Tu ressors du bureau d'Alastor avec un pincement au cœur. Voilà, ton boulot est fait. Un peu plus d'un mois que tu travaillais à temps plein sur ce projet. Un œil, un chef d’œuvre t'avais envie de dire. Tu étais fier, mais trop humble pour t'en venter devant ton client. Et quel client. Maudit soit Samaël de t'avoir conduit dans les griffes d'un homme d'un tel charisme. Tu soupires. Après autant de temps à travailler tu aurais espéré un sourire, une invitation à rester prendre le café ou, mieux, un nouveau boulot. Mais rien. "Merci, au revoir", c'était tout. Tu traînes des pieds dans les couloirs, l'idée de revenir à ton petit atelier de l'Até ne te séduit pas. Tu espères croiser Samaël, sans avoir à croiser Ikal. Peut-être qu'il acceptera de te reconduire à Nausikaa. C'est que les rues de New-York sont peu sûres et tu n'es pas spécialement courageux.

Plus loin, tes yeux avisent la salle des coffres. Tu as vu dès ton arrivé tous les défauts du bâtiment. Un système de sécurité rudimentaire et des défenses technologiquement datée. Tu passes tes doigts sur la porte, vois dans sa structure tout ce qu'il ne va pas, tout ce que tu pourrais raccommoder, améliorer. Tu diras que la porte que tu viens de pousser, tu ne l'a pas fait exprès. Tu diras que les pas que tu fais dans la salle ne sont pas de ton fait. Devant toi, la petite boite où tu sais que les recettes du jour sont déposées (tu as vu quelqu'un le faire pendant une de tes visites.). Tu portes ta main sur le coffre. C'est ridicule, n'importe qui pourrait l'ouvrir (non, juste toi). Tu passes tes doigts, analyse le mécanisme et sors de ta sacoche une épingle. Il te faut moins d'une minute pour forcer la serrure. À peine deux secondes pour sortir une liasse de billets. Tu les comptes d'un seul coup d’œil. Hé, c'est pas du vol, c'est juste le prix de ton cœur las. Il était beau, cet Alastor. Tu tournes des talons.

— HII!

Tu sursautes. Il est là. Ombre gigantesque dans l’encadrement de la porte, drapé de sa beauté fatale et, tu le vois dans ses yeux, d'une bonne dose de colère. Merde.

— C'est pas du tout ce que vous croyez.

Si. Totalement.
Tu te liquéfies sur place, vois ta vie défilée, songe qu'il ne t'en restera bientôt plus qu'une. Tu te sermonnes. Toi et tes impulsions. Toi et tes rêveries. Putain d'imbécile.

Ton menton heurte le sol avant d'avoir pu prononcer le moindre mot. Tu remercies ta langue de ne pas s'être faite trop bavarde, auquel cas tu te la serais très certainement mordue dans la chute. Tu grimaces, tu n'es pas un dur, tu crains la douleur, elle te rebute. Tu glisses une main sur ton menton pour le masser. Sa cane, elle, vient prendre en otage l'autre. Tu ouvres des yeux horrifiés avant de relever vivement la tête vers lui.

— Pas mes mains !

Elles sont tes outils de travail. Sans elles, tu n'es rien. Mais quelque chose te dit qu'Alastor n'est pas le genre d'homme qui se soucie de ce qui importe aux autres. Au contraire même... Quelque chose te dit qu'il pourrait bel et bien user de cette information pour te punir davantage. Soudain tu as peur. Vraiment. L'humiliation était une chose, mais ne plus pouvoir utiliser tes mains... Et donc, vient la fureur.

— Je cherche à en avoir plus parce que la porte est grande ouverte pour ! Qui n'irait pas piocher dans les caisses avec un système de sécurité aussi obsolète ?! C'est un miracle qu'on ne vous a pas déjà volé !

Tu désignes de ta main libre, dans un vague équilibre, la porte, la pièce.

— C'est un vrai château de cartes, il suffirait d'un coup de vent pour que tout s'effondre. Il fait quoi votre ingénieur au juste ?

Ça te scandalise. En écho à la peur tu trouves la forte de critiquer ouvertement son staff et son fonctionnement. Mais la terreur reprend vite le dessus. Ta main est son otage. S'il te la casse, s'il te l’abîme... Tu pinces les lèvres, t'invoque de ne pas pleurer, rien ne te fais plus paniquer que de voir tes mains abîmées.

— Je suis pas un rat.

Tu le regardes, aussi furieux que peureux.

— Je suis le meilleur inventeur, votre œil vous le dira !

Tu sens de nouveau tes os craquer et tu t'affoles. T'affoles de perdre ta dextérité. Tu geins, un regard divisé entre la supplication et la colère. Tu détestes les démonstrations de force brute et rude. Amer tu penses que ce sale type doit avoir beaucoup à compenser pour ainsi t'écraser, à toi, la main.

— MAIS NON JE ME FOU PAS DE VOTRE GUEULE MERDE !

Tu prends ta main dès que tu en as l'occasion. Tu l'ouvres et la ferme, l'inspecte précipitamment. Maudit soit tes impulsions. Pourquoi voler un chef de mafia (il en a l'allure, tu n'es pas idiot, ce type doit vendre de la drogue, escroquer des gens et égorger des hommes plusieurs fois par semaine) alors que tu aurais pu... Tu ne sais pas, voler dans la vieille caisse de William, ce vieux ronchon est à moitié aveugle il n'aurait même pas remarqué la disparition de la moitié de son liquide. T'es trop con. Tu te relèves, assez téméraire pour le défier du regard alors que tu remets ta chemise tachée en place, pas assez courageux pour ne pas rapidement baisser les yeux pour le devancer.

— Suivez-moi.

Tu le guides jusqu'à l'entrée de la pièce, désigne la serrure.

— Bon, déjà vous n'avez aucune serrure sophistiquée. C'est des dispositifs de base, même un humain lambda un peu bidouilleur pourrait entrer sans laisser de traces, c'est le cas pour cette pièce, votre bureau et tous les autres lieux un peu "vip" du Danaé.

Tu te déplaces sur le côté pour lui désigner l'encadrement de la porte. Tu sembles totalement absorbé, tes yeux scrutent avec précisions, voient et remarquent des choses, des défauts, que lui ne peut pas voir.

— Idem, aucun dispositif anti-effraction, aucune alarme. Vous auriez pu installer des choses pour enfermer les voleurs à l'intérieur de la pièce par exemple ou quelque chose pour que toute entrée non autorisée vous soit signalée en temps réel. C'est faisable. Mais non, c'est une porte toute simple, dans un encadrement de porte toute simple. Aucun détecteur anti-magie non plus et ça dans tout le bâtiment, vous n'avez aucun moyen de contrer un enfant d'Hermès ou un enfant d'Hécate. J'ai pas senti le moindre piège non plus. Votre casino est beau mais il est affreusement humain, ce qui est dangereux vu que nous ne sommes pas hu-

Tu écarquilles les yeux, sembles comprendre quelque chose. Tu t'arraches à l'observation de la porte pour te tourner vers lui.

— Oh, je vois.

Tu recules légèrement d'un pas, comme-ci il était devenu plus impressionnant.

— C'est vous le système de sécurité. Enfin, vous...

Tu le désignes des pieds à la tête.

— Tout ça.

Tu déglutis.

— Ce qui me fait réaliser que vous êtes très confiant sur votre capacité à contrer toute menace et que donc j'ai fait une très grosse bêtise.

Merde.

Il rit. Et tu es incapable de savoir si c'est un indicateur de ta survie ou, au contraire, de ta mort imminente. Néanmoins, tu notes que cet homme cauchemardesque est capable de rire. Tu t'étonnes à être curieux de savoir s'il lui arrive d'avoir des expressions tendres, s'il y a des choses qu'il lui tire les larmes ou s'il est seulement sensible au pathétique de son prochain.

— Oh, vous égorgez bien plusieurs personnes dans la semaine, donc.

Tu as pensé à voix haute. Tu ne t'en est pas rendu compte.

— Partons du principe que je ne suis pas un gamin et que j'ai en effet une dette à remboursé.

Tu connais le langage des affaires. Tu désignes du menton la porte.

— Je peux vous mettre au point un système de sécurité performant et conforme à toutes vos demandes. Systèmes de surveillance, pièges, je peux absolument tout faire.

Tu croises tes mains derrière ton dos. La posture te donne un côté innocent, pourtant tes yeux ne mentent pas, tu négocie avec sérieux.

— Aucun salaire, juste besoin qu'on me fournisse les matériaux et une chambre où dormir. Comme ça, je reste sur place et vous vous assurez que je ne vienne pas filer vos plans à qui que ce soit. Il faut juste que je déménage mon matériel mais Samael peut m'aider.

Après, tchao bonsoir, plus personne, tu disparais, pouf, sans laisser de traces et tu jures sur la tête de ton père et ta mère que tu arrêtes d'être stupide et de dire oui parce que l'homme en face est plus âgé et charismatique. Seulement, reste dans le coin de ton crâne cette étrange curiosité. Et tu te deviens stupide, encore.

— Après ça, si vous êtes satisfait par mes services, vous pourrez toujours m'engager proprement. Je peux faire n'importe quoi et vous auriez bien besoin de nouvelle cane.

Pour une fois, tu a la sagesse de retenir ta langue. Tu peux. Tu vas. Parce que tu n'as pas le choix. Tu n'as pas besoin d'être très imaginatif pour comprendre de quelle manière tu rembourseras ta dette si tu ne coopères pas. Tu hoches doucement la tête, son coup au tibia te fait sursauter.

— Je serais utile.

Tu lèves les yeux vers lui. Il n'a aucune idée d'à quel point ce mot ne t'écorche pas la bouche. Il n'en a jamais eu le pouvoir.

— Monsieur.

Tu esquisses un petit sourire et inclines le menton et ton buste vers le bas dans une petite révérence. Tu essayes de te sortir du crâne que tu viens de signer un contrat avec un homme aux allures de Baron de la pègre et qui, surtout, a fait de Samael son bras droit ce qui est un assez bon indicateur du niveau de folie ambiant.

— Je vais avoir besoin qu'on me ramène mon matériel ou que j'aille le chercher. Et je vais également avoir besoin d'une chambre. Vous en avez une ?

Tu n'oses pas relever que tu as besoin d'un espace assez conséquent, puisque de toute façon s'il te donne le vieux placard à balais tu seras bien forcé d'y dormir. Tu croises cependant les doigts, le type n'est pas stupide, il ne va pas te faire travailler dans le cagibi.

— Il va aussi falloir que vous disiez précisément ce que vous voulez.

Ton regard glisse sur sa cane et son genou.

— Vous avez déjà pensé à faire de votre cane un genre de matraque électrique ?

Ah ouais, c'est vrai.

— Monsieur.

Ah. Ah non. Ah non, non, non, non, non. Ce n'est parce qu'un homme aux allures de dandy mafieux cochant toutes les cases de ton style de prédilections se permet un trait d'humour que tu dois t'y engouffrer la tête la première. Tu connais ce genre de mec. Il n'est pas le premier, il ne sera pas le dernier. T'as déjà recollé ton cœur trop de fois à la colle forte pour-

— On peut visiter ?

Tu penches la tête avec cette innocence toute feinte et se sourire pur et rosée. Et tu te hais. T'es stupide. T'es le roi des cons. T'es juste un crétin. Alors qu'un il enchaîne plus sérieusement sur ton futur logement tu hausses les épaules.

— Chouette, j'adore les belles vues.

Tu lui épargnes que tu vis 90% du temps dans une espèce de cave où la seule vu que tu contemples c'est celui du pas de la porte lorsque tu bois ton café le matin.

Tu le suis jusqu'à arrivé un ascenseur un peu trop petit. Tu notes le charme, ça colle bien au reste de la battisse. Tu notes aussi le manque de simplicité. Il t'invite à entrer le premier. Tu y passes, te plaques, dos contre le miroir. Tu ne vas pas te plaindre, la vie est plutôt agréable. Tu laisses un petit sourire naître sur tes lèvres qui meurent aussitôt que le parton prend la mouche.

— Mais pars tous les dieux cessez de croire que je vous insulte !

Tu tires une moue, tout de suite moins à l'aise d'être plaqué contre un type qui se vente ouvertement de connaître l'art et la manière de briser les os avec une cane.

— C'est juste... Je vois ce qui peut être amélioré, je vois ce que je pourrais construire, j'ai envie de bidouiller. C'est plus fort que moi.

Tu détournes la tête, un peu gêné, un peu boudeur. Si tu peux plus proposer tes idées sans risquer de toucher son ego.

— Mais bon, d'accord, pas touche à la cane.

Maintenant, tu trouves l'ascenseur lent.

— Y en a un autre d'ascenseur je suppose. Pour le service.

Tu sais pas où mettre tes mains. En voulant de te caler un peu mieux et attraper quelque chose dans ta poche intérieur tu lui frôles le torse.

— Mer- Pardon.

T'es pas peu heureux de le voir quitter l'ascenseur. Le dos contre la glace, tu places une main sur ton cœur. Whoua, t'as le bide en vrac. Il t'impressionne, il est de ces charismes écrasant qui fait retenir le souffle dès qu'il ouvre la bouche. Tu vas définitivement te faire tuer. L'homme a l'air aussi stable mentalement que Samael et aussi aimable qu'une porte de prison. Mais par Aphrodite ! Qu'il est beau !

Il te siffle et tu sursautes avant de sortir de l’ascenseur. Tu croises le regard d'Ikal, écarquilles brièvement les yeux avant de baisser la tête et de te ranger dans l'ombre du dos d'Alastor. Tu mets une seconde de trop à attraper la carte.

— Hm ?

Il parle d'argent, c'est ça qui t'a fait réagir.

— Combien ?

Parce que tu ne roules par sur l'or ou du moins, que très très ponctuellement. Tu regardes la carte, identifie donc que les portes des chambres sont des serrures électroniques. Intéressant. Tu pourrais bidouiller la tienne, pour changer le son par exemple. L'idée te fait sourire, mais tu te reprends tout de suite, vous avez parlé argent. Tu lui demandes du menton s'il faut prendre de nouveau l’ascenseur avant de commencer a avancer.

— Parce que si je bosse à plein temps pour vous ne serait-ce que temporairement, je n'aurai aucune rentrée d'argent dooonc.

Tu te cales de nouveau contre à la glace avec un soupir. Tu glisses un regard vers lui. Il a l'air dangereux. Mais il est beau. Et plus tu le regardes plus tu te fais la réflexion que c'est grave, comment il est ton type.

— Si je pouvais vous amener à être généreux avec moi...

Oh, donc tu ne vas pas bosser gratuitement. Ton sourire s'élargit. Il a de l'argent et toi tu es doué. Peut-être te gâtera-t-il plus que tes anciens amoureux. Mais à l'évocation du travail charnel que tu pourrais faire, ton sourire se fane. Tu détourne le regard, te recroqueville contre le coin dans l’ascenseur. Tu parles avec une froideur et une agressivité qui tranche avec tout ce que tu as montré jusque-là.

— Je ne suis pas une pute.

Et tu te mures dans le silence en fixant obstinément l'espace entre ses chaussures aussi propre que neuve et les tiennes, usées et maculées de tâches. Soudain, l’ascenseur s'arrête. La brutalité du choc te fait un peu tituber.

Tu réalises brutalement que tu es suspendu dans une cage fermée, avec le vide en dessous. Tu sens ton estomac de se tordre, ta gorge se serrer. Soudain le sol ne te semble plus stable et ton vertige te fait suer. Tu restes tétanisé en fixant le sol, comme-ci tu pouvais voir le vide, le noir profond en dessous de vous. C'est la voix d'Alastor qui te ramène. Tu lèves les yeux vers lui.

— O-Oui.

Tu t'avances, comme si tu passais en pilote automatique. Tu te redresses, ton regard se fait plus féroce, plus concentré. L'innocence et le petit minet laissent place à quelque chose de plus "dieu", que "demi". C'est comme-ci tu ne jouais plus à aucun jeu. C'est à peine si tu te rends compte que tu l’attrapes par les bras pour le décaler, comme si tu avais simplement déplacé une chaise ou un meuble qui te gênait.

— Voyons voir.

Tu fixes sans presque cligner des yeux le tableau de commandes avec les boutons des différents étages. Tes doigts aussi fins qu'agiles, passent sur chacun d'entre eux, tu as des airs d'aveugle lisant du braille. Puis tu suspends ton geste, sors de ton sac sans quitter du regard les boutons à tournevis. Il te fait moins de trente secondes pour démonter le panneau. Ton corps travaille pour toi. La peur du vide sous tes pieds te fait passer d'un fil électrique à un autre. Au bout d'une minute, tu te tournes vers Alastor.

— Il faut que je regarde en haut.

Tu désignes la trappe au-dessus de vos têtes.

— Portez-moi.

À ta grande surprise, il ne conteste pas. Tu le regardes, l'espace d'une seconde comme hypnotisé de le voir te faire la courte échelle. Tu penses alors que pose le pied contre ses paumes : Il est pragmatique.

Et tu ne sais pas, ça en fait un fou peut-être moins fou que ce que tu pensais.

En équilibre, le tournevis entre tes lèvres tu t'affaires à dégager la trappe. Tu te hisses à l'aide de tes avants bras jusqu'au buste. C'est sombre et poussiéreux. Tu l'entends t'appeler d'en bas.

— Non, non, c'est bon.

Tu n'y vois pas à un mètre. Tu passes une de tes mains dans la trappe pour l'agiter devant ses yeux.

— Je vais avoir besoin de ma lampe-torche s'il vous plaît.

Ce n'est qu'une fois ta lampe entre les dents, que tu peux voir à peu près où tu es. Tu avise un boîtier sur le dessus de la cage d’ascenseur. Pour l'atteindre, tu pousses une dernière fois sur tes jambes avant de disparaître hors de l'habitacle. En rampant ta main touche quelque chose qui t'arrache un cris.

— AAAH !

Tu pointes ta lampe torse pour découvrir le cadavre d'un rat.

— Uuurg... J'ai rien ! Juste un... Rat mort.

Tu tires la langue de dégoût avant de prendre sur toi pour t'atteler à ouvrir le boiter et bidouiller les commandes jusqu'à ce que la cage d’ascenseur tressaute de nouveau. Tu passes la tête dans la trappe.

— Normalement c'est bon.

Tu le regardes, souris, un peu gêné.

— Hm.. Heu.. Vous me réceptionnez ?