tendre est le siège qui retient son dos ; mais benedict n’y trouve pas une once de repos. ses yeux cherchent les passants qui rendent jolie la rue, sans que rien ne puisse accrocher son regard. pourtant il persiste. il attend. arrivera la silhouette de sa nouvelle obsession, peut-être serait-ce celle d’une femme qui lui ose un regard, sinon celui d’un homme qui le surprend dans sa chasse. mais voilà bellamy qui vient rompre le silence de sa traque, et il lève la tête, le salut sans un mot par un coup d'œil amusé. le renard a le pied prit dans le piège mais il ne comprend pas le danger qui le ronge.

bellamy. je t’ai déjà commandé un café.

il juge l’heure à sa montre, ne prétexte pas que cette attention particulière soit le signe d’une vision, sinon qu’il connaisse très bien son ami.

mais il n’est pas venu retirer la ferraille qui lui etrique la jambe ; non, il asserre même son emprise. un grand nom, de beaux pouvoirs, et lui simple oracle en déclin dont la réputation précède les crimes. benedict voudrait volontiers en rire si était capable d’ignorer tout le danger qu’il incarne.

des accusations sans fondement. comme d’habitude. benedict ceci, benedict cela ; il a bon dos le vilain beaujardin. j’ai le droit d’accuser, moi aussi ? d’appeler à la conspiration ?

les cafés arrivent à leur table, au nombre de trois, ce qui dessine sur le visage mélancolique du coupable un sourire innocent.

tu me parles de mon ex-femme comme si je lui avais fait des horreurs… tu sais que je n’ai jamais levé la main sur elle. je suis gentil, bellamy. c’est une gentillesse différente de celle que tu prônes… m’enfin. venant d’un fils de dionysos…

voilà la rage adouci, la colère tendre, l’effroi contenu. dans les remarques de bellamy, benedict y retrouve tout le mal sans qu’il ne puisse s’exprimer librement – et finalement ce n’était que l’effet de sa personne.

une excuse…

il marmonne ce terme comme un jouet cassé, délaissé. excuse. ça a le visage d’un enfant à l’abandon qui rêverait de s'enterrer sous son propre château de sable, tel un roi sans peuple à gouverner. excuse : c’est petit, insignifiant, ça n’a rien à voir avec l’étendue de ses désirs qu’il – et il le jure – a toujours réussi à maîtriser.

l’un des trois cafés vient rencontrer ses lèvres ; brûlant. mais il insiste, prend une gorgée, sans grimacer d’avoir tout son bouillant pour tapisser sa poitrine. c’est à cela qu’on se sent vivant.

mensonge, harcèlement. et plus il s’exprime plus les mots deviennent lourds de sens, longs de bêtises. impassible pourtant il y a sur son visage quelques détails qui trahissent son ennui ; mais seul un grand homme comme bellamy saurait trouver en son ami de toujours, les rides de ses péchés.

je n’ai pas –

forcé à l’approche comme en laisse, véritable chien d’un homme, on lui interdit d’aboyer son innocence. un rapide coup d'œil sur sa main qui touche la sienne, et il relève son regard pour faire face à l’accusateur mais tout ce qui l’accapare, le temps de quelques secondes, c’est le contact de sa peau contre la sienne.

benedict déglutit, chasse de ses pensées la chaleur de cette étreinte qui pour le commun des mortels n’a rien de chaleureuse.

je n’ai pas harcelé ta demi-sœur. est-ce ma faute si par le hasard nous nous retrouvons tant de fois dans les mêmes lieux ? penses tu que je sois capable de faire faux bond au destin ? tout fonctionne très bien chez moi, lioncourt. tout fonctionne. très. bien. je me lève chaque matin sans espérer que le jour viennent réchauffer ma peau et pourtant le soleil, inéluctablement, se présente à ma fenêtre pour me gratifier de son éclat. voilà le destin, bellamy. et nous en souffrons tous, si nous le pensions comme toi.

il se recule, reprenant sa droite posture contre le siège de sa chaise. son regard n’a pas tressailli et s’est installé si confortablement dans les yeux de bellamy qu’il serait légitime de se demander s’il n’avait pas dévalisé tous ses secrets. pour un ami de si longue date benedict pouvait encore se leurrer mais feindre l’ignorance, il n’en saurait jamais capable.

penses tu que si je lui offrais des fleurs, elle pourrait raturer les harcèlement de son journal pour y écrire des rencontre, ponctués de marguerites au centre de ses o ? c’est tout l’effet que je veux donner.

c’est impensable, que de le voir, bellamy, si lassé de son amour écrasant. n’est-il pas merveilleux, benedict, d’offrir tant ? lui dont le coeur si petit peine à battre seul, pourquoi lui reprocher de vouloir l’aide si bénigne d’un simple je t’aime enrobé dans un souffle ? quel mal existe-t-il à vouloir des autres, autant qu’on aimerait qu’ils veulent de nous ? pathétiques. c’est le terme qu’il choisit parmi toutes les éloges gracieuses dont benedict se laver le matin au lever et le soir au coucher. pathétiques. pour ne pas dire victime de l’ennuie des autres.

nous ne sommes pas pathétiques…

simple est le chuchotement, comme une correction qui ne mérite toutefois pas d’être entendue des plus grands. si bellamy y croyait assez pour le dire à haute voix, ce n’est pas benedict et ses failles qui arriveront à déguiser sa pensée. de cette situation, il en laisse d’ailleurs s’en tirer un soupire, les yeux plongés dans l’amertume du café qu’il déteste.

mais voilà que sa question sonnait plus infecte encore que le liquide qu'il s’infligeait à boire. son regard cherche celui de son ami mais il semble le fuir, sûrement pour mieux se souvenir. benedict n’a pas besoin d’un passé pour justifier le bonheur qu’il cultive aujourd’hui. il le sait : seul l’avenir peut teindre l’abysse de ses peines en un paradis clandestin.

la thérapie évoquée il roule des yeux, après les accusations et le remord, l’humour pour panser les brûlures des termes employés. benedict laisse son attention se perdre sur autrui, sans plus toucher à son café. ses bras rejoignent ses cuisses et ses mains s'enlacent entre elles.

tu dis des inepties. je suis aussi heureux que tu puisses l’être, mon ami. moi je me demande pourquoi mon amour pour autrui te fascine donc à ce point. je n’ai rien de criminel. je n’ai jamais blessé quiconque. je suis badin, bien heureux, simplet ; j’offre à des coeurs ce que les coeurs demandent et ça a l’air de te rendre fou. tu me prends pour un homme malade ; et je le suis, assurément. malade d’amour. et toi ? la maladie qui te ronge, là, dans ton cœur et qui gangrène dans les artères… malade de solitude ?


il se penche alors sur la table, y croise à présent ses bras. mais son regard, encore, il ne le porte qu’à ceux qui ne le cherchent pas.

je n’ai pas besoin d’une thérapie. je l’ai laissé tombée dès lors qu’il me fut explicitement ordonné de le faire. c’est toi qui devrait t’inquiéter. abandonner sa fiancée et ne plus s’autoriser à aimer ensuite, c’est tristement cruel.

c’est seulement maintenant qu’il accepte d’affronter ses yeux fatigués.

si moi j’aime trop, toi tu n’aimes pas. ton front est déjà marqué de rides tant tu fronces les sourcils, ta voix porte si loin on croirait que tu as peur d’être ignoré, et ton air épuisé à chaque mot qui s’extirpe de ta bouche, comme si converser avec quelqu’un était un calvaire. c’est ça, oui. si moi je vis trop, toi tu n’vis même plus. pourquoi me faire des reproches ? laisse moi vivre, n’en soit pas si jaloux.

et si c’était impensable, voilà que cela devient réel. écrasé, étouffé, sans doute victime d’un dégoût que bellamy ne saurait expliquer : bellamy est plus épris de pitié que d’amour pour son ami de toujours.

le marbre s’effrite alors ; et de ses sourires discrets on aperçoit maintenant plus qu’un coin de lèvre retroussé, comme un soupçon de surprise qui se fatigue à se déguiser en bonheur.

mais il est amer, benedict. il a dans la gorge et dans le cœur trop de rage. déglutissant pour avaler sa colère, il perd son regard sur les tasses, la table ; tout ce qui l’entoure mais tout sauf bellamy le traître.

tu t’emportes.

mais c’est sa voix qui gronde, son sang qui bouillonne. un coup de langue sur les lèvres, il souffle un rire succinct, ose poser ses yeux sur ce qu’il pensait avoir acquis pour la vie.

je m’excuse, sincèrement, si je t’ai énervé, bellamy. loin de moi l’envie que tu puisses croire qu’il existe la moindre compétition entre nous deux. j’ai mes défauts, tu as les tiens. il s’abreuve d’un peu de café, sans trahir le dégoût qu’une lichée lui déclenche. il n’y a pas de pitié entre nous. la pitié c’est l’amour empoisonné. le fade. celui qui fuit, celui qui crève en silence pour que la mort vole le cœur.

mais c’est qu’il ne tient plus en place, et le débit de sa parole dépasse ses habitudes dominicales. il s’étend, se répand même, laisse s’écouler tout le désespoir qu’un rejet lui insuffle et ses doigts tapotent contre la table, puis grattent ; comme pour retenir ce néant qui ne devrait jamais trouver la chance de se montrer.

je t’adore, bellamy. tu es un ambassadeur remarquable, et tu prends soin de ta famille. j’ai été idiot de m’approcher des tiens ; je m’en excuse.

mais il n’arrêtera pas. elle lui a offert un regard, et, il en est sûr, dans ses yeux divins elle y cachait un sourire rien que pour lui — c’est pour ça qu’il est déjà tombé amoureux d’elle.

souffle, débordement maîtrisé, rancune étouffée au creux de ses paroles maladroites pourtant signées de vérité. benedict est rassuré de manier les mots aussi facilement qu’il manipule les âmes.

que sont-ils à ce jour ? deux hommes un brin perdus, dont les pas étourdis se sont égarés de leur droit chemin. un regard qui se perd, le sien qui suit ce qu’il observe sans intérêt.

ce que nous devions devenir. des hommes.

la parole est basse, elle ne veut pas déranger, ni s'immiscer dans une discussion qui n’est pas voulue. s’il sait voir ce qui peut arriver demain jamais il n’a voulu épier leur candeur se fâner. la complexité qu’il évoque benedict les imagines comme des cicatrices qui parent la peau, comme les bijoux qui habillent les oreilles des femmes, si ce n’est comme des étoiles dans le ciel de leur âme. un haussement d’épaule, faiblard ; car de débat ils n’en veulent pas. il ne rétorque pas, fait doucement tourner une cuillère dans la tasse qui héberge son sale café.

je sais.

et alors ? il pince l’intérieur de sa lèvre inférieure entre ses dents, se retient de remarques désobligeantes. il y a en sa gorge comme un mince espoir que les excuses qu’il avait couché sur la table suffisent à faire taire le sujet. mais bellamy est bavard, et s’il n’est plus un camarade il s’improvise aujourd’hui professeur. mais n’a-t-il pas tout à apprendre, lui aussi ?

je ne fais rien de mal, bellamy. j’observe. j’écoute. j’apprends. je suis compatissant, attentionné, tendre. ma façon d’aimer te dérange peut-être mais tu n’imagines pas le bonheur qui enveloppe leur coeur quand j’apparais tel le divin qui sait deviner en leur regard le moindre détail de leur vie.

c’est comme un miracle, déguisé par son abnégation. il déglutit, lève ses yeux vers l’ami qu’il sentait se noyer à ses côtés.

cesse de vouloir comprendre ou de m’éduquer… tu sais qu’on ne change pas ce qu’on est. accepte le. accepte moi. bellamy de nous deux je suis celui qui n’a jamais fait de mal à personne.

c’est celui qui n’aimait pas assez qui a brisé sa femme.

le temps s’arrête, leur rencontre devient poussière. bellamy n’a plus la patience nécessaire à faire des compromis, à n’écouter que ce que chante benedict, sans prêter attention aux fausses notes qui s’y glissent inlassablement. comment lui en vouloir ? certaines mélodies sont acouphènes pour les esprits les plus fermés.

il voudrait le supplier de rester ; car le rejet, il en a la nausée. mais aucun mot ne vient, et il observe le mouvement de sa veste qui fend l’air pour rejoindre ses épaules. cette danse était jolie. il se mord un bout de l’intérieur de sa lèvre, inspire sans que sa poitrine ne se bombe. puis vient le discours moralisateur, celui qui se voudrait sauveur de la dernière demi-heure qu’ils ont déjà perdu à vouloir se prouver que leurs torts sont légitimes. il aimerait rouler des yeux, mais ses pupilles restent fixes. incapablent de trahir l’étendue de sa pensée ; benedict c’est le contrôle des sentiments pour canaliser ceux des autres.

bellamy.

l’argent qui s’étale sur la table, lui qui s’élève, quitte sa chaise. il voudrait sauver ce qu’il a déjà perdu, garder cet ami qui n’en est plus un depuis des lustres. mais comment agir quand le moindre de ses dires suffisaient à contrarier son interlocuteur ?

je suis désolé.

d’être ce monstre dont le souffle dépend de la poitrine des autres. d’être une âme à la noyade qui ne garde la tête hors de l’eau qu’en s'agrippant à ceux qui ne connaissent pas encore le desespoir. désolé d’être fils d’hécate. désolé d’être fils. désolé d’être.

sa main vient se poser sur son bras. jadis, il aurait pu l’enlacer.

j’entends ce que tu me dis. et je ferai en sorte que tu n'aies plus honte de moi. je tiens à toi, bellamy. je ne veux pas perdre ce que nous avons construit.

il s’assoit à nouveau, conscient qu’il ne peut en dire davantage sans mentir.

fais attention à toi en rentrant. mon petit doigt me dit que tu devrais éviter les balcons fleuris. simple conseil.

prêt à être seul, avec ses trois cafés. benedict ne quittera pas les lieux en suivant son camarade. non, car ici, dans ce petit bistrot aux couleurs printanières ; il y a un sourire, de la part d’une serveuse, qui quémande sa présence plus que son absence.