assis dans son bureau, seraph dévisage le canidé dont il a progressivement resserré le collier et raccourci la laisse. s'il serait ironique d'affirmer qu'ils se regardent en chien de faïence, c'est bien de ses yeux qu'il retrace les contours de la créature, jauge ainsi son attitude et sa posture. la table les sépare, alors ce face à face a lieu d'un bout à l'autre de la pièce, sans que seraph ne suggère à pavel de se rapprocher.
ce dernier accepte la punition - c'est donc qu'il s'oublie superbement au service de l'ordre et de sa légitimité à s'exercer. cette générosité pourrait émouvoir seraph, qui perçoit déjà la lumière de la justice bercer son fidèle de ses rayons. et quelle frustration alors de constater la beauté de cette dévotion quand on y trouve aussi la faiblesse de la servitude ! secrètement, seraph brûle de voir pavel s'insurger ; s'il était seulement moins faillible alors il serait noble et digne, pour de vrai. c'est le poids de sa docilité, adéquate et antinomique, qui fait de lui un merveilleux adepte.

seraph a le dos bien droit, le menton haut. tu l'accepterais ? la question est si rhétorique qu'elle sonne tout de suite faux - de quoi préparer la sentence : tu t'accommodes donc d'exister en baissant la tête, la queue entre les jambes. il a délivré son jugement avec cette désinvolture froide qui est caractéristique de ses accès de cruauté : impitoyable dans l'honnêteté exempte de sarcasme, désinvolte dans son indifférence.

si pavel a repris forme humaine, il n'en a que l'apparence : seraph n'a pas cessé de voir planer sur lui l'ombre animale, dont il apprécie la vision avec affection et condescendance.
il considère mériter sa sanction. seraph y comprend un simulacre de dignité aux allures d'apitoiement qui échoue à l'émouvoir. ah oui ? et qu'as-tu fait pour le mériter ? d'un air vaguement ennuyé. la vérité, c'est qu'il trouve peu d'intérêt dans le récit de la querelle : il comprend la violence qui peut saisir les sens à l'approche d'un fils d'apollon cherchant à se donner en spectacle.  

ainsi cet échange est déjà une forme de punition. c'est moi qui le dis. il n'y a pas de concession, pas de conversation dans cette dégradation - c'est là le signe d'une certaine tendresse, une possessivité toute orgueilleuse qui requiert de garder pavel prostré, visage enfoncé dans la poussière. je n'ai pas de problème, non, rien que pavel puisse aisément corriger : juste le besoin pervers de le recadrer selon ses désirs et humeurs, de cultiver la codépendance ; rapport qui n'a rien de juste et tout d'inégal. je te conseille de ne pas me parler comme ça. toujours sur la défensive, à croire que je te veux du mal. c'est dommage, regard en biais, qui le dissèque de la tête aux pieds. c'est dommage, dommage pour le fidèle qui n'a d'autre choix que d'exister a genoux et refuse pourtant d'apprécier sa peine ; dommage pour seraph, dont l'ego déborde et souille tout ce qu'il touche.

interdit face aux aveux qui n'ont pas lieu d'être, seraph laisse pavel se confier sans chercher à l'interrompre. il est à demi-conscient du chemin sur lequel il s'engage, ne se figure pas l'ampleur de ses fautes ; comprend simplement qu'il y a là de quoi resserrer les chaînes. il a croisé les bras en le voyant se dérober à son regard, a froncé les sourcils en l'entendant mentionner la trahison : en voilà une histoire qui le préoccupe. s'il lui semble alors que pavel attend de lui une main salvatrice, il fait peser sur lui, l'espace d'un instant, le poids du silence.
l'air songeur qu'il lui affiche est à moitié faux - il en exagère légèrement la gravité, c'est une excuse pour le dévisager davantage, s'attarder sur ses traits à la recherche d'une faiblesse, d'un mensonge, d'une plaie mal refermée.

pour son bien ? bien qu'il ne la pose que maintenant, la question patiente au fond de sa gorge depuis qu'il a entendu ces mêmes mots évasifs. puis, comme pris d'un soudain désintérêt, il rajoute sans conviction : si tu le dis.
seraph garde une conscience cruelle et détachée de la distance qui le sépare des affaires personnelles d'autrui. il sait que ce sont là des préoccupations qui lui sont étrangères et qui ne le regardent pas.
ce seront ses affaires parce qu'il en décide ainsi.
cette capacité à s'immiscer dans la vie de pavel est aussi un pouvoir qu'il envisage avec lucidité et méthodisme - spéculations à la froideur implacable sous lesquelles se dissimule une affection dormante et singulière.
si ça te tracasse, non, que ça te fout en l'air, tu devrais faire quelque chose à ce propos. mais tu ne sais pas quoi faire. donc tu as besoin d'aide - je vois juste ? il a résumé la situation précautionneusement, comme on récapitule un exercice complexe, étape par étape. la conclusion, elle, est pourtant simple : je t'aiderai, moi, moi, je me ferai indispensable, je serai là, sur tes pas, dans ton ombre s'il le faut, rappel constant d'une existence magnanime et donc irrémédiablement vaine.
il suffira de demander - non, même simplement de le tolérer, d'accepter passivement le sort tel qu'il se présente.

dans les yeux de pavel, la défiance subsiste alors qu'il tend pourtant la nuque et expose ses points faibles en ultime geste servile qui s'ignore. seraph l'observe d'un oeil alerte, attentif aux mimiques qui se dessinent sur son visage. ce sont des émois qu'il peine à déchiffrer puisqu'il n'en connait pas les secrets, n'en perçoit que les couleurs et la chaleur qui agitent parfois la chair.
c'est assez.
qu'est-ce que je ne ferais pas ? de nombreuses choses à vrai dire - mais ce n'est rien qu'une question en miroir à celle que pavel lui pose. ainsi il ne lui raconte pas d'histoire, se contente de suggérer les idées qui germeront d'elles-mêmes contre les parois de sa boîte cranienne.

il ne piège pas non plus lorsqu'il dit ça ne te nuira pas si tu m'as à tes côtés, puisqu'il le pense vraiment ! ce n'est pas qu'il sous-estime la gravité des troubles qui affligent son adepte ; simplement il ne s'est jamais autorisé à envisager l'inquiétude. bien sûr, cela l'interpelle et il aimerait que pavel lui expose son coeur à vif, cage thoracique ouverte en deux afin de ne rien dissimuler de sanglant ou de nauséabond. son pragmatisme lui commande encore la patience raisonnable de celui qui attendra les aveux.

tu ne me décevras pas, et cette fois, c'est un presque mensonge, presque blanc. la vérité est plus féroce : elle requiert de pavel une dévotion singulière envers son sauveur - car c'est en sauveur que seraph se réinvente déjà, fier de se trouver à la tête du clan qui accueille les rejetons de la violence et du sang répandu.
d'une main tendue avec indulgence, seraph a intimé à pavel de se rapprocher. il lui expose là toute l'étendue de sa bonté noble et droite, celle-là même que l'orgueil teinte toujours de condescendance.

pavel dit ça ne te ressemble pas et seraph répond légèrement, d'une nonchalance pensée, manufacturée et délivrée sans remords : tu trouves ? au coin de ses lèvres, on devine une esquisse presque imperceptible de sourire. s'il a pris l'habitude de regarder pavel de haut, c'est une condescendance toute affectueuse au travers de laquelle il nourrit de grandes espérances. il ne le juge pas stupide ou naïf. alors même qu'il lui fait face, il est frappé par la conscience cruelle de son potentiel.

on ne tire jamais rien de bon à défier les dieux, à moins de pouvoir les égaler, mais cela n'est réservé qu'aux êtres d'exception - seraph compte bien la réaliser, cette destinée qui lui permettra de toucher le divin. il dévisage pavel et y voit un outil de taille dont il découvre tout juste la préciosité. l'aveu tombe et seraph savoure sa place dans ce confessionnal invisible dressé à sa seule effigie. il hôche la tête. c'est qu'il n'a pas tué la bonne personne. c'est ainsi qu'il s'immisce dans le secret. ce n'est pas le meurtre qu'il récuse, non, jamais : il existe des histoires dans lesquelles la violence a sa place. mais se faire excommunier de l'olympe ? la voilà, la disgrâce la plus avilissante. tu as fait ce qu'il fallait, comme une évidence.
seraph n'aime pas le mensonge et la perspective d'un couteau planté dans son dos par un être de confiance lui inspire des haut-le-coeur indicibles. et pourtant ! il croit aux maux nécessaires et à la beauté que revêtent certains sacrifices. il n'a pas peur, et ne regrette jamais rien.

pavel s'est rapproché comme prévu, c'est la preuve charmante de sa docilité. seraph se lève et pose une main sur son épaule - proche de la nuque, là où il l'attrapait plus tôt, sous les regards spartes. tu fais erreur si tu acceptes de souffrir pour les fautes d'un autre. le regard, soutenu, et la complicité, qui s'y faufile sans honte. tu n'as aucune raison de t'en vouloir.

la pluie s'est mise à tomber d'un coup et cela a donné à la scène une intimité solennelle dont seraph apprécie aisément le charme - c'est qu'il ne croit pas aux présages mais aux opportunités. il a gardé la main affectueusement posée sur pavel, dont il évalue la consistence, la contenance, la confiance. à son interrogation, il réagit par un mhh ? faussement distrait. il a laissé son regard s'égarer quelque part dans la pièce, avec l'abandon de celui qui se sait en compagnie sûre ; voilà une apparente légèreté qu'il s'autorise en résultat d'une vigilance soutenue, sans décontraction. puisqu'il cultive avec soin la nature codépendante de leurs rapports, il ne s'est jamais fourvoyé, s'est toujours attendu à ce que pavel cherche à se redresser.

althea ? oui. dans cette lutte indolore qu'ils mènent au corps à corps et colorent parfois de promesses dangereuses, le chien fidèle se démène bien pour ne pas tout céder sans retour. seraph lui tend l'oreille avec une attention doucereuse, l'inclinaison de son visage accompagnant la courbe oblique de son regard.
c'est qu'il cherche encore à aider celui qu'il a trahi : sa bonté - si le mot est approprié - inspire chez seraph un vague amusement sans conviction. le sourire qui étire sensiblement ses lèvres ne saurait atteindre ses yeux dont les contours demeurent sombres et inchangés. il n'en dira rien ! simplement qu'attends-tu de moi ? que je lui en parle ? mais encore ? avec cette chaleur consensuelle dans la voix, celle qui encourage : dis-moi, sous-entendu je le ferai.
pavel a besoin de lui ; tant mieux s'il en est persuadé et qu'il n'envisage jamais l'échappatoire.

seraph devine peut-être la nature des tourments qui occupent pavel ; il en imagine la couleur et se figure le poids sous lequel il doit ployer. alors non, il ne recule pas. si cela ne tenait qu'à lui, il s'approcherait davantage encore, ainsi il le garderait toujours dans son ombre.
comme une évidence, sans un doute, tes problèmes sont aussi les miens. c'est une réponse dont la facilité le surprend presque.
par la fenêtre, le ciel est noir, d'une nuance profonde, annonciatrice. dans la pénombre de ce bureau dont le soleil ne frappe plus les lucarnes se compose une scène à la religiosité certaine - la confession de pavel comme gage de foi.

seraph ! comment ne pas surprendre la noblesse propre aux croyants dans ce nom clamé vertueusement ? pris d'un frémissement imperceptible, lueur au fond des prunelles, le chef sparte s'est redressé sur sa chaise : il lui faut être noble et droit afin de recevoir les aveux.
pavel ! scandé en reflet solennel de ses supplications, ta dignité est bien une qualité dont tu ne devrais pas douter ! n'y-a-t'il pas plus digne que ses remords, exprimé yeux dans les yeux, menton levé vers son supérieur dont la poigne ne l'a pas encore libéré ? il faudrait qu'ils soient plus proches encore alors voilà que seraph, de sa main libre, lui saisit maintenant l'épaule. sa poigne trahit une violence maîtrisée mais latente - de quoi blesser sans effort.
dis-moi, il lui souffle l'ordre tout près de son oreille. qui tu as tué. il doit savoir, il faut qu'il sache : il ne mentait pas, ce problème est maintenant aussi le sien. puis, plus bas, le regard d'un sérieux sans lumière : et dis-moi ce que cela fait, de tuer quelqu'un de ses mains. cette fois, ce n’est pas qu’il doit mais qu’il veut, égoïstement, révéler la bête abritée derrière le visage humain.

pavel implore lâche-moi ! et seraph ignore sa supplication, pour ne pas dire qu'il l'attire plus proche encore. il le fait pour son bien, il sait mieux que personne ce dont il a besoin. voilà ce que pavel doit comprendre et intégrer, digérer au plus profond de son être, que cela devienne pour lui une évidence inaliénable, inhérente à son existence même. il faut que ses jambes faiblissent et que son corps tremble pour que seraph le laisse tomber à genoux - et à ses yeux, il l'y autorise seulement, inspiré par la révérence que cela lui inspire.
pavel se confie. seraph ne bouge pas et le regarde de haut, il aime le voir ainsi même s'il n'en montre rien. il reçoit les aveux, il les respire et les absorbe à force d'inspirations lentes et profondes. asterion. il doit s'imprégner du pouvoir que lui donne ce secret.

si cela ne lui demandait pas de se baisser lui-même, seraph poserait sa main sur l'épaule de pavel. ainsi il ne se baisse pas, pas encore, se contente de le toiser, le menton bien droit. il espère quelque part que la fenêtre fera passer quelques rayons de soleil après l'orage, et que ceux-ci baigneront sa silhouette, en contrejour, d'une lumière salvatrice. pour me l'avoir dit, je suis fier de toi. d'une voix posée, tranquille, il le félicite d'avoir cédé. le moment est venu pour lui de s'accroupir et de se mettre à la hauteur de son fidèle afin de le regarder dans les yeux - le sonder, ne pas laisser s'échapper la moindre étincelle ou la plus infime lueur. je te pardonne, et tant pis si cela trahit l'orgueil, seraph est celui qui sait, il est donc celui qui donnera son pardon ; il faudra que pavel s'en réjouisse car il n'a personne d'autre.

seraph n'a aucun mal à se mettre à la hauteur de pavel. il ne le méprise pas et ne jubile pas de l'écraser. cela ne lui sert à rien maintenant qu'il a son secret. pavel est à genoux par la force des choses. sa prière a été entendue : seraph se redresse d'un seul mouvement, l'air songeur et le regard lointain. ne me remercie pas. car les mots seront vains lorsqu'il s'agira de lui rendre la pareille - ils savent tous deux le coût de tels aveux.

face aux promesses éperdues, seraph se montre imperturbable. relève-toi. il a bien entendu : pavel fera tout ce qu'il voudra. voilà le serment d'un homme qui pense n'avoir rien mais qui craint pourtant de tout perdre. ne t'en fais pas, non, ne t'en fais pas pavel, tu auras l'occasion de tant donner, de plier sous l'effort et même de te remettre à genoux. fier, seraph prendra tout ce que tu lui céderas et peut-être davantage. n'aie pas peur. fais-moi confiance.
d'un signe vague de la main, il lui indique la porte. juste comme ça, il le congédie. il lui faut réfléchir. devrait-il en parler à althea ? bien qu'il l'envisage, il sait déjà, au fond, qu'il ne le fera pas.

pavel quittera ce bureau, comme si de rien n'était. les spartes ne sont pas dupes : ils devinent la possessivité singulière comprise dans leurs rapports, voient comme seraph saisit son chien par la nuque et s'assure de sa servitude. mais personne ne saura rien de ce qu'ils partagent et pavel restera digne afin de jouer son rôle à la perfection. tu n'as pas le choix de toute façon.