la douleur eut été pénible, aggravée par l’ego qui souffre lui-même d’avoir dû battre en retraite. mais antigone s’était, heureusement, bien sustenté ; de quoi avoir le corps à l’agonie mais l’esprit vif.

plantée à la maison comme un cadavre qui ne quitte point son cercueil, antigone se tuait à la tâche depuis un moment à reproduire au crayon de bois le portrait de l’avorton qu’elle se voit torturer avec plus d’amertume encore que les plus horribles des tortionnaires de nos siècles passés.

quand elle entend la porte se claquer.
et la porte ne se claque que pour elle, et lui.

lui qui fut introuvable sur le champ de bataille, lui qu’elle avait cherché pour lui chanter ses propres exploits, curieuse d’entendre les siens. sans qu’on ne trouve aucun cerbère près des morts et des blessés. sa colère, elle dû la reporter sur duke, qui n’en avait cure. plus rien n’allait et la solitude grondait.

la colère sur son visage lutte pour ne pas laisser place au soulagement. ses sourcils se froncent, ses lèvres se pincent, ses épaules se haussent et s’affaissent. antigone s’était vu gratter la terre toute la nuit s’il n’était pas revenu ; car les dessins n’auraient pu la tenir en cage plus longtemps.

elle s’approche de cet épave qui est son chien, s’agenouille pour mieux observer sa laideur. voilà bien une rare occasion où elle ne put être jalouse de lui.

on ne m’attrape pas si facilement. je t’apprendrai.

ses doigts crochus glissent sur l’humide peau de lucius, elle cherche à tatillon les cicatrices de ses batailles passées. mais il était lisse, tel un nouveau né. ça la répugne et antigone n’aime pas les renouveaux.

tu es dégueulasse. et t’as cradossé la maison. hors de question que je nettoie ta merde.

elle grimace, découvrant lentement à quel point il n’est plus tout à fait lucius mais elle doit s’y faire, l’aider à se retrouver pour qu’elle puisse les retrouver eux.

va dans la baignoire, je te lave ; et après on s’occupe de tes cheveux.

antigone se relève, laisse au sol le déchet qu’il semble être devenu.

dépêche clébard, tu vas pourrir mon parquet.

lève toi lève toi lève toi putain, montre que t’es pas mort.

les épaules se haussent, l'air est hautain. antigone ne craint aucune chasse et dans toutes les batailles il ne lui faut pas forcément en ressortir gagnante ; elle sait simplement qu'il faut s'en sortir. pas moyen que les enfers profitent de sa présence avant qu'elle ne capitule face à la vie.

mais lucius l'attrape avec sa saleté, répand sur elle le slim putride de sa renaissance : et elle grogne, animée par la colère. son corps se raidit et son visage grimace, putain ce qu'elle le déteste. d'une main agitée elle essaye de se débarbouiller, mais l'odeur s'est attaché à elle (et puis à lui aussi)

quand elle le remarque, debout, et plaintif, la renarde soupire et vient se loger près de lui pour le soutenir dans sa démarche. foutue pour foutue de toute manière…

depuis quand tu remues la queue pour hadès…

ça l'intéresse tant que ça que le dieu des enfers salue sa visite ? c'est un détail qui t'échappe. à quoi bon, de toute manière ? sa place est ici. dans tous les univers, et pour tous les siècles à venir : hadès n'est qu'un ex toxique et antigone incarne le meilleur choix de sa vie.

c'est ce qu'elle pense. parce que le voir partir ailleurs la tuerait. d'une colère si acerbe et brûlante ; new york tout entier n'y survivrait pas.

elle les traîne jusqu'à la salle de bain, le laisse se débrouiller de son côté pour se dévêtir du sien. à nue elle rejoint la baignoire, lui imposant la même place par un regard glaçant.

ça ne lui plaît pas, quand ce n'est pas quelqu'un qui s'occupe d'elle mais l'inverse. capricieuse aux désirs indénombrables, il n'y avait généralement rien de plus agréable (mais elle ne l'avouera jamais) que d'être touché par lucius. malheureusement c'était à son tour de se donner.

quand il la rejoint devant elle, elle saisit le pommeau de douche, tiré d'une main peu tendre quelques mèches de son crâne pour qu'il penche la tête en arrière. à cet instant elle fait couler l'eau, au début trop froide, puis trop chaude, jusqu'à enfin tiède. ses yeux observent les siens.

j'ai failli tuer duke. je pensais qu'il savait où tu étais et qu'il ne voulait pas me le dire. j'aurai détruit sa sale tronche, et toute la ville, si on ne m'avait pas empêché. putain de glandu que t'es à pas être capable de faire ton travail sans caner. c'est pathétique. tu me gaves.

tss.

il dit qu’il l’emmerde, elle entend qu’il l’adore. sous ses doigts habiles, antigone rend moins laid le clébard de la maison, et, elle ne dira jamais comme elle aime cet instant. ou peut-être osera-t-elle le dire, tout en ignorant que ce n’est pas l’instant en lui-même, dont elle raffole.

qu’il est bon de le manipuler entre ses mains, de sentir son corps même crasseux contre le sien ! sans se contrôler, elle l'entoure même de ses jambes, le gardant captif tout entier alors qu’elle le nettoie sans pudeur. elle tend les doigts, récupère du savon, le fait mousser dans sa crinière. tout est calme même si lucius est à l'image de l’enfer, et pour une fois antigone ne hurle pas.

rien.

elle ment, mais il n’a peut-être pas vu la blessure à sa nuque, morsure de loup.

j’ai mangé quelques humains pour les effrayer, puis un demi-dieu, au dessert. c’était royal.

elle glisse ses ongles contre les épaules du garçon, serre suffisamment pour témoigner de sa présence sans qu’elle ne devienne une agression. antigone a besoin de sentir, de ressentir. la peur qui l’a rongée est partie mais laisse en elle un manque qu’elle doit combler, vite, et fort, pour ne plus rien craindre. elle entoure son cou de ses bras, pose son menton sur le sommet de son crâne shampouiné. il est à elle.

je ne l’aime pas, ton corps, comme ça. ce n’est pas mon lucius. tu dois absolument retrouver tes marques. je n’aime pas le changement, tu sais ; j’ai l’impression d’être la seule à ne jamais crever dans cette putain de secte.

ses doigts effleurent la peau, ses bras ne relâchent pas leur étreinte. antigone ne le saura jamais car elle n’y pense pas mais, à cet instant elle pourrait affirmer qu’elle a tout.

dors avec moi ce soir. ordonne-t-elle d’une voix monotone.