Ils ont donné un nom de femme au monstre tentaculaire qui dévore le quartier.
C'est ce dont les riverains parlent à mi-voix, depuis que s'est érigé le Danaé, entre deux ruelles jusqu'ici peu fréquentées. Une fois la ruche construire, les abeilles ont suivi : menaçantes sans en avoir l'air, venimeuses chacune une fois. Travailleuses, surtout, et soucieuses de leurs rayures, du parfum miellé de leurs alcôves, du lustre chatoyant de leur corps mordoré.
Un écosystème entier a jailli du sol en quelques mois à peine. Depuis, c'est une ville dans la ville, un monde à part dont les clients poussent la porte, toujours un peu plus nombreux.
Ils viennent pour boire, pour jouer, ou baiser. Ils dépensent, dépensent sans compter, s'avachissent dans les canapés trop profonds, se brûlent le gosier à coups de liqueur ambrée, les doigts aussi cambrés que le dos de leur conquête prépayée. Quand ils repartent au matin, c'est que la fête est finie, qu'il ne leur reste plus un sou pour rêver encore ; ils oublieront peut-être derrière la porte un manteau ou une bague, un souvenir ou leur fierté.
Tout au long de la nuit, ils n'auront pas fait attention à ces yeux qui ne les ont pas quitté. Deux iris aussi dorés que les lambris aux murs.
Là depuis le début, tu fais désormais partie du décor et tes racines s'enfoncent sous le bâtiment sur toute sa longueur. On ne te remarque pas plus que lees bonzaïs qui décorent l'entrée. On sent, toutefois, ta présence fugace, on parle de cet.te inconnnu.e tout de blanc vếtu qui rôde sans but d'un couloir à l'autre et de cette entêtante odeur d'amandier qui s'accroche aux draps encore propres.

Tu es partout et nulle part à la fois : exactement comme Alastor le veut.
Tu es l'ombre à ses talons qui se glisse là ou il n'est pas. Sans te montrer, pourtant, car le maître est jaloux, jaloux de ses jouets qu'il n'aime guère partager.
Chacune de tes promenades est un pied de nez supplémentaire devant son autorité ; il n'a guère d'autre choix que de supporter que son chien aille et vienne, refusant de porter le collier qu'on lui impose comme l'uniforme du Danaéé. Parmi tous les employés vêtus de noir et de doré, tu es le seul paré de blanc.
Car toute demeure a son fantôme, qui colle aux tentures, dont la silhouette se dessine à l'ombre des lustres.
Tu scrutes et vagabondes, cherches celui ou celle qui t'occupera aujourd'hui. L'immortalité a érodé ta curiosité mais la servitude n'a fait qu'aiguiser le ton autoritaire de tes pas sur le domaine que tu veux t'approprier.
Ce soir-là, c'est une voix agitée qui attire ton attention, derrière une porte fermée. Qu'importe : les serrures ne te résistent jamais longtemps. Déjà, les plantes à tes pieds serpentent sous le pas de la porte, grimpent le long des gonds. Les feuilles qui bruissent s'infiltrent jusqu'à la poignée tandis que tu observes le numéro apposé au mur. N'est-ce pas là le bureau du trésorier ?
Un personnage affable dont tu ne penses pas, à vrai dire, grand chose. Mais il ne te semblait pas être du genre à hausser la voix.
Cela mérite que tu jettes un oeil. S''il t'ennuie, tu n'auras qu'à repartir.

C'est tout en douceur, discret comme une mauvaise herbe que tu t'infiltres là ou on ne t'attend pas. La serrure fleurit et ploie, les gonds craquent, le battant s'entrouvre, juste assez pour laisser filtrer l'éclat doré de tes yeux.
Mais tu n'as guère besoin de tes yeux pour comprendre que quelque chose ne va pas ; car Stolas ne se contente plus de parler seul, il crie. Sa voix vibre, s'étrangle en mots privés de souffle, rendant son charabia désespéré incompréhensible dans les premiers instants. Il crie comme un animal traqué et cela sonne à tes oreilles comme un bruit familier.
Tu sais ce que c'est que d'être une proie, tu connais l'angoisse de savoir un chasseur sur tes talons, celle qui fait battre le sang à tes oreilles et dévoile des pièges sous chacun de tes pas. Que peut-il craindre ?
Rien qui ne soit là, en tout cas. Le trésorier est seul dans son bureau, si l'on ignore que tu tiens désormais à la porte, à quelques mètres de lui. Tu ne vois personne, ne sens personne ; rien qui sorte de l'ordinaire, à part cet homme aux yeux révulsés, à mille lieues de son habituelle mine sympathique et composée.

Sans juger utile de signaler ta présence, tu t'avances dans la pièce ; l'aura funèbre qui l'entoure fait tressaillir tes plantes et retrousser tes lèvres.
La nature sous ta peau n'a rien de pacifiste, elle gronde et aboie et dévore, boit le sang à même l'artère, rit aux nez des agonisants. Certains d'entre eux s'accrochent peut-être encore aux murs, visibles uniquement par les messagers d'au-delà, hurlent de te voir là.
Tu n'en sais rien.
La scène t'intrigue juste. Un trésorier fou, ce n'est pas bon pour les affaires ; et, a fortiori, les affaires d'Alastor sont devenues les tiennes.
Alors, au risque de voir l'homme tourmenté réagir violemment à ton intervention, tu laisses du lierre pousser le long de ses mollets, entourer ses chevilles, menaçant de se resserrer au moindre geste brusque.

" C'est à qui que tu parles comme ça ? " lances-tu pour l'extirper de ses visions. " Tu brailles trop fort... Si tu veux devenir cinglé, fais-le en silence. "

Citation :

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Description de Gore/Morts!