Tu ne penses ni aux conséquences, ni aux risques. L'impulsion est venue d'elle-même et tu l'as écouté, véritable animale soumis à ses instincts. En révélant à la face de votre petit monde la médiocrité d'Ezra tu pensais déclencher un raz-de-marée. Tu avais pensé l'accabler, le punir par la honte, le dégoût et la rage de votre entourage. Seraph le premier, que tu n'aurais donné pour qu'il ne hurle, qu'il ne prenne ta défense, qu'il vienne briser le misérable qui te manque de respect, qui t'humilie, qui te blesse. Mais rien. Et si tu avais pu mettre ça sur le compte d'une digestion des nouvelles difficile, il ne faisait plus aucun doute pour toi désormais que ce n'était pas Ezra que Seraph punissait mais toi. Or, tu ne comprenais pas pourquoi. Qu'avais-tu fait, si ce n'est montrer la vérité ? Tu ne comprends pas. Ne comprends pourquoi ton monde ne tourne plus rond, pourquoi ta gloire n'est plus qu'éphémère, pourquoi plus personne qui compte ne t'aimer ? Animal dépendant, au bord du gouffre à voir ceux que tu veux s'éloigner de toi, te trahir, ne plus tenir à leur place. Tu te sens instable, proche d'une folie qui ne te ressemble pas. Depuis peu, tu à commencé à rêver d'étrangler Ezra, tu as commencé à rêver, d'une bêtise sur laquelle on ne revient pas. Un peu de violence, pour te faire redevenir maître par la force. Alors tu étais allé le voir lui. Tu as franchi sa porte en la défonçant, tu as pénétré son salon, à tiré le fauteuil pour le mettre bien face à la porte et tu t'es assis pour l'attendre.

Lorsque tu entends ses pas dans le couloir de l'immeuble, ton cœur bat à tout rompre. Les yeux écarquillés par la folie, tu lèves la tête lorsqu'il franchit sa porte à moitié sortie de ses gonds.

— Tu ne me parles plus.

Pas un seul bonjour. Et tu as la voix qui tremble, mi-chemin entre le gamin effondré et l'homme proche de vriller.

— Qu'est-ce que j'ai fait pour que tu ne me parles plus ?

Et quand tu le vois, dans ta tête surgissent les mêmes images que pour Ezra. Tes mains sur sa nuque, ton poing dans la bouillasse de son crâne éclatée, le couteau que tu pourrais des dizaines de fois planter.

— Seraph... Pourquoi tu me regardes comme ça ?

C'est tout le souci, quand tu aimes sincèrement quelqu'un. Si tu ne peux pas l'avoir, alors personne ne l'aura.

Tu n'aimes pas.
Tu n'aimes pas comment il te regarde. Tu n'aimes pas le vide dans ses yeux, l'indifférence, la façon dont se corps se traîne.
Tu n'aimes pas.
Tu n'aimes sentir ton cœur qui bat plus vite, la boule dans la gorge, l’inquiétude qui te tord.
Tu n'aimes pas, cette impression de cassure, cette sensation de fin. Comme si un cap avait été franchi, que le retour en arrière n'était plus possible.
Non tu n'aimes pas.
Et comme tu n'aimes pas, tu ne réfléchis pas, tu agis.

— Tu peux plus me faire confiance ? TU NE PEUX PLUS ME FAIRE CONFIANCE ?!

Tu te lèves d'un bond, la chaise part et vole derrière toi. Tu avales les mètres te séparant de lui aussi agité qu'instable.

— TU TE FOU DE MOI ?!

Tu te plantes devant ton lit, espères que ça le fera, ne serait-ce, que lever les yeux vers toi. Si tu pouvais croiser son regard, seulement croiser son regard. Ce bâtard te ment ! Il te punit ! Il ne te déteste pas vraiment, non ? Non pire, il ne te déteste pas, il est indifférent ? Impossible. Tu ne laisses personne indifférent.

— Qu'est-ce que j'ai fait de mal, hein ? Je t'ai rien fait, je t'ai juste partagé le fait que l'homme auquel tu m'as marié se fiche de nous et ta réaction c'est quoi ? M'ignorer ? J'ai trahi ta confiance en quoi putain ?!

Tu donnes un coup de pied dans le lit attrape ses épaules mais c'est presque comme-ci tu le suppliais.

— REGARDE-MOI !

Pourquoi ça se retourne contre toi ? C'est Précieux le traître. Précieux et Ezra.

— J'ai trahi ta confiance en quoi ?

Et si tu le broies les épaules dans ton désespoir rageur, c'est tant pis. Il ne peut pas t'ignorer. La haine et l'amour sont les deux faces d'une même pièce. Et comme tout le monde exprime soit une haine passionnelle, soit un amour inconditionnel pour toi : c'est qu'en définitive, tout le monde t'aime.

— C'est du délire, t'atteindre de quoi ? Il m'a trahi ! ILS NOUS ONT TRAHIS !

Mais au final, cette histoire, c'est comme-ci elle n'avait plus la moindre importance. Tu passes du coq à l'âne, tes angoisses aussi changeantes que tes humeurs. Car face à l'indifférence de Seraph, face à la perspective de son amour qui s'en va, Ezra et Précieux sonne comme de rien.

— J'ai pas trahi ta confiance.

Tu restes là-dessus, buté, aveugle et sourd à ses reproches. Tu t'accroupis pour lui faire face glisses tes mains sur ses genoux, enfant repentant.

— Je me donne, je me bute, je me souille pour ta gueule.

Tu frappes ton poing contre sa cuisse, lèves des yeux sincèrement blessés et orageux vers lui.

— Je suis pas docile, mais y a pas plus loyal que moi.

Tu trembles de colère, appuies un doigt contre son torse, martel tes arguments, qu'il cesse de te dépouiller.

— J'ai vendu mon ego pour tes grands projets, j'ai accepté de devenir le bouffon du roi pour tes circonstances à la con. Tu sais ce que ça me fait, tu me connais.

Tu te redresses, agrippes l'arrière de son crâne pour plaquer ton front au sien.

— J'ai fait pour toi plus que je n'en ai fait pour ma propre mère... Et j'ai trahi ta confiance ? Moi ?

Tu cherches dans ce combat de lion, au travers de la sueur de ton front, un peu d'amour, de légitimité. Tu avertis, les lèvres tremblent et les larmes brûlent au coin de tes yeux. Parce que tes larmes sont toujours rageuses.

— Tu ne peux pas me faire ça, Seraph. Si tu le fais...

Alors de laisse il n'y en aura plus. De contrôle il n'y en aura pas. Il y a aura juste toi, ta colère, et le déchirement nécessaire pour te rendre de nouveau justice. Et tu ne veux pas en arriver là, Midas. Tu ne veux pas en arriver à le tuer comme tu as promis de tuer Cécil. Parce que tu l'aimes, Seraph. Tu l'aimes et tu as besoin qu'il te contrôle. Qu'il te contrôle et t'aime pour tu n'en arrives pas à l'aimer au point de vouloir le tuer.

Pour obtenir ce que tu veux, tu mets au pied du mur, tu pièges, tu étouffes la victime, tu arraches l'affection que tu désires avoir, le couteau sous la gorge. Quelque part, ça te rend triste, Midas. Un roi devrait être aimé naturellement et tu l'es par bien des gens. Seulement le grand drame de ton histoire c'est que cet amour dévoué, démonstratif et naturel ne l'obtiens qu'auprès des personnes qui t'indiffère. Et c'est peut-être parce que tu prends conscience de cette constante-là, que tu deviens encore insecure, encore plus prompt à étouffer l'autre. Tu as besoin de l'amour des gens qui ne t'aiment pas comme tu voudrais qu'il t'aime. Voilà pourquoi tu étouffes Ezra. Voilà pourquoi tu étouffes Seraph.

Et tu finis par le lui arracher. Ce simple geste qui dans le langage de Seraph, tu le sais, signifie tout. Et ce n'est que lorsqu'il te donne cette preuve d'amour que tu acceptes d'écouter.

— J'ai besoin que tu me cadres. Mais si tu me cadres sans m'aimer tu seras juste un unième Cecil.

C'est marrant et effrayant à la fois, la façon dont tu lui glisses cette horreur avec douceur.

— Je veux pas te tuer. Tu es mon frère.

Tout comme Cecil, mais ça, tu ne le relèves pas. Tu sembles te calmer, au final tes colères sont des caprices auxquels il faut que les destinataires cèdent. À genoux devant lui, tu poses ta tête sur ses cuisses, ferme les yeux, comme le petit garçon qui sur les genoux du père attendre le sommeil.

— Je veux que cette fiotte d'Ezra m'aime. Je peux pas être cocu. Père laisserait jamais son mari le faire cocu.

Tu fronces les sourcils.

— Il doit déjà avoir assez honte de me voir. Marié comme une vulgaire fille de roi. Je veux pas qu'il ait honte, tu comprends ça ?

Tu redresses la tête, l'observe un moment.

— Nous c'est au-dessus d'eux, c'est ça ?

Alors ça veut dire que tu as gagné ? Que Précieux non seulement ne pourra pas te prendre Ezra, mais qu'en plus il ne prendra pas ton frère ? Alors ça veut dire, que c'est toi qui va tout lui prendre ? Pour la première fois de la conversation, tu souris.

— Pourquoi tu m'as ignoré alors ?