Du bout de ses jambes, la nuit avait déjà franchi le périmètre du vivant, du réel, de ce monde tangible autour d’elles. C’était à grand peine que Mielikki considérait cet état de fait, les doigts et l’esprit plein de ce monde si grand dont Dionne lui confiait les clés et le soin. Elle se rappellerai toujours de cet émoi quand elle était venue, les yeux chargés de toutes ses demandes silencieuses que même les mots ne parvenaient que mal à retranscrire. 
De l’aide, l’immortelle Dionne appelait celle qui aurai pu être qu’une enfant de grands chemins à ses côtés, et la joie éclatante de Miel fut la plus haute des affirmations.

Alors parfois quand les journées s’accordaient et quand les astres les appelaient, elles se croisaient et elles passaient heures à lire et à corriger. Traduire parfois ces termes volatiles et ses expressions farouches sous la verve aiguisée de Miel. Un monde entier qu’elle ne soupçonnait au grand jamais, petite Miel. Ses femmes tourmentées que Dionne peignait comme si elles furent autre chose que des figures anonymes d’un monde destiné à les écraser, les presser et extraire jusqu’à la dernière fragrance, leur identité et leurs ambitions. C’était presque émouvant d’être si petite maine pour une si grande cause, alors, elle s’affairait dans ce bureau aussi splendide que celle dont il appartenait. 

Mains minuscules secouant les papiers, extrayant le texte et la sentence pour le contempler d’un oeil qu’elle pensait critique. Cela n’était pas qu’une question de travail bien fait, pensait-elle, le regard tourné vers la haute et gracile figure de l’enfant d’Hébé. 

A sa question, elle n’eut qu’une mine figée, tournée vers l’intériorité de sa personne avant de secouer la tête. 

-Ce qui m’apparaît dans tes textes, c’est cette quête de transcrire ce que tu penses être vrai. Cette femme, j’entends sa voix, j’entends tout ce qu’elle a subi et fait subir. C’est si triste que mon coeur se serre.

Mains sur sa poitrine, elle étouffe. S’étouffe de ces bons sentiments comme si elle pouvait en faire une justice pure et parfaite. Mais d’un souffle, elle reprit son analyse, tirant papiers à son regard. 

-Ton style se prête à ça, tu poses les faits et tu en tires ce que tu veux en tirer. Ces femmes… les femmes de l’autre monde doivent s’en rappeler, c’est un peu comme une mamie qui a vécu les tranchées et qui doit raconter à ses enfants les horreurs de ce qu’elles ont pu éviter. Si tu l’adoucissais, tu rendrais ça terne mais plus lisible pour ceux qui auraient pu être toucher. Il faudrait que tu penses à quel public, tu veux toucher. Les convaincus ou ceux qui doivent être ralliés ?

Et ses mots ricochaient sous les hauts plafonds, cette ribambelle de petite expression toutes tirées et effacées par sa voix de chuchotis et de petites vérités. La paix s’instaurait malgré le malheur tapi entre les lignes, appréciant ces doigts si précieux qui jouaient en ses cheveux la mélodie du frottement régulier des mèches entre elles. Dionne apportait à sa vie cette teinte d’un orange tendre, vif pendant les crépuscules mais si chaleureux le restant du temps. L’admiration s’était mué en une forme d’amour, d’une amitié maquillée par le respect que son expérience inspirait. Elle était ces grandes statues d’or gravés, celles dont Miel retenait le souffle devant, de crainte de les souiller. 

Les mots s’arrangeaint dans son esprit, nouvelle valve de terme qu’elle voulait lui offrir pour la guider de ses yeux qui avaient déjà tant lu. Mais la voix de Dionne la rappellait, l’ordonnait sans nulle violence.

De la regarder.

Elle lèvait la tête, croisait ces étendues chaleureuses de son regard, lui souriait par habitude, par bonheur, par sincérité, par une myriade d’émotions que la tranquilité de Dionne lui inspirait. Cette main manucurée pouvait bien reposer sur sa peau encore et encore, elle l’accueillerai. Miel désirait l’amour et son retour et en ses gestes d’une paisible familiarité, elle s’ouvrait, éclosait entre sa paume et le dossier du fauteuil. 

Pourtant, quelque chose perturbait l’équilibre, elle voyait cette petite étincelle au fond de son regard, la main avait quelques soubresauts et ses sourcils se fronçaient. Et l’averse tombait. Délicate, simple, absolue.

Lire ses souvenirs ?

La rougeur s’emparait de son visage, teignait les traits de son être de toute l’intimité que cette requête déclarait. Et la liesse comme une impromptue invitée vient se joindre à son esprit. Miel ne percevait nulle doute en Dionne, alors même, elle se permit de s’enquérir. 

-Tu es sûre ?

Sourire qui devenait grave, une éclipse d’un soir sur le visage tranquille de Mielikki. 

-Je serai ravie de le faire, je veux simplement que tu saches que…je suis honorée. Et que je verrai tant de toi, peut-être trop. Tu m’en voudras pas ?

Elle lui caressait de ses phalanges adoucies, les contours de sa main. C’était tel un chaton dont elle venait enfin d’obtenir les premiers confidences, les derniers instants de faiblesses avant de découvrir ce qui reposait en dessous. 

On n’imaginait guère l’innocence comme quelque chose se conservant face au temps, à l’innocence éternelle on y mettait les étiquettes bien méchantes de la bétise et de l’abruti ou si la tendresse adoucissait les mots peut-être qu’on verrait en l’innocent qu’un fada mal dégrossi.

Aimable et aimant.
Mais dont la limite de son esprit rendait accessible que les choses du mystique.

Elle aimerait tendre ses doigts filaments à Dionne, lui montrer par la fermeté de sa poigne que les autres ne l’affaiblisaient pas. On ne demandait jamais à un feu combien d’être il pouvait réchauffer, le monde entier pouvait trouver place et usage de ses braises avivées. Miel pouvait accueillir en ses pensées la peine d’une humanité toute faite, car son coeur demeurait de la pureté de la plus exemplaire.

-Dionne…

Ce souffle comme un soupir à la femme légende, ondulant dans une danse n’appartenant qu’à elle, marqué par les âges et les femmes de sa vie, Miel lui offrait ce soupir, ce désir.

-Ne te fie pas à ma carrure, à ma voix, à mes manières. J’aimerai tant être vieille et ridée, affaiblie par les âges pour qu’on puisse enfin me comprendre. Je suis là, pour tous et pour personne. Tant que quelqu’un s’asseoit à mes côtés, et mange mes mets, je suis là. Tu pourrais me refuser tes souvenirs que j’écouterai tes paroles car au délà d’être une présence dans ma vie, je t’ai choisie.

Cachée dans les méandres des passés, Mielikki contemplait la figure d’une régularité régale de l’ambassadrice de l’enfant favori de Zeus. Ses mimiques, jambes domptés en un noeud de chair, tout cela lui paraissait si lointain.

-J’ai vu des choses, entendu des choses que personne ne pourrait croire. J’ai vu des pères et des mères aimants, des gens s’adorant puis se haissant. J’ai vu les morts et les vivants comme une masse informe, j’ai vu la lune s’éteindre, j’ai vu le début des hommes, j’ai vu la fin de la race d’argent. J’ai vu les flots recouvrir les maisons et les villages, j’ai vu les flots se retirer. Les nymphes ont bien souvent besoin de parler, tu sais.

Ce sentiment d’être plus ancienne lui était d’un plaisir tiède et lointain, elle ne voyait que Dionne et la manière dont ses doigts se joignaient à sa main. Ses secrets dont elle ne parlait qu’à mi mots, les amours entrelacés de ses histoires passées. La violence de son existence étalés sur la toile de l’innocence de Mielikki, mais voilà le secret de Mielikki.

Son innocence était cultivée, sa gentillesse était celle de l’expérience car d’avoir tant vécu par procuration, il ne restait plus de place pour le jugement et la peine de l’ostracisation.

-Je serai ton alliée, Dionne, tant que tu veux de moi. Tant que tu as besoin de mon âtre et de mon amour, je serai là. Tes secrets sont les miens, je te le jure sur le Styx.

Cette promesse profonde et éternelle grondait en Mielikki, violence secousse.

Elle passait ses mains dans les cheveux, cachant la pudeur que sa déclaration faisait naître en elle.

-Enfin…je…je voulais pas être aussi docte, pardonne moi Dionne. Je voulais juste que tu saches que ta confiance m’honore, mon amie. Et que je ferai tout pour te guider là où tu pourras enfin goûter un peu de paix.

Ceci était sa vérité, Mielikki Galant.
 

La gentillesse n’avait de sens que comme vertue négative, une négation de ce qu’on était pas. La gentillesse s’affirmait dans les creux et les béances de nos existences entrelacés, la gentillesse était un don qu’on refusait de garder pour soi.

Mielikki avait cette gentilesse expansive, cette gentillesse-cité où chacun trouvait une place dans ses entrailles brûlantes. Etait-elle née ainsi ? Façonnée par sa vie pour répondre à ce monde des dieux où l’égoisme est synonyme de gloire ? A la Leta féminine et létale, elle n’était que l’Eros faiblard et timoré de ceux aimant le monde entier pour trouver sa place dans cette cohorte de volonté opposées. Mais Dionne était unique dans ses maux et ses mots, Dionne paraissait à Mielikki comme cette statue d’un temps trop ancien pour être nommé, des secrets qu’elle sentait tapi et hurlant au fin fond de ses yeux cuivrés. Mielikki voudrait soupeser sa joue de marbre froide, sentir ses doigts sur la pulsation de ses veines chéries pour lui chuchoter qu’elle serait là.

C’était obsessif, c’était maladif, c’était absolu.
Elle était cette mère aux bras toujours revigorés malgré les enfants et les âges, ces yeux tournés vers le ciel en tempête pour mieux attendre le premier violence d’un soleil espoir.


Elle marchait, Dionne, vers ce canapé sagement assis dans son coin. Elle marchait comme si l’oeil de Mielikki était ce peintre désireux de capturer la muse dans ses derniers instants, elle était un tableau - Mielikki était ce malheureux spectateur, assez près pour sentir les huiles grasses mais trop loin pour saisir les divins murmures de ses pensées.

Non cela était un mensonge -pensait elle

Mielikki ressentait ce flux d’émotions, ces choses qu’elle ne pensait guère sans prononcer les formes. La confiance, l’amitié, la sécurité, la crainte, l’appréhension cela se mélangeait en une masse sombre et lumineuse.
Un ensemble presque maladif, un ensemble parfait.

Un ensemble qu’elle choisissait d’approcher à son tour. Laissant le velours du canapé mordre son genou, Mielikki lui sourit.

-Et il en faudra une éternité pour extraire tes souvenirs des miens. Je vais t’embrasser le front, Dionne. Je peux embrasser les lèvres ou la joue, mais l’un, je ne l’ai jamais fais. L’autre, je t’aime trop pour le faire.

Sa main habituée coordinatrice, repoussait sa chevelure aimée des dieux, elle eut oins ce front du myrrhe le plus pur qu’elle n’aurait pas approché ses lèvres avec plus de respect. Et comme une faute faite pour être commise, le contact eut lieu.

C’était des générations accumulées qu’elle visionnait, un père incompréhension sur fond de misère ordinaire. Une attirance pour les femmes, une vie passée à vouloir être en rebellion car la voie de raison n’était pas celle faite pour elle. Puis Hébé, puis les tombés, ces frères et soeurs dont tu voyais les petites pierres tombales comme autant de gouttes durant les averses cruelles d’avril.

Puis.
Un monstre ?
Un amour injuste, un amour déraison, un amour sale, un amour qu’on ne vit qu’une fois car la deuxième fois nous détruira assurement. Cette trahison à la cité, à ceux tombés pour la mort des Monstres. Dionne avait menti, dissimulé cette passion prison pour ne pas succomber aux affres d’une justice aveugle.

Une vie entière resumée et tenue entre ses termes et ses doigts
puis ce fut trop.
Mais jamais assez pour Mielikki.
Les temps deviennent modernes et les épis de la chevelure de Dionne chatouillaient son nez du rappel.

Pour Dionne
Combien de temps fut passé ?
Pour Mielikki, elle semblait avoir vieilli d’un siècle tout entier, bien reposé sur la table à café devant elles.

Sans un mot, elle s’assit.
Mains croisées entre le creux de ses gentillesses de cuisse et de chair.
Un soupir lourd qu’elle ne prit même pas la peine de cacher.

-Je suis désolée.

Pour tout et pour rien, pour cette vie comme pour cette mort qu’elle avait choisi comme amour. Dionne avait tant aimé, comment son coeur tenait encore.

-Tu as tant vécu, j’aurai dû naître plus tôt pour que tu puisses te confier.

Et un regard en biais sur la figure désormais trop humaine.

-Je te ferai pas l’affront de…de te dire quel choix tu as fais. Pour les enfants d’Hébé contre la cité. Mais, je comprends. Tu aimes trop n’est-il-pas ? Mais j’ai juré, je ne dirai rien. Je suis avec toi.

Mielikki n’avait que pour elle cette loyauté aveugle et sans goût des gens assis au pied des dieux.
 

La tristesse bordait son coeur des malheurs d’horreur, Mielikki voudrait lui demander plus, la secouer dans ses regards vers l’horizon jamais atteints.


Mais las! Ce n’était pas son rôle.
Elle n’aimait que trop Dionne, ressentait que trop cette vague d’âme à l’origine éternelle. Ses yeux mi-clos, elle comprenait et triait les songes et les vérités, acceptant la souillure d’une vie scellée par le secret se faire en elle.


Mielikki voudrait lui demander tant et lui en réclamer plus.
Mais las! Ce n’était son serment.


Alors elle pressait sa main d’ange dans la sienne, portait à ses lèvres les ombres et les lumières creuses de sa vie passée à attendre d’une meilleure réalité. Eternelle Dionne, princesse enfermée sous la tutelle du temps.

Si vouloir secourir Dionne était un péché, si vouloir lui donner la joie comme couronne et sceptre de foi,
Alors Mielikki deviendrait prêtre et pécheresse.

-Je prierai pour toi, peu importe où tes pas t’emmènent, peu importe où ton coeur te berce, je prierai pour toi. Ne me demande pas de te regarder de loin mais pense que chaque feu sur ton chemin, chaque instant où tu sens tes doigts se gèlent, que la solitude de la trahison t’émeut, que je suis là. Sur le Styx, sur le chemin des dieux, sur le feu de Prométhée, je te promets de pleurer pour toi.


L'électricité contenue dans ses doigts faisait mal.
Car elle avait juré.
Las! Désormais la mort pouvait l’attraper, douce mort.


-Tu es la meilleure personne que je pouvais rencontrer Dionne, la seule qui peut m’apprendre à quel point il est beau de continuer à se battre et à demeurer debout.

Et dans ses voeux, elle s’étouffait. Noyée sous l’amour, noyée sous les choses impossibles à voir naître.

Adieu Dionne, Adieu.
Un jour, peut être, penseras tu à Mielikki
quand tu verras un pissenlit s’agiter dans les sous-bois.