Les journées se dessinnaient bien grossièrement sous son regard, des matinées passées à trier et ranger, des après-midis écoulés à la vitesse d’un temps capricieux et instables, et cette sensation si tranquille d’un monde empli et doux. C’était posé dans ses entrailles, ce petit bonheur stable dont elle rayonnait et elle ne désirait rien de plus que voir dans les yeux d’autrui le reflet de sa félicité. 

Aujourd’hui était de ces journées ordinaires, une vie passée à être assise derrière son bureau et à discuter littérature avec ceux qui daignaient de lui adresser quelques morts. Les habitués la saluaient et elle leur offrait à tous un geste de son affection. Les habitués, oui, elle avait apprit à les reconnaître comme la terre apprenait à reconnaître les sillons du râteau et un homme se détachait du paysage éternel.

Il semblait grave dans ses traits d’un temps passé, ses yeux comme ceux des tristes sirs soigneusement baissé quand les siens venaient à les croiser. Ses mains longues, reposaient toujours le long de son torse ou endormies dans le creux de ses bras croisés, il lui parlait que peu avec ses petits mots coupés de velours.

En lui, en ses gestes affectés et délicats, elle ne ressentait que cette suave persuasion comme une curiosité dirigée vers un point précis. Lequel se questionnait du bout des lèvres, Miel. Et d’un haussement d’épaules, elle chassait ses pensées bien indiscrètes. Cela n’était pas son rôle après tout, pas sa place. Aujourd’hui était un jour où les livres s’entassaient, petites colombes blessées en attente de retrouver le nid de bois et de rayonnage. En fredonnant sa chanson que Miel s’activait, ses petites pieds tapotant le rythme inventé de ses mélopées puériles. 

Avant que le bruit du Réel ne vienne l’interrompre, l’homme s’était approché d’elle, le lourd ouvrage comme liant social entre eux. Ses lèvres se parent encore une fois de leurs solaires accoutrement, une joie sincère de le voir comme une joie sincère de le ressentir, lui. Ecore une fois, cette curiosité fine dont ses yeux étaient teints. Pourtant, le sourire se mua en un rire étouffé. La phrase était incongrue, surprenante, qu’elle n’y comprit rien. 

-Oh non. Je travaille ici, peut-être que vous êtez venu un Mardi. Je ne travaille pas les Mardi ni les Vendredis.

Sa main fit glisser le livre jusqu’à elle, sans cesser de maintenir ce contact visuel avec lui. Son esprit aimait glisser dans les failles, tirant partie de ce qu’elle pouvait ressentir mais lui, il lui paraissait bien opaque. Elle n’y voyait que la superposition de tant d’émotions et de sensation, un kaléidoscope abimé par les usages ne lui paraîtrait que plus clair en comparaison. Alors, elle se contenait de continuer de sourire. 

-Bien sûr, laissez moi vous enregistrer.

Dilligente Mielikki de ces doigts habituées qui tapote le clavier, un rythme régulier pendant que de son doigt, elle parcourait les inscriptions du papier d’identité. Les B caressaient son index de leurs arabesques avant qu’elle ne put conclure. Petite main qui tirait un papier, inscrivait d’une écriture habituée le nom et la date de retour. Et elle lui rendit, tout simplement. 

-Oh ! Moi ?

Perdue dans ses pensées, elle avait saisit les mots à la volée et de ce trouble naquissait une rougeur bien vite disparue. 

-Oui! Je l’ai lu. Il y a quelques temps, je dois l’avouer.

A cet inconnu nommé Benedict Beaujardin, elle lui offrait son enthousiasme des yeux pétillants et des lèvres entrouvertes par le plaisir. 

-Je l’ai trouvé plutôt pas mal, un peu longuet vers le milieu mais les scènes de romances sont très réussites je trouve. Mais l’action se laisse attendre et le style se permet des lourdeurs assez désagréables. Les personnages évoluent bien pourtant et, j’ai grand hâte de voir le prochain. Je devrais aller le chercher à New York, mais…

Elle se tut. Laisse le silence planer avant de secouer la tête. 

-Je ne dirai rien de plus, personne n’aime les spoiler, pas vrai monsieur Beaujardin ?

Soleil du printemps face à l’Hiver lunaire. 

Un rougissement blème échappait à Miel, une coloration discrète recouvrant son cou et ses joues avant qu’elle ne le dissimula prestement sous un toussotement léger. Les compliments prenaient rarement forme dans son quotidien, non que les gens ne l’aimaient guère mais chacun des mots aimables qu’on lui adressait été autant des fleurs immortelles qu’elle consignait avec soin en son être. 

D’un coup d’oeil, elle voulut le remercier cet inconnu trop familier, mais elle ne put pas, hésitante et évitante de cette joie sincère et de cette fraîche timidité. Benedict eut de ces troubles, un sourire sincère et un geste de sa main. Pourtant, elle ressentait cette chose étrange logée dans ses intestins, ce fâcheux sentiment qu’elle ne comprenait pas, ne pouvait pas s’expliquer à part par une gêne. 

Une faim. 

C’était ce trouble que Benedict ressentait ? Lui ? Si régulier avec ses mains soignées, cet air de parfait maîtrise, et ses yeux d’une sympathie amicale ? Mielikki le soupesait du regard, contemplait ses habits, ses mèches tirées et soignées derrière ses oreilles tel ses petites coquillages que les enfants s’amusaient à récolter lors des marées basses. Ses cheveux luisaient paisiblement sous les néons de la bibliothèque et elle fit taire ce sentiment. N’avait-elle pas assez mangé ce midi, voilà tout. Ou se sentait-elle malade ? Oui, certainement. De Benedict, elle ne ressentait que cette bonhomie paisible et cette tendresse toute particulière à son égard.

Cela la comblait. Cela la rassurait. Etre aimée était assez pour être heureuse. 

-Oui. Je dois m’y rendre bientôt avec mon frère, Sasha. Une fois que j’aurai fini de le lire, je le donnerai à l’emprunt, n’ayez crainte.

Le silence ainsi brisé, Miel pouvait voir ses fragments sur le sol. Petit oiseau dont la tension des choses non dites faisait voler haut et loin, brûlant ses ailes de charbon des vérités transparentes. Benedict rebondissait sur ce qu’elle disait, une question qui n’en était pas une et qu’elle ne sut pas traiter dans son esprit simplet. 

-Mh…. Je pensee que lire même en sachant la fin peut rendre la lecture plus agréable. Quand on sait ce qui arrive, cela met une certaine proximité avec l’auteur, on apprécie ou on désavoue plus facilement ce qu’il écrit. J’aime bien connaître la fin en avance, c’est amusant mais je ne sais pas pour vous, alors je ne souhaite pas vous embarrasser.

Elle allait repartir à ses affaires, après l’avoir gratifier d’un salut de sa main et d’une légère nostalgie, de se demander quand il reviendra et si il reviendra, sera t-elle là ? C’était toujours étrange de s’attacher aux ombres peuplant son quotidien, même si celle-çi était nommée, il était qu’un visage qu’elle voyait filer au fond de ses paysages. Mais alors qu’elle allait lui tourner le dos, il la prit de court. 

Son ton était intense, ravivant le point de tension en son ventre. Visage défait par la surprise puis par le plaisir, Miel plaquait ses mains en une prière devant sa bouche. Peu lui avait offert le plaisir de la laisser les guider, elle ayant tout lu. Le savait-il Benedict Beaujardin qui lui avait offert un rare don ? 

-Oui! Bien sûr! Enfin, vous pouvez emprunter plus qu’un livre, mais si vous le désirez, je peux annuler l’emprunt.

Elle sortit du comptoir, se mit à ses côtés, inspirant à pleins poumons son cologne, excitation passant outre le malaise tangible qu’elle ne savait comment expliquer. 

-Dites moi ce que vous aimez lire et je vous guiderai, j’ai tant de préférés, je ne saurai quoi vous conseiller si vous ne m’aiguillez pas sur vos préférences.

Elle n’eut aucun regret pour ce poste délaissé, aider les lecteurs était un plaisir bien trop rare pour être boudé. 
 

Benedict Beaujardin, un homme comme ce mystère sucré et acide des sueurs nocturnes. On se réveillait enseveli par un cauchemar sans en saisir la source si ce n’est cette étrange sensation de s’être abandonné dans son étreinte onirique, une fois de trop. Il possédait cette odeur capiteuse maintenant qu’elle était à ses côtés, cela était déroutant mis en diapason par son empathie affolée qu’elle réussisait à faire taire par les sourires dont il l’abreuvait. Miel avait promis à ceux qu’elle aimait de toujours écouter les cris de ses forts internes, cet instinct dont elle s’était érigée comme reine, mais face à lui, les yeux faisaient mentir le coeur.

Il ne paraissait pas pitoyable mais blessé et drapé de cet fierté mystique, des secrets qu’il pourrait chuchoter au creux d’une oreille si il était d’humeur à vous aimer ou à vous hair. Inconnu dont elle reconnaissait maintenant la silhouette, était-ce l’ordre des choses qu’il vient à son bureau ce jour-çi ?

Quelque chose hurlait, mais Miel mettait les voix en sourdine, il n’existait désormais que les fredonnements de la voix de Benedict Beaujardin, ses demandes et ses goûts comme pilier de ses désirs.

La romance ? Elle fut trop polie pour s’étonner de ce goût, l’homme portant le patronyme d’un jardin olympien venant de lui confier ce plaisir des amourettes. Quelque chose dans sa voix la fit frémir, offrir à son regard aqueux les rougeurs et les désirettas d’un faciès trop lisible à son goût. Miel toussotait désormais, éclaircissant ses pensées affolées, oiseaux en cage et domptés face au prédateur calme dont la blondeur lui conférait une auréole sous les néons orangés de la bibliothèque

-Mh… Pardonnez-moi, je dois couver quelque chose. Sinon, je pense que les romans de romance sombre pourrait vous convenir comme par exemple les Hauts de Hurlevent, Carmilla en grand classique. Sinon, en lecture plus récentes, il y a beaucoup de travail autour de l’idées d’âmes soeurs maudites, destinés à se rencontrer mais destinés à s’entrechoquer, se détruire si vous préférez. The Monster Son, par exemple la série. Il nous manque certains tomes mais je les ai lu et je les ai chez moi.

Sa main sur son menton, elle part, divage, se perd dans les îles des lectures comme autant de monde qu’elle aborde pour mieux s’imprégner à jamais rester dans les affres de l’imagination des autres. Elle lui sourit à ses compliments, perdue mais sincère dans sa tendresse.

-Non, c’est mon métier et j’ai que ça pour moi. Je ne sais pas combattre voyez-vous. Ne soyez pas jaloux, vous devez avoir vos belles compétences aussi.

Elle rit à l’étouffée avant d’offrir un regard de sympathie à celui qui subit ses lubies.

-Pardonnez-moi.

Encore une demande de pitié et de grâce prononcés par ses lèvres rougies. Mais très vite, les émotions se succèdaient. Elle comprenait l’espèce de tristesse tapie dans ses mots, la peine d’être incapable de rendre hommage à un nom auquel on est associé. Elle s’avançait, acceptait de se retrouver ainsi enseveli dans l’océan de son parfum. Et elle tendit la main, effleurait avant de ranger, on n’imposait guère un contact sans accord.

-Je comprends tout à fait, votre patronyme est français aussi, c’est doublement pénalisant. Si je puis me permettre, pensez juste que le e arrive après le a dans l’alphabet et donc que dans votre nom, le e arrive avant le a. Si cela fait sens. Si vous avez besoin.

Peiné dans son audace, Miel se tenait là et ici au milieu des livres, heureuse de vivre ainsi au service d’autrui.
 

L’innocence prenait tant souvent les traits de bénédiction, recouvrant les stimagtes du monde par la douce lueur d’une tendresse certaine. Face au monde sempiternel, Miel osait demeurer fixe.

Mains serrées, regard bienveillant,
Personne ne devait la toucher, personne ne devait le faire couler.

Pourtant il s’immiscait sans avoir l’air de, l’inconnu aux trats familliers et réguliers d’une ombre trop souvent croisées. Elle noyait les démons vigilants, les questions nombreuses dans les lunes ambrées de Bénédicte. Elle le vit inquiet, une myriade de choses dont l’intensité coupable se bousculait en lui.

Muette femme, toute tourmentée par ces palais d’étrange dont il paraissait être le roi et le serviteur. Vassal de ses émotions déchainées et obscures, il offrait à son regard que le visage régulier d’un homme ordonné. Mielikki ne disait rien car le silence était la forme de sa sympathie, le sourire ravivé de nouveaux espoirs dans les creux de son visage. Heureuse soit l’enfant dont le compagnon se pretait à ses caprices, elle le remerciait de ses manières.

Oublié soit le doute et la pernicieuse sensation de valser dans un piège plus large qu’elle.

Enfant d’Hécate. Son regard s’attardait sur ses cheveux, ses manières, cette magie silencieuse contenue dans les affres de son être. Fascinée, elle peut l’être. Curieuse, elle ne se le permettrait pas. Les enfants d’Hécate sont ces chouettes au regard centenaire, juchée sur le haut des cîmes de ces arbres silencieux.

-Hécate…

Quel jugement pouvait-elle se permettre ? Quels mots pouvaient être ainsi être prononcés ? Elle chassait ses ingrates pensées pour formuler une vérité d’une évidence douce

-Etre rusé est déjà une bonne chose, il y a tant d’histoires d’héros bravant la mort grâce à la ruse. Athéna n’était-elle pas connue pour être rusée ? Je suis contente de rencontrer un enfant d’Hécate, vos dons sont toujours très appréciés.

Un aveu de son incompétence délicate qu’elle ne prenait guère plus la peine de maquiller de pudeur et de gêne. Admirant les mouvements de l’homme, elle en vit presque à se demander quel est le sens de ces gestes. Le sens de ses sourires, de cette façon de la couver de ces regards longs, mais elle tirait les livres de leurs sommeil et de leur lit avant de s’attarder sur ces questions bien futiles. C’était cette raison pour laquelle elle avait décidé de vivre et de s’épanouir.

Une pensée incertaine, cruelle, méchante pointait en son coeur. Soufflée par sa médiocrité, elle préferait l’envoyer se dissoudre dans les affres de son inconscient. Ses doigts cachés dans les poches de sa robe, monde dont l’envegure commençait à s’amenuiser pour laisser de la place que pour eux. Perdus dans les livres, et dans les regards lents de ceux autour d’elle, elle suffoquait.

Mourait.
Il y avait quelque chose d’insupportablement sucré dans sa voix, dans ses manières, et elle ne savait guère si elle souhaitait y goûter encore un peu, biche dont la langue effleurait le ruisseau ou si elle désirait s’enfuir. Encore une fois ce doute. Mais que voyait-elle à part la gentillesse, la sollicitude à ses manières ?

Déviait elle de sa promesse de guider les gens vers le savoir ?

-Non.

Prononcé à voix haute, elle se rattrapait vivement.

-Non, bien sûr que non. Prenez tout votre temps pour lire, vraiment. La lecture n’est pas une course, la suite vous attendra toujours. Du moment que vous aimez, c’est moi qui vous remercie. C’est mon métier après tout.

Et Miel souria, avec ses dents faites pour luire au soleil. Son aura de pacification comme une lourde couverture enroulée autour d’eux, ce monde, elle en deviendra le soleil et le feu. Pour apaiser ces violences inconnues qu’il portait en son être.

-J’ai du thé à mon bureau, quand vous aurez fini,venez me raconter ce que vous en avez penser, je vous offrirai une tasse.

Pour le remercier et lui signifier.
Que rien n’était ce qu’il semblait être.