Leslie fut le premier à mentionner Pascal. Aubépine, de son côté, soutint cette question par un « Ah bah oui, et Pascal comment il va ? » Elle s’en voulait de ne pas y avoir pensé — mais, finalement, qu’avait-elle fait, depuis « l’incident » ? Mis à part fixer le plafond et refuser d’admettre la simple possibilité, l’idée même qu’elle aurait pu aller mal ? Elle jeta un coup d’œil dans le pli discret de sa manche, pour y apercevoir une peau violacée, dernier souvenir encore frais d’un os brutalement brisé et tout aussi rapidement réparé. Avec du recul, elle réalisait que les évènements du festival lui semblaient presque irréels, comme si tout cela n’avait été qu’un mauvais rêve commun. Des gens sont morts, tes amis sont morts s’efforça-t-elle de penser. Mais elle releva les yeux sur Georges, qui préparait ses cocktails et servait de l’eau à sa chienne, et ne ressentit rien. Wis, de son côté, était imperturbable — peut-être même était-elle ravie par la tournure qu’avaient pris les choses. Aubépine n’allait pas travailler, et restait donc davantage avec elle. Les gens tristes lui faisaient toujours plus de câlins, ce qui était forcément chouette. Et en plus, ils partaient en balade, ce qui ne pouvait être que positif. La fille d’Iris lui ébouriffa les poils du crane. En quoi était-elle si différente de sa chienne, finalement ? Lorsque Georges mentionna la pyjama party, elle releva la tête comme Wis l’aurait fait si elle avait entendu « promener » ou « gateau ». Sans se faire prier, elle ouvrit un portail d’un geste de la main, fonça dedans, pour en ressortir une bonne minute plus tard avec un affreux pyjama noir flanqué de Sasuke et de son frère. Je peux pas faire une pyjama party sans mon pyjama spécial pyjama party !! s’exclama-t-elle en revenant dans le salon, empoignant le vêtement d’un air victorieux.

Elle n’avait jamais eu de « pyjama spécial pyjama party ». Elle venait de l’inventer à l’instant.

Première bonne nouvelle (ou plutôt deuxième, si l’on plaçait l’annonce du gâteau qui cuisait au four en premier) : Pascal allait bien et n’était plus maudit. Elle se serait levée de sa chaise si elle n’était pas déjà debout. SÉRIEUX??
Avoir Pascal incapable de rire auprès d’eux était devenu tellement… tristement habituel, qu’elle ne se souvenait même plus d’une époque où il avait été capable de rire. Ce qu’elle avait hâte de pouvoir l’entendre s’esclaffer !!

Oh !! OH !! Je sais, il faut trop qu’on- qu’on réfléchisse à une blague !! Mais pas n’importe quelle blague hein, attention ! Un truc de grande ampleur, quelque chose de- je sais pas, quelque chose de mémorable, dont il se souviendra toute sa vie, et nous aussi d’ailleurs !

Quelque chose qu’ils pourraient mettre en place ensemble — à trois, et elle ne mentionnerait pas le reste des rats, parce qu’il était encore trop tôt pour ça. Il y aurait d’autres opportunités plus tard.

Je veux qu’on soit les premiers à le faire rire.

Elle n’avait même pas encore terminé sa phrase qu’elle avait déjà réalisé à quel point cette idée était aussi stupide qu’impossible.

Bon, c’est sans doute déjà arrivé, ok, mais laissez moi rêver ! On va le faire pleurer de rire comme il n’a jamais ri !

Mais, avant toutes choses, Georges voulait savoir. Une question tout à fait légitime. Elle avait été là tout ce temps, après tout, mais sans vraiment l’être. Elle revoyait encore l’image de sa statue, son visage meurtri, sa main tendue vers un espoir que l’on venait de tuer dans l’œuf. Et pourtant, malgré tous ces efforts, ça ne lui faisait toujours rien. Elle ne parvenait pas à associer son amie à la statue, comme si elles n’avaient jamais été la même personne.

Georges avait le droit de savoir. Alors elle lui dirait la vérité, sans forcément aborder certains… détails. Aubépine se tourna vers Leslie, plutôt pour lui signaler qu’elle se lançait que pour demander un accord commun.

Bah, je me suis cassé le bras, (pas la peine de préciser comment c’était arrivé), mais même pas quelques heures après c’était déjà réparé ! C’est quand même fou tout ce qu’on peut faire, avec ces pouvoirs!

Même après avoir grandi entourée par ces derniers, ils continuaient de l’impressionner tous les jours. Jamais les siens, mais ceux des autres : ils avaient une maîtrise et des usages auxquels elle n’aurait jamais pensé. Ils accomplissaient des miracles qui la fascinaient tous les jours.

Ça fait trooop bizarre quand ils te réparent l’os comme ça ! C’est pas vraiment que tu sens tout bouger et… C’est pas douloureux, mais c’est super désagréable. 6/10 : super utile mais pas l’expérience la plus plaisante qui soit ! Enfin, c’est toujours mieux qu’un plâtre.

Que pouvait-elle raconter d’autre ? Dès l’instant où Pégase était arrivé, ses souvenirs étaient effroyablement flous. Et parmi les quelques bribes qu’elle parvenait à retrouver, il lui était difficile de deviner lesquelles étaient vraies, et lesquelles étaient des créations constituées de toutes pièces par son cerveau pour combler un vide qui n’aurait pas du exister.

Wis, de son côté, posa sa tête sur les genoux de Georges. C’était elle la plus triste, ce qui, stratégiquement, signifiait qu’elle était la plus susceptible de lui offrir de bonnes caresses. Une opportunité en or qu’elle ne pouvait pas se permettre de rater.

Je me rappelle de Pégase aussi. Elle se rappelait très bien de Rhys et de Pascal, également. Elle le garderait pour elle. Apparemment je suis montée dessus, mais je m’en rappelle pas!

Aubépine prit son verre, en avala quelques gorgées, savoura la sensation chaude et délicate de l’alcool qui coulait dans sa gorge. Elle préférait occuper ses lèvres avec un verre, avant de les laisser dire des choses maladroites, telles que « mais bon, c’est du passé maintenant, ça va ! », alors que c’était encore si frais dans les esprits de tout le monde, sauf le sien, pour lequel tout semblait si lointain.

Elle se tourna vers Leslie, cette fois ci, pour lui demander silencieusement s’il souhaitait ajouter quelque chose.