the open door.

Seren ne sait plus comment il s’est retrouvé là, sur le sol sirupeux de ce petit appartement quartier Atè. mais Seren ne sait pas grand chose —n’a jamais su—, si ce n’est la sensation mordante de la pluie imprégnée dans ses vêtements et l’absence d’hostilité quand ses yeux havanes ont parcouru le visage asthénique de son hôte. ce visage au goût de réminiscences passées qu’il n’arrive plus à situer, lui brûlent pourtant la langue, et lui concèdent cette tiédeur diffuse et à la fois si coutumière.

douce comme un rêve,
bien loin des cauchemars sempiternels.

il n’a pas non plus le souvenir d’avoir eu la nécessité d’utiliser son pouvoir, la réponse était apparue rapidement, évidente, presque scandaleuse. tant qu’il s’était posé une main timorée sur le cœur. est-ce que tous les gens acceptent si facilement ? ça aurait dû l’interpeller, lui glisser l’hydre du scepticisme sous la peau. peut-être que l’indigence dérobée dans son regard avait été plus convaincante que la force de ses mots murmurés comme un embargo.
mais voilà.
Seren ne sait plus comment il s’est retrouvé là, entre les murs écaillés de ce petit appartement quartier Atè. mais il est là, face à ce matelas élimé, mouillé jusqu’aux os et l’échine courbée, des airs de cocker flanqués sur sa silhouette diaphane. c’est là qu’il couche ce soir, sur une entente aux embruns métalliques et au timbre de drachmes déposés clandestinement au creux de la main. la sienne passe dans ses mèches éparses qui retombent lâchement sur ses épaules, essuyant en même temps que la pluie les efforts de cette journée à errer dans la citadelle. un merci Elinor, soufflé tout bas à l’allure pénible, parce qu’il ne peut pas lui donner plus pour le moment, qu’il a à nouveau 13 ans, la voix scellée par les mauvais songes.
Amphitryon s’envole en lui laissant une saveur confuse dans le fond de sa gorge et le piètre espace d’une chambre déguisée en maelström. et c’est sans demander concession qu’il vient se glisser sous les draps pour y chercher un peu de chaleur, tout enroulé sur lui-même pour prévenir des menaces fabuleuses, sans se douter qu’elles ne sont pas là, dehors à s’impatienter, mais déjà bien disposées à l’attendre dans ses futures chimères. et c’est quand enfin il ferme les yeux que l’étau se resserre, le crépuscule et son épitoge pleine d’étoiles, et la genèse des premiers éclats de cristal au creux de son cou pour venir l’asphyxier.

the open door.

et si tout est si noir, si lugubre, c’est pour que rien ne le détourne de ses cauchemars.
il ne sait plus trop quand ça a recommencé. peut-être trois ou quatre ans, à l’aube de ses 18 ans. comme des vieux fantômes revenus le hanter pour le tourmenter, à y laisser la raison. pâture déjà bien entamée par les charognes fantasques de ces nuits passées à lutter pour que plus personne ne vienne l’étouffer afin de lui enlever la seule chose qu’il ait réussi à récupérer. tentatives veines, en voilà sa peine, la chaîne de ces nuits inhérente à son pied, condamné tel Sisyphe et son écueil. si au début il réussissait à omettre ces rêves acariâtres, la scène de l’imaginaire semble plus réelle aujourd’hui, lointain le souvenir de cette voix incivile et sa silhouette nébuleuse pour calmer ces affres et qu’il avait pourtant conjuré de revenir. volatilisé sans l’avertir, pénible a été le deuil de son rédempteur quand il voyait chaque nuit ses impitoyables linceuls.

l’étau se referme, implacable, autour de sa gorge pleine d’apparats que ses ongles viennent gratter pour les enluminer de stigmates empourprés. encore. l’échos répond à ses doléances silencieuses, aussi bien atonique qu’inespéré. ça a le don de le distraire de ses tourments, d’ébranler un peu l’étreinte pour reprendre son souffle. toi, exhalé entre une, deux inspirations. sous ses doigts, les gemmes se dissipent. c’est toi, il répète tout pantelant, l’axiome connoté sur le bout de la langue. son visage se défroisse assez pour qu’il puisse ouvrir les yeux. il n’y a rien que lui et le matelas pour seule compagnie au fond de ces abîmes imaginaires. je pensais pas te revoir, excessif car il ne le voit pas vraiment et ça sonne presque comme un reproche. déjà plus jeune, il avait pris l’habitude de lui répondre parfois, plus à lui qu’à d’autres, persuadé de s’adresser au fruit de ses névroses. sans égards, ni merci ni au revoir. Seren s’assoit, regarde autour de lui, mais ne voit rien, si ce n’est la dépouille sur laquelle il couche et ses jambes émaciées enroulées dans les draps. sous ses yeux, le galbe de ses mains indistinctes. pourquoi ? demande vague et pourtant lourde de sens. pourquoi t’es là ? maintenant ? t’es parti ? du coin de l'œil, les façades invisibles se rapprochent sensiblement, ses tortionnaires revenus à l’assaut. il s’affuble d’un héroïsme apocryphe, se gonfle à s’en rougeoyer la face pour intimer les inquisiteurs invisibles de le laisser tranquille, au point d’oublier qui il cherche à convaincre. lui ou cette providence inconnue qui semble avoir l’ascendant sur son propre chef ? c’est rageant, carrément humiliant. rien n’y fait, la cellule se referme et Seren doit s’avouer vaincu contre eux tous ; les bourreaux et le messie.