cassé le nez, à moins que ne te soit cassé le tien. Qui sait ?

Tu le jettes au sol, autour de vous se rassemble un groupe de curieux alertés par le tumulte du combat.

— C'est quoi ton problème, le clebs ? T'viens défendre ta pute de maître, c'est ça ?

Tu ricanes. Le plaisir, enfin, de laisser libre cours à cette rage qui te bouffe depuis hier soir.

— Il t'a demandé ? Ou bien t'as pris l'initiative dans l'espoir qu'il t'autorise à le sucer ?

Tu entends quelques murmures choqués. Tu tournes autour de lui, il va se relever, ça va continuer, mais plus que le battre tu veux l'humilier.

— L'inceste c'est pas mon truc, mais tu sais, je suis pas là pour te juger. Si tu rêves de te faire trouer le cul par Cecil, libre à toi.

À l'orée de tes lèvres, tu glisses, insolent, une insulte homophobe.

— Relève-toi. Tu veux me régler mon compte, non ? Alors relève toi.

Tu ouvres les bras, comme pour l'inviter. Et quand il se met sur ses pieds tu te jettes. Qu'importe ce que tu prends, tant que toi, tu peux lui rendre.

Les coups pleuvent, résonnent en un étrange écho à ton oreille. Mais étrangement, la douleur t'importe peu. Étrangement, tu es même heureux. Tu as une raison légitime de hurler et de frapper. Si ses ongles tes griffes tu griffes aussi. Tu profites de son bras à porté de sa bouche pour le mordre au sang. Profite de ses ouvertures pour frapper encore et encore. Votre combat n'a rien de beau. Il n'y a aucune stratégie ou botte. C'est un combat de bête. Et c'est, Midas, ce que tu préfères.

— Qu'est-ce que t'en sais ? T'étais là ?

Cecil, Cecil, Cecil.
Saint Cecil.

Toujours à le croire lui. Comme-ci sa parole valait plus que la tienne. Ça t'énerve. On ne peut pas faire confiance à un Warren. Votre sang en commun devrait être une épine à son pied, non un étrier.

— Cécile murmure et toi tu gémis sale chienne. Tu te contentes de le croire, à quel point t'es en mal d'avoir un maître, mon frère ?

Tu vous retournes dans la poussière, lui assène un coup dans la mâchoire avant de te pencher, la bouche obstruée par du sang que tu lui craches sur le visage.

— Putain, comment papa doit avoir honte de toi. Avoir mis au monde un clébard... Ouaf ouaf.

T’exècre être entouré d'incapables. Et les coups reprennent. Tu ne comptes plus ceux que tu reçois et tu ne comptes plus ceux que tu donnes. Tu hurles quand il faut reprendre l'avantage mais ta gorge commence à se tordre de douleur. Tu ne pourras plus parler demain. Et soudain, la voix de Chiron résonne.

— QU'EST-CE QUI SE PASSE ICI ?!

Est-ce que ça t'arrête ? Certainement pas.

La voix de votre instructeur ne vous arrête pas. À chaque coup qu'Ellair te donne, tu hurles de rage et de douleur. Cet enfoiré a déployé sa dolokinésie et tu en payes les frais. Chaque frappe te transperce la peau, te fait mal comme si ce n'était pas un simple poing qui te marquait, mais un bloc de pierre. Dans ta hargne, tu griffes, vise son nez, vise les endroits où tu l'as déjà frappé. Puisse-t-il souffrir ! Puisses-t-il avoir quelques côtes brisées ! Tu veux le voir boiter comme un chien ce soir. Et enfin, tu sens qu'on vous sépare.

— LÂCHEZ MOI JE VAIS LE BUTER CE FILS DE PUTE

Tu sens l'étreinte de deux fils d’Héphaïstos taillé comme des bœufs. Tu secoues la tête, crache une nouvelle gerbe de sang rien que pour la provocation.

— Oh non, sale clébard c'est toi qui vas le regretter.

On t'indique de te calmer et de te taire mais t'en a rien à secouer.

— T'es tellement mort ! Il te donnera jamais ce que tu veux et quand t'auras le malheur d'exister par toi-même il te détruira pour que tu restes là à lui sucer bien salement la queue ! Tu verras !

La voix de Chiron tonne.

— SILENCE

Tu souffles, ta poitrine se soulève sous la force de tes émotions. Tu lèves le menton vers ton demi-frère.

— Il m'est tombé dessus et je me suis défendu. Tu vas assumer, le clébard ? À moins que tu sois une pute aussi lâche et perfide que ton maître ?

— SILENCE !

À croire que Chiron ne connaît que ça. Le regard rivé sur ton frère. Il faut que le centaure se place devant toi t'agrippe par le menton pour, qu'enfin, tu acceptes de ne plus le fusiller du regard.

Vous vous affrontez en silence. Si tu pouvais tuer du regard, tu le ferais. Le sage te dévisage puis se tourne vers l'autre enfant de la discorde.

— Il ne t'appartient pas d'imposer ta propre justice ou une quelconque punition, Ellair.

Le vieux centaure se place devant le jeune-demi dieu, le toisant de toute sa hauteur.

— Ce droit, ici, appartient à M. D et moi-même. Ou bien te prétends-tu plus légitime qu'un dieu pour rendre jugement ?

Il soutient son regard quelques secondes avant de faire un signe du menton pour le relâcher. On te lâche également toi aussi. Tu joues des épaules, craches sur le sol.

— Mon père, comme tu dis, ne m'en veux pas. Contrairement à toi, il connaît mon prénom.

Chiron fronce les sourcils, tu hausses les épaules.

— Vous serez tous les deux de corvée de latrines pour le reste du mois.

Tu craches de nouveau au sol et tournes des talons