Il avait hésité longtemps à venir la voir, et s'était demandé ce qu'il pourrait bien lui raconter. Et Cameron en sa qualité de frère ne se sentait pas tout à fait légitime à aller la voir, lui souhaiter un bon retour parmi les vivants. C'était un défilé devant sa porte et il s'étonna de la voir si populaire, lui qui pourtant avait du mal à tenir une conversation simple avec elle. Il s'interrogea un moment sur ce qu'il faisait d'elle une personnalité si appréciée puis se reprit silencieusement — sa soeur venait de mourir et c'était ridicule de chercher à se disputer avec elle dès sa deuxième vie entamée.

Puis sans crier gare, s'assurant pourtant depuis une dizaine de minutes qu'elle était seule, il poussa la porte et sentit tout de suite sa gorge se nouer doucement, comme si on serrait un noeud avec ses cordes vocales. C'est la voix rocailleuse et mal affirmée qu'il prit la parole alors. Ah, j'suis rassuré j'ai cru que t'allais revenir en bébé ... Je te préviens je t'aurais pas appris à marcher, hein. C'était peut-être sa façon à lui de dire j'ai eu peur pour toi. Il est presque gêné au sein de son propre corps, s'assoit maladroitement sur le lit d'hopital et tord de ses doigts un bout de drap ; il y a mille et unes choses qui se bousculent dans sa tête, aimerait l'inonder de questions et s'assurer qu'elle ne manque de rien, aimerait l'enlacer, lui raconter comment elle lui a manqué et comment il aurait aimé qu'elle soit là, quand il avait besoin d'elle.
Il aimerait lui exprimer tous ses doutes, ses insécurités et lui demander qu'est-ce qu'il cloche chez moi ? Pourquoi Georges est partie avec Pascal et pas avec moi ? Et tu aurais fait quoi, toi à ma place ? Pourquoi tu n'es jamais me voir ? Et ton cocktail préféré ? Et mon appartement, tu n'es jamais venu : pourquoi ? Et tu crois que j'ai bien fait, de séparer le blanc et la couleur de la machine ? Et tu crois que ... Et qu'est-ce que tu penses de ... en pensant à chaque situation dont il a douté de la fin et qu'il aimerait pouvoir refaire. Il rêverait de confier en elle tous ses rêves et ses craintes, ses cauchemars et ses plaintes mais tout ce qui arrive à se frayer un maigre chemin entre ses lèvres, c'est
Ça va ? qu'il lui jette entre deux souffles. Et ses joues se colorent d'un rose encore timide — pourtant Cameron est mort de honte.

@Diane de Landrey

La mort n’avait en rien changé Diane et Cameron à cette pensée ne sut s’il voulait s’en réjouir ou plutôt en pleurer. Elle l’enlaça comme ce à quoi il s’attendait et posa les questions qu’il s’imaginait lui brûler les lèvres. Il n’avait qu’une idée déformée par l’adolescence et la colère inexpliquée de sa soeur mais il avait su anticiper ses faits et gestes — peut-être leur filiation n’était pas si bidon, malgré tous les efforts que Cameron mettait à se distancier d’eux.
Bien sûr que j’allais venir, au moins pour te voir. Bah, t’es quand même … enfin je suis … tu m’as comprise, quoi. Et sans l’expliquer ses remarques réveillèrent un courroux ancien et une angoisse latente : Cameron n’avait jamais vraiment quitté l’île : il l’avait fui. Tu sais, Diane, j’ai ma vie dehors, maintenant. J’ai quitté ce que tu considères la maison, j’imagine. Je suis là pour quelques jours, c’est tout. Malgré son assurance faussée Cameron n’avait même pas construit un semblant de vie nulle part. Il ne faisait que rêver d’un là-bas parmi les mythes et héros, ne sait toujours pas la direction à prendre et finit par rebrousser chemin alors qu’il n’avait fait que trois pas en avant. Et puis, tu sais, j’ai reçu un titre, je suis le Tueur de Méduse, c’est pas rien, hein ! Une expression lumineuse s’empara de ses lippes et vint illuminer la pièce aseptisée et morbide tant le blanc devenait aveuglant et gênant.

Mais Cameron, de voir sa soeur ainsi, une vie consumée, ne put s’empêcher de se remémorer la perte des siens face à Méduse. Il revoit le moment où Armand se retrouva condamné, Georges pétrifiée et Pascal — il n’y pensa plus. C’est vrai, ce qu’ils disent, quand on meurt ? Tu as pu voir Papa ? Cameron comme une rivière débordait doucement de questions et d’émotions — et puisqu’il a commencé à couler il ne saura sans doute plus s’arrêter. Tu sais, Zeta et Pascal sont morts et- Armand, ses jambes … Sa voix se meurt là où ses yeux perlent doucement. J’peux pas m’empêcher d’me dire que si j’avais fait les choses mieux, ils … enfin, tu vois, quoi Il vient nicher sa tête près de l’épaule de sa soeur.
Et Cameron réalise alors qu’hormis ses Rats de la glisse, il a presque personne autour de lui : tout le monde est mort ou simplement parti.

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Il n'eut cette fois-ci pas le coeur de lui offrir ses habituels haussements d'épaules indolents mais innocents : Cameron se contenta de laisser couler la remarque de sa soeur : parfois les mots sont plus utiles au fond de l'océan qu'à flotter ainsi, à la surface.
Ouais, bref ... C'était sa façon à lui, sans doute, de ne pas l'inciter à ramener encore le sujet. Cameron, vraiment, mettait beaucoup de bonne intention pour que le dialogue se déroule pour le mieux. Il continuait de penser, en boucle, que sa soeur venait de décéder, qu'elle n'avait pas besoin de ça ; pourtant c'était elle qui s'amusait à mettre le doigt sur les plaies les plus profondes et sanguinolentes.

Son endocarde s'arrête puis reprend plus vite qu'à l'accoutumée quand elle prononce ces quelques mots, je suis fière de toi. Il avait l'impression d'avoir gravi le plus haut mont de l'univers, d'avoir réussi un travail digne de ceux d'Hercule. Puis soudain le tout lui sembla idiot : il a fallu une mort (un presque abandon) pour que Cameron tende la main vers cette famille — cette soeur. Et il se sentit de nouveau risible et méprisable.
Oui, enfin, c'est pas ... terrible-terrible, quoi, on a eu de la chance aussi. Il avait tout fait pour décrocher d'entre ses lèvres ces cinq mots et maintenant qu'il les détenait, ces foutus cinq mots n'avaient plus autant de saveur ni de valeur. C'était des années d'efforts et de risques inutiles qui partaient en cendres au gré du vent que soufflait Diane. Un vrai titre de Héros, venant de Diane, ces mots sonnaient comme une vaste blague : Cameron aurait pu en pleurer de gêne et de honte. Il aurait voulu lui hurler qu'elle gâchait tout, encore, qu'il la détestait plus que tout, et qu'il était persuadé de nouveau qu'elle le haïssait du plus profond de son coeur de pierre, de glace et antarctique.
Il n'en fit rien, se contenta de réprimer ses trois larmes de pacotille et de ne pas renifler trop bruyamment.

Ouais, t'inquiètes : le prochain monstre je le dégomme en deux-deux. Mais vas-y, déstresse toi, ça arrivera pas demain non plus Il essaya de contenir sa question mais elle fut plus forte que sa maigre force de volonté à ce moment-là, alors, comme pris d'une pulsion irréfrénable et pécheresse il avait vomi sa question, sans oser la regarder, toujours posé sur son épaule. Et- et alors ? Il est comment ? C'est vrai qu'on a ses yeux, tous ? Et il est cool ? C'est pas un gros loser quand même, si ?! Et, euh, je peux te demander vous avez parlé de quoi ou ça te gêne ? C'est que Cameron ne l'avait jamais vu ni rencontré, lui.

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Il camoufle maladroitement sa déception et se réjouit de savoir ses yeux, ses lèvres et ses sourcils subtilement hors de portée, grâce à leur position. Diane à travers ses quelques perles de sagesse pose les questions qui font sens et pourtant qui renversent Cameron à chaque fois. Pourquoi personne n'arrivait à comprendre qu'il ne voulait pas s'interroger comme ça, lui ?
Il n'en voulait pas, de cette anxiété et de tout ce qui lui suivait : Cameron a choisi de ne pas totalement grandir. Et depuis il s'est enfermé dans son immaturité qui lui va si bien à la peau — mais si mal au coeur.

Il l'écoute parler encore et s'ensuque de ses paroles.
Ah ouais ? À ce point là ? Cameron, se disait-il, ne jamais pouvoir comprendre quel intérêt ou quel avantage sa soeur pouvait imaginer tirer de placer cette adelphie morcelée en avant ; personne parmi eux ne lui rendait ne serait-ce que la moitié de ce que leur ambassadrice leur allouer. Cameron, quelque part en avait conscience — n'arrangeait en rien son comportement et lui imposait de plus belle ses idées. Il avait sans doute de son père plus que leurs yeux bleus : Cameron se persuade de porter avec lui l'aléatoire des vents tournants et des courants changeants.

Mmh, ouais ...
J'imagine que ça sera grave la merde avec les ambassadeurs et tout ça. Moi j'y capte rien mais j'veux rien avoir à y faire non plus, alors ... ouais, ce que je veux dire c'est bon courage, en fait. Et une partie de son encéphale s'embrume quand il repense à Leslie Tiens Didi je peux te poser une question perso ? Son interrogation était purement rhétorique C'est quoi ces conneries avec Leslie ?
Il dissimule cette fois-ci habilement toute trace d'émotion dans sa question. Cameron est comme un lion en cage dont il tenait la clé de la serrure ; attendant le bon moment pour s'évader.

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Se laisse bercer par les eaux calmes et le courant doux de Diane. Cameron n'a jamais connu que la tempête et les torrents des marées hautes. Il n'a vogué que sur des mers agités et n'a crié qu'avec les vagues qui s'écrasent contre les phares les plus solides ; Cameron pourtant n'a jamais vu Diane tempêter comme il s'entête à le faire. Elle ne gronde pas, n'éclabousse pas : elle est précise et nette. Elle se déverse comme elle le devrait : ne sort jamais de son lit. Cameron inonde et saccage. Il ne le sait pas tout à fait mais quelque part il jalouse Diane — comme il jalouse beaucoup de monde.


Qui ? Leslito ? Non, non Ne remarque pas les subtilités de sa soeur : s'éprend et s'épanche dès qu'on lui en laisse une occasion.
Je l'aime mais pas comme ça. Ça serait bizarre, non ? De sortir avec son ami ... Non, c'est trop chelou et c'est dégueu, aussi, un peu. Enfin, dégueu parce qu'on se connait trop je lui casserai trop les couilles, c'est sûr. Il s'imagine encore un autre amour inutile qui finira en raz-de-marée et en vaisselles brisées. Les courants de Cameron ne sont pas les plus évidents à suivre et chaque nuage est annonciateur d'un tsunami. Ce sont des eaux cristallines mais le siphon n'est jamais loin : le cyclone prend naissance dans les ciels les plus bleus.
C'est toujours de moi qu'on finit par parler j'me rends compte que j'crois que j'te connais pas tant que ça ... Tu veux pas me dire un truc sur toi ? Que t'as jamais dit à personne, je veux dire.

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