— Un tour à droite... Le branchement là...

Tu travailles au sol. Ça te prend. Parfois. Souvent. Le chantier avait commencé sur la table en bois, puis s'était déplacé sur le vieux clic-clac déplié dans lequel tu dors parfois, pour finir, sur le sol. De là il avait voyagé. À la lumière de la lucarne du fond, proche de la cafetière à l'opposé à droite, pour finir là, à quelques mètres de la porte. Tu fronces les sourcils, le bout de la langue sur le coin de ta bouche, concentré. Plus qu'un dernier branchement et...

La porte claque, tu sursautes, arraches le fil dans la précipitation. Tu lèves la tête, fronces les sourcils.

— Who ! Frappez nom de d- Oh, c'est toi.

Tu ne l'avais plus vu depuis quoi ? Deux ans ?

— T'as tué quelqu'un ?

C'est la première réponse qui te vient. Le connaissant, ça ne t'étonnerait même pas. Tu vas pour t'appuyer sur tes paumes, réalises que tu as encore ton fil dans la main. Tu poses le regard sur ton chantier. Fronce les sourcils, contrariés. Tu sembles hésiter, ne pas savoir quoi faire. Ta main ne sait pas si elle doit lâcher ou s'acharner à réparer. Tu grimaces, finis par poser le fil et, en tailleurs, lever ta bouille couverte d'huile de coude vers lui.

— Heu... C'était mon stylo, en fait.

Mais il n'écoute pas. Ça aussi ça ne t'étonne pas. Tu avises la porte derrière toi, t'as aucune envie de sortir, tu lui fais comprendre en grimaçant de nouveau.

— Hm, on peut pas discuter ici ? J'ai du café, un lit, un poste de radio, des tas de boulons, du calme, tu veux pas rester ici ? Non ?

T'as comme l'impression que tu vas aller te faire foutre.

Pour changer, tien.

En effet, tu vas te faire foutre. Visiblement, le temps n'a pas enclin Samael à plus d'écoute. Il t'emporte, tu te laisses dériver. C'est comme ça que tu t'en ai fait un allié et comme ça que tu as survécu. Le bon dans tout ça, c'est qu'à te laisser faire, tu finis par gagner le droit de quémander quelques faveurs. Ton ego meurtri s'en souvient très bien. Tu grimaces, débarbouillé à la vas vite, traîner hors de ton atelier que tu laisses à regret. Tu attrapes la liasse de billet glissé dans la poche de ta veste pour compter rapidement.

— Quel casino ?

Visiblement un qui fonctionne. Par Zeus, c'est une grosse somme. Tu t'arrêtes, le force à te lâcher pour remettre ton col en place et ranger ta nouvelle fortune. Tu lui fais signe du menton.

— J'ai une moto trafiquée, attends.

Tu t'éloignes pour soulever une bâche près de ton garage. Dessus une moto qui ne paye pas de mine, visiblement fruit d'un bricolage attentif. Tu n'as qu'un casque que tu prends pour toi. Tu l'enjambes, lui fait signe de monter.

— Guide-moi et explique-moi ton plan vu que visiblement j'ai pas mon mot à dire.

Tu mets le contact, le monteur gronde. Tu étires un sourire, enclenches la pédale et commences à rouler.

— C'est bien hein ? C'est fabrication maison.

Tu tournes à droite. Ah non. Ton autre droite. Tes doigts jouent habilement avec les clignotants. Tu écoutes ses indications d'une oreille, ses explications de l'autre. Tu fronces les sourcils, t'es pas bien sûr d'avoir compris.

— Je ne suis pas médecin.

Quoi que tu pourrais en être un excellent, tu penses. Pour ce qui est de la bidouille et de la précision, tu n'as pas ton égale. Si c'est de doigter dont les médecins ont besoin, tu pourrais faire des miracles. Sauf que jongler avec l'humain te met à l'aise. Tes machines, elles, ce n'est pas très grave si tu les casses. Tes machines, elles, n'appartiennent qu'à toi.

Tu as beaucoup de questions, mais tu attends que vous ailliez passé la porte de Nausikaa pour les poser. Tu as toujours un certain... Malaise, à venir dehors. Malgré toi, ton regard vient se porter dans la direction de ton ancien quartier, plein ouest. Malgré toi, ton regard vient se porter dans la direction de ton ancien quartier, plein ouest. Tu joues avec ta mâchoire, l'estomac un peu serré. Ton regard se voile brièvement alors que tu sembles sentir les effluves nauséabondes de pisse et de misère, presque entendre dans le calme de l'isthme le moteur des voitures et les bruits étouffés des gémissements des prostituées. Tu secoues la tête, Samael revient. Tu enclenches de nouveau le moteur et roules.

— Donc, c'est ton patron mais t'es pas sûr que ce soit ton patron.

Par-dessus ton épaule tu demandes.

— Il a quel âge ? Il est grand ? Tu l'as rencontré comment ? Ça doit être un sacré gaillard pour t'avoir mis en laisse. Il est aussi fou que toi ? Mince, c'est bête comme question, évidemment qu'il doit être aussi fou que toi. Tu fais quoi exactement ? Sincèrement si tu me dis que tu es devenu tueur à gages, je serais déçu. Mais rassures moi, t'es pas vraiment tueur à gages, hein ?

— Bon, j'vois, tu préfères garder le mystère... Bien. Bien. Bien. Bien.

Tu es un peu mal à l'aise. À mesure que tu roules sous les indications de Samael, tu sens ton estomac se tordre et l'angoisse te nouer la gorge. Tu as l'étrange présentement de te jeter dans la gueule du loup. Tu n'as jamais été un grand aventurier, tu ne l'apprécies que lorsqu'un dos large et musclé te barre la vue. Finalement, vous finissez par arriver. Tu coupes le moteur et mets pied à terre. Ton regard se lève vers la façade du Danaé. Et c'est là, seulement là, que Samael se met à parler.

Il a 37 ans. Il fait 1m87. En jouant au poker. Il l’est. J’obéis.

Tu clignes des yeux et mets quelques secondes avant de pouvoir donner un semblant d'ordre et de logique à ses mots.

— Donc il est fou.

Tu presses tes lèvres l'une contre l'autre, laisses ta bouche se tordre à droite, puis à gauche, tu te concentres sur la contraction de tes muscles faciaux, de tes joues, la façon dont ton nez se fronce et suis la contracture de ta bouche.

— Et tu lui obéi.

Tu ne vois plus avertissement plus affolant que celui-ci. Cet homme de 37 ans mesurant 1m87 est assez fou pour se faire obéir de Samael. Tu poses une paume incertaine sur ton cœur. Merde, peut-être que toi aussi tu es fou. En plus d'être peureux, tu es curieux. Tu as à peine le temps de poser pied à terre que Samael t'attrape pour te traîner à l'intérieur du Danaé. Tu passes la porte, fronces le nez à la seconde où l'odeur du bâtiment agresse tes narines. Des odeurs d'alcools chics, de parfum de dame et de flagrances plus musquées. Tu lèves les yeux vers lui.

— On ne fait pas que jouer ici, non ?

On baise aussi. Beaucoup. Pour le moment c'est calme. Normal, il fait encore jour et c'est la nuit que les gens se laissent aller à la débauche. Ton regard accroche le moindre petit détail. Tes doigts s’agitent, suivent ici les dorures sur le mur de droite, là les détails du bois sculpté sur la décoration de l'escalier.

— Il y a eu un gros travail d'artisanat.

Tu forces sur le bras de Samael pour t'approcher du mur et poser tes doigts la finesse du travail.

— Aucun humain n'aurait pu tailler ça. C'est uns de mes adelphes qui l'a fait.

Tu tournes la tête vers Samael.

— C'est parce que je suis meilleur que lui que tu m'as choisi ?

Évidemment que oui.

Tu tires une moue, sincèrement vexé. Le pire c'est que t'es lucide. T'es que trop conscient d'à quel point c'est aisé de te faire venir là où on veut, de te faire faire ce qu'on souhaite. T'as désespérément obéi pour qu'on t'aime. Maintenant, d'obéi juste pour avoir le droit de faire flamber la carte bleue.

— Hm, t'étais pas obligé de le formuler comme ça...

Tu te détaches des dorures, agrippes la lanière de de ta sacoche comme tu agrippes à ta fierté.

— Mais je reste le meilleur.

Tu le dépasses, tu te sais trop petit pour le toiser, ça ne t'empêche pas de remonter fièrement le menton avant de tout de suite passer à autre chose car ton attention est détournée à chaque nouveau pas fait dans le lieu. Ton hyperactivité se fait sentir. Tu gravis des marches à sa suite, avance, recule, tourne sur toi-même, les yeux passants si rapidement d'une vision à une autre qu'on pourrait de croire fou.

— Dit, est-ce que tu m'as traité de pute tout à l'heure ?

Ça sort de nulle part.
Vous avez quitté le hall pour des étages plus silencieux, probablement de l’administratif.

— Tu dors ici ?

Tu devines en observant le bâtiment son agencement.

— Il y a des chambres ici et ce serait stupide de disperser ses employés.