Quand les choses vont bien, c'est que quelque chose cloche. Voilà la première leçon que tu as apprise. La paix est une illusion et si l'essence de l'homme est la guerre, comme le dit ton père, alors il est légitime de penser que celui qui est tranquille à en vérité quelque chose à cacher. Ezra s'était avéré être un mari concilient et agréable. Voilà presque un mois que vous étiez mariés et si vos noces avaient été un fiasco, la suite, en revanche, avait été placé sous de meilleurs auspices. Une routine presque "saine" s'était construite entre vous. Tu t'étais habitué à sa présence, tu la tolérais bien mieux qu'au premier soir. Finalement, ce n'était pas si terrible d'être marié à Ezra. Et c'est bien parce que ça ne l'était pas que tu avais commencé à devenir suspicieux.

Ezra avait quelques rituels que tu avais acceptés, de bonne grâce, de respecter. Aujourd'hui, il partait pratiquer un sport pour lequel tu n'avais que peu d’intérêt : l'équitation. Au départ, tu étais bien. Mais lorsque ton regard s'est échoué sur l'ordinateur d'Ezra, tu t'es fait la réflexion suivante : tu es trop bien. Immédiatement, ton esprit malade a fait propulser en avant le nom d'Alyss et celui de Précieux. Tu te souviens de ce fameux "shooting" et tu te souviens qu'Alyss devait sûrement partager sa passion de l'équitation avec Ezra. Soudain, tu te sens envahi par le doute. Ezra était un menteur doublé d'un lâche. Il ne t'aimait pas vraiment, il te craignait voilà tout. Tu connais son besoin d'attention... Est-ce que sa "joie" ne viendrait pas du fait qu'il te trompe ? L'idée que ce soit avec Alyss te révulse. C'est sans remords, aucun, que tu as ouvert l'ordinateur. Voilà un certain temps que tu en avais noté le code. Tu es assez bon observateur lorsque tu le veux.

Son ordinateur était un véritable chantier fait de dossier photos, de documents écrits sur des review de série pour son travail. Tu fouilles, laisses ton instinct te guider dans des dossiers obscurs jusqu'à tomber sur une série de google doc.

précieux.
encore Précieux.
une trente huit.
quatre heure dix sept.

Et leur lecture fut à la fois une torture et un soulagement. Tu avais raison, Midas. Tu as toujours raison. Quand tout va bien, c'est forcément que se prépare le coup de poignard. Et qu'Ezra l'apprenne de la pire des manières, mais les coups de poignards
ça te connaît.

(...)

Il franchit la porte quelques heures plus tard. Tu n'as pas bougé du canapé tendu, patient. Tu n'as pas pris la peine de lui envoyer de message pour lui faire part de ta découverte. Tes vengeances sont cruelles. Sadiques. Tu veux voir son air coupable. Tu veux le voir comprendre. Tu veux le voir paniquer, revêtir l'habit du trompeur. Tu veux lui faire vivre la descente aux enfers qu'il mérite et l'achever comme tu te dois de le faire. C'est une question d'honneur, à ce stade. On ne trompe pas Midas Warren comme ça.

Ton mari en est encore au stade de l'insouciance. Il rentre, joyeux, et tu contiens l'envie pressante de lui faire perdre son sourire. Il ne tarde pas à voir son ordinateur ouvert, chose inhabituelle car il le laisse toujours fermé. Il se précipite sur l'appareil. IL SE PRÉCIPITE ! AH ! LE COUPABLE ! Mais tu ne bouges pas. Tu ne dis rien. Tu veux voir ce qu'il va faire. Et sa réaction ne tarde pas. "Merde". "Midas... ?". Une réaction de peureux et de lâche. Ainsi donc, il est bien coupable.

— Tu avais dit que ce n'était qu'un shooting.

Étrangement, tu ne cries pas.

— Tu m'as dit qu'il n'y avait que moi, hm ?

Tu ne bouges pas, tu n'esquisses pas le moindre geste, toujours assis, droit. Tu veux qu'il rampe. Tu veux qu'il pleure. Tu veux le voir supplier avant de lui asséner le coup fatal.

— "ça me crève de penser à toi et de savoir que toi tu m'as déjà oublié"

Tu le cites. C'est fou comme tu as une bonne mémoire, parfois.

— "et le pire c'est que tu comprends pas parce que tu refuses d'admettre que des gens puissent t'aimer"

Tu viens baisser la tête pour jouer avec un de tes ongles.

— "crève", "aimer". T'as l'air putain d'investi pour un simple client d'un shooting, hm ?

Souffre. Souffre. Souffre.

— C'était avant ou après Seraph que tu lui as offert ton cul ?

Tu n'entends pas ses justifications. Ou plutôt si, tu les entends, mais tu ne les prends pas en compte. Derrière toi il panique, il s'excite. Tu ne bouges pas, ne lui fait pas grâce de te retourner pour lui faire face. T'as pas besoin de le voir pour visualiser en détail son expression. Tu ne la connais que trop bien, pathétique, misérable, une lueur de haine dans le regard car il faudra toujours qu'il se dédouane de ses fautes, il est comme ça.

— Il n'empêche que tu m'as menti.

Tu craches entre tes dents.

— Tu m'as regardé droit dans les yeux et t'as fait ton offusqué en me disant que t'étais pas du genre à te taper tout ceux que tu prenais en photo.

Tu relèves le menton, rigole, amer.

— Mais en fait c'est tout à fait ton genre. T'en crèves d'envie. Tu crèves qu'on te retourne et défonce ton petit cul de dépravé.

Derrière toi, il réclame une réponse. Qu'est-ce que t'as fait Midas ? Qu'est-ce que t'as fait ? Enfin tu te lèves, te tournes légèrement.

— Ce que j'ai fait ? Oh, c'est simple.

Tu tournes la tête vers lui, le regard assassin.

— J'ai tout envoyé à ton petit copain.

Tu hausses les épaules.

— J'ai tout envoyé à mon frère aussi. Sûr qu'il sera ravi d'apprendre que tu rêves de baiser son mec. Sûr qu'il sera ravi d'apprendre que Simca et Emon nous ont refilé une petite chienne qui se fout de la gueule du monde.

Et tu te tournes complètement vers lui. Tu ne rigoles pas. Tu es mortellement en colère. Et tu fais ce que tu sais faire de mieux face aux affronts : tu te venges, comme seul un fils d'Arès se venge. Tu te venges en détruisant.

— Tu t'es foutu de ma gueule, Ezra. Et on se fout pas de ma gueule sans conséquence.

— Whoua, tu te mets d'un état... Tu te devais sacrément l'aimer.

Voilà tout ce que tu trouves à dire face à sa détresse. Tu ne rigoles pas, y a aucune ironie dans ta voix. En vrai, c'est froid. Détaché. Et venant d'un feu aussi vif que le tien, c'est peut-être le plus inquiétant. Toi-même, tu ne te reconnais pas. D'habitude, tu aurais ressenti le besoin de casser et de hurler. Tu aurais tout brûler, rage vivace et mortelle et la crise aurait été finie. Seulement là, ça n'a rien à voir avec les autres fois. Ton mari est recroquevillé et en pleure contre un mur et toi tu ne ressens rien. Tu te sens cruellement loin. En fait, ça ne te soulage pas. Et tu sais, tu crois comprendre, que ça ne te soulage pas parce que ce n'est pas encore suffisant. Ezra paye pour toutes les frustrations étouffées depuis des mois et des semaines. Ezra paye le pathétique qui décore ta vie. Ezra paye la figure du héros déchu devenu bouffon des rois.

— Sincèrement, j'en ai rien à foutre.

Tu te fais insensible, inaccessible.

— Tout ce qui t’arrive, tu le mérites. Que tu te mettes aussi minable pour lui... Finalement j'avais raison. Vous me prenez tous pour un con, toi le premier.

Cruel. Tu as envie d'être cruel. Tu t'approches, t'accroupis devant lui.

— Je prie pour que ton Précieux soit dégoûté de toi comme je le suis. Je prie pour qu'il ne veuille plus jamais t'adresser la parole parce que c'est ce que tu mérites. Regarde-toi... Tu fais même plus pitié à ce stade.

Tu glisses, à quelques centimètres à peine de son visage. Et, Midas, tu as de nombreux défauts, mais tu es un gars honnête. Alors c'est tout en honnêteté que tu siffles.

— Tu me dégoûtes. Je préfère encore me faire enfermer de nouveau que de rester dans la même pièce que toi.

Tu te lèves.

— Je me casse.