pardon.

le mot est comme le plomb d'un suicide échoué : logé dedans sa gorge sans l’avoir achevé, après des jours passés un canon sous celle-ci. avant de te rejoindre il l’a pensé mille fois - pardon, pardon, pardon - proféré rien qu’une seule devant son reflet pâle, au miroir de chez soi. comme pour se le parfaire. pardon. tout haut, l’a fait ciller très fort ; dès lors Lazare savait qu’il n’en succombera pas, s’il te disait pardon : jamais mort sur le coup à tes yeux héliastes, seulement à l’agonie, décevant pour toujours. il s’est alors juré de ne pas prononcer

pardon.

sur les jardins de l’hospice règne un ciel argenté, hachuré d’éclaircies ; elles y font mauvais genre. aujourd’hui n’est pas un jour à s’aimer au-dehors, dessous un temps d’été - aujourd’hui jour de deuil, il devrait y pleuvoir - pourtant le soleil perce au moment de te voir, abîmé près des buis ; de la peine à son cœur, aussi, perforant et il sent comme du sang ruisseler, lui poisser au plexus ; tu l’enlaces en vrai frère et il croit se noyer.

pardon - j’ai commis des horreurs, presqu’un meurtre de judas, je t’arrive en retard - il y avait un monde fou… à l’entrée des visites, toute une foule de pleureuses.

ton étreinte est si chaude et il avait si froid qu’elle le brûle quasiment comme son propre bûcher ; lorsque tu la défais, Lazare frissonne visible. il a déjà maigri - n’a pas mangé depuis ? la fameuse nuit, peut-être. en résulte sa risette, malingre, ses joues d’un rose trompeur car il les a pincées - elles sont piquées, en vérité, comme les fruits par les vers sous la belle apparence - ça va, ça va, ne l’examine pas trop ; tu vois, moi au moins je ne boite pas. il se doit faire l’effort pour sembler effronté - rester fidèle à lui face à ta roguerie - c’est ça, allez, prends mon bras au lieu de jouer les frangins invincibles. il te le cède gentil pour remplacer ta canne ; a failli grimacer, ses côtes fêlées souffrantes - c’est son mal en secret, sa blessure d’assassin - enfin, promenons.
pour de faux tu sauras que c’est la dernière fois,
tu m’entends ? c’est la toute dernière fois qu’on se retrouve ici. sinon ça va devenir un rituel à force.
vos rendez-vous meurtris.

il ne te regarde pas si ce n’est en biais vague, à ces dérobées lâches qui ressemblent aux pudeurs. un instant silencieux et puis, tu devrais pas fumer, soufflé tandis qu’il te confisque la cigarette. porte le filtre à ses lèvres ; quelque part il ingère le poison à ta place. le calme tombe à nouveau, et lui laisse balader son œil sur les bassins. deux trois carpes en leur creux décorent les eaux paisibles, écaillées scintillantes ; l’éblouissent doucement lorsqu’elles frôlent l’ondée. Lazare bat tous ses cils, deux trois secondes - inspire - à quatre expire d’une traite, est-ce qu’il faut qu’on en parle ? tu sais, de ce qu’il s’est passé. il l’ignore soi-disant, je ne sais pas si c’est mieux, qu’on en parle. menteur ; au fond il sait, très bien que non.

avant que tu ne le récupères il a repris du venin - la bouffée de tabac longue comme une à l’opium pour s’amplir les poumons d’un brouillard sédatif - au fond Lazare couvait un espoir ridicule : celui de s’occulter son propre cœur ainsi, que tu ne l’y trouves pas s’il trempait dans la brume ;

(c’est qu’il l’avait frappant quelques rythmes fébriles, s’y sentait comme une fièvre : le moindre de tes regards et même ceux d’étrangers suffisaient à brusquer le tempo sous ses os, le faisait s’inquiéter qu’on y toise au travers ; et si quelqu’un d’ici l’avait vu au concert ? non pas l’arme à sa main - car ils étaient à Dionne, les doigts tenant une lame - mais plus tard et plus loin lorsqu’il était fuyard, ses paumes tachées rubis et ses fringues également ; et si, et si…)

et s’il a du souci ? tu questionnes et le sondes ;
sous tes yeux il vacille une fraction de secondes, cligne les siens - mire ailleurs - et s’il se froisse un peu c’est parce que t’es gonflé ; tu m’écoutes les battements ? si c’est pas indiscret, ça, franchement...

il n’a pas tant besoin d’user l’hypocrisie pour te rétorquer rien - puisque tout le travaille, c’est quasi te dire vrai que de te préciser, rien de particulier - tu ne l’es pas, toi, peut-être ? retourné par ces heures, monstrueuses et récentes ; à celles-ci tu ne sais pas mais j’ai vu, et juste vu - se feint-il en témoin qui voyait innocent - quelqu’un se faire planter, et quelqu’un d’autre encore se faire dévorer vif - entre autre - j’ai vu des choses ignobles comme tout le monde cette nuit-là alors, tu m’excuseras mais oui : j’ai le cœur qui trahit. le syndrome de celui qui survit à l’atroce. retiens donc rien de grave.

ça allait tant que tu lui parlais anonyme, de beaucoup et personne, de civils et de monstres - du beau drame en lui-même et de la Mort, dedans, épouvantable avec ses dépouilles incomptables mais au moins sans baptême, elles le rebutaient moins - ça allait
jusqu’à ce que tu mettes un nom sur sa nausée.

Dionne.

quand bien même tu cites la contrefaçon, de Dionne, Lazare s’était forgé des cauchemars la nuit : chaque nuit depuis celle des copies criminelles il refermait son œil, à peine, qu’il croyait la sentir assise dessus ses draps ; en chimère ou squelette, elle pesait sur ses côtes un poids cadavérique.

il la savait vivante, pourtant - il croit - malgré tout se ressent étouffer d’elle, encore, et encore maintenant. tu lui dis d’oublier et il tressaille presque, semble quitter une transe à ton geste gentil - tapotant juste ça - le regard qu’il te rend parait toiser l’effroi, des fantômes absents. il rebat des paupières, entend son acouphène, fort

trop fort un bref instant

et puis ta voix revient -
recouvre l’aigu horrible.

il aura l’air pâle et sidéré de mise au moment de tes mots débordant de foi - l’expression désirée d’un point de vue de frère - plus adverses mais liés, tu- le voudrais à ton bras ? au sens défiguré, c’est-à-dire à ton droit, pour de vrai ? mutique, soudain, il te fixe comme frappé.

ta confession l’étrangle, le pique en plein plexus, lui soulève l’estomac. ta confession lui est un crève-haut-le-cœur, monstrueux polyforme. il aimerait pleurer, ou te crier ses torts, sinon prendre tes mains pour porter à sa gorge et te supplier lâche de l’achever plus vite ; tout cela à la fois en l’espace d’une seconde.

à la suivante, Lazare sourit - se bâillonne quelque part - sans un soupçon moqueur aux angles de sa bouche, tu vois, seulement la pudeur lorsqu’il répond enfin, tu t’appliqueras, d’accord ? avec Précieux, il cille un peu, je compte sur toi pour ne pas bâcler tes excuses, je, ses yeux dans les tiens s’inclinent légèrement, je serai là bien sûr s’il refuse de t’aider, je serai toujours là ;
mais- je dors si mal, mon frère ! et je n’ai jamais faim, rien qu’envie sans arrêt de me rompre la tête et, mes dix doigts sont abjects, poisseux quoique j’en fasse - même après la javel ils m’apparaissent rouges - enfin, tu me connais…

je ne sais pas si je suis très bien placé, tu sais,
pour donner des conseils ;

je ne suis pas le plus sage…

et c’est maintenant, alors,
c’est maintenant que tu te révèles enfin, désireux de vous deux, acolytes au grand jour - le doucereux joli des jardins à midi - et la scène est très belle, à outrance ;
il en souffre.

plutôt, il souffre d’y faire tache
comme une ombre au tableau
qui plus est au courant.

pétrifié à sa place, au-dessus le sentier, il admire le soleil vous éclabousser tendre - à des angles parfaits - en bordure le décor est idyllique, aussi, avec son vert, ses fleurs, sa nature éduquée ; tout l’ensemble miroite comme un Eden simple, pur, aux fruits prêts à cueillir. c’est l’endroit idéal pour s’apparaître franc, sans aucun filtre faux ; il sait.
pire encore il le sent, à chaque mot de ta part, chaque regard chaque geste : sont si toi que lui manque de te les rendre, tous, qu’il les ramasserait si seulement il pouvait comme des perles ou des bris - s’y couperait un peu - tant pis ;
il ferait ça, et puis, il te dirait reprends.
je t’en prie reprends-les, tes excuses gentilles, tes erreurs avouées - ton bel amour de frère - reprends tout ! garde à vie ! ne me laisse surtout pas y poser les doigts, encore moins les tenir ; je vais te les souiller et tu regretteras.

mais c’est maintenant, et c’est trop tard.

trop tard la porte ouverte, trop tard ton cœur offert ; trop tard puisque Lazare a cédé son chez lui, et même son âme propre aux Enfers avant toi. tu l’accueilles - mais trop tard - trop tard pour te prévenir, finit-il par te dire, d’accord. il est déjà piqué, t’empoisonnera peut-être. il le sait à tel point qu’il n’ose plus y toucher, à vous ; se dérobe à ta main lui chauffant son épaule.
je te dois des excuses, moi aussi, en nombre si grotesque qu’il en a le vertige, j’aurais dû t’écouter tellement de fois, tu sais ; j’ai arrêté de compter. et maintenant, maintenant je les comprends tes remarques d’aîné, toutes les mises en garde - pour m’emmerder, j’ai cru longtemps - mais je sais maintenant ;

je le sais, je te jure,
que tu veux faire au mieux.

incarner les Sauveurs et ce depuis toujours ;
il te met en péril en te prêtant serment,
va sabrer ton image, pardonne-moi.

pardonne-moi maintenant les offenses au passé,
car toutes celles à venir, elles seront inexpiables.