il a ouvert, sans toquer.

vilaine habitude que prennent toutes les âmes égarées de cette foutue île. alexander tu lèves la tête, te détaches de ta paperasse avec une aisance remarquable, comme si tu avais eu la mauvaise habitude d’être dérangé de devoir tout abandonner pour te faire l'oreille honorable de tous les maux du monde. ton dos cogne contre le dossier de ton siège, et tu incarnes la beauté de ton paradoxe : le corps témoigne, exaspéré, quand ton visage dévoile ta curiosité.

« beau hill… » un presque chuchotement, entre le baragouinement et le soupire. tu observes l’étiquette de la bouteille qu’il te porte, souris d’amusement. ce genre de scène te plaît plus que les autres. « nous ne sommes pas amis. » corriges-tu, léger, comme un détail insignifiant qui devait pourtant être souligner. tu saisis le grand cru, l’oreille attentive, cherchant dans tes tiroirs de quoi l’ouvrir mais — sans surprise, tu n’as pas de tire bouchon dans ton bureau. « je serais curieux de découvrir qui dans cet hôpital a lancé la rumeur selon laquelle je me tournais les pouces. » pas si curieux non, t’as juste envie de tordre des cous. tu retires la capsule de champagne. « étrangement personne ne vient me déranger quand je suis au bloc. peut-être je devrais y installer mes affaires… » tu te lèves, ignorant comme beau s’installe à son aise. tu récupères dans une étagère métallique un scalpel que tu enfonces dans le bouchon, et plus loin, trois verres classiques. « mais oui. disons, un invité d’excellence. » tu t'arrêtes subitement pour vérifier l'heure à ta montre, reprends ta péripétie pour ouvrir le pétillant. « il faut donc célébrer l’inviter d’excellence ! » un sourire que tu lui montres fièrement comme un cadeau, et tu retournes t’asseoir pour coincer la bouteille entre tes cuisses et tirer le scalpel dans un mouvement de rotation. enfin ! tu peux servir les verres, boire pour fêter la fin de la journée qui approche.

sans trinquer, tu commences à goûter le cadeau français.

« hm. délicieux. j’adore le champagne beau. » tu t’adosses confortablement à ton siège, récupère le troisième verre pour le mettre sur le bord de ton bureau. « pourquoi m'honorer de ta noble présence, ambassadeur d'apollon et rédacteur en chef du journal de notre île ? » tu prends une autre gorgée — tu donnes l’impression de boire l’eau plate d’un robinet quelconque. « ça concerne dionne ? ou ce qui s’est passé au buffet ? » tu sais qu’il veut quelque chose. après tout : ce n'est pas ton ami.

et tu es heureux alexander. pour une fois tu es le roi que l’on veut écouter et non pas le pantin dont on veut rire.

« haha, tu as dis directeur ? j’ai cru entendre dictateur. »

ses éclats de rires, merveilleuse mélodie qui se répand, visqueuses, entre les lattes du parquet de ton bureau si secret (pourtant propice à d'innombrables visites). ta stature se veut fière — tu es un paon heureux que l’on remarque l’étendue de ses efforts.

dans ce tête à tête d’égocentriques tu cherches simplement à être à la taille de ton adversaire ; qui de toute évidence était bien plus professionnel que tu ne l’estimais. mince. assis chacun de votre côté tu parais bien badin quand bien même ce n’est pas toi qui t’esclaffe le plus. visiblement, quelque chose ne tourne pas totalement rond. tu cesses rapidement de faire le zouave, caresse lentement ton verre en observant le troisième qui suscite l’intérêt — ah, merci beau de tendre cette perche.

« hébé ! au cas où elle souhaite nous rejoindre... on ne sait jamais. » tu hausses les épaules, comme pour dédramatiser l’allure solennelle de ta blague. attendais-tu sincèrement qu’elle prenne part à cette conversation qui ne la concerne pas, ou aimais-tu simplement l’idée que tu donnais inlassablement sans jamais rien recevoir ? que c’est dur de paraître pour moins détestable que l’on est.

« le buffet, donc ! »

tu inspires, mais silence. tes yeux semblent voir des scènes à travers le plafond, et tes lèvres miment quelques brides de syllabes… rien qui ne fasse sens. un soupire conclut ton moment d’évasion ; et tu as l’air d’avoir tellement à dire mais si peu de mot pour le faire… mais ça ne tourne toujours pas rond.

« tu ris beaucoup beau mais je ne te vois pas boire. »

et tu ne diras rien avant que l’ambassadeur, fils de chien, n’ai porté à son gosier une gorgée (si ce n’est un cul-sec) du breuvage qui célébrait votre rencontre forcée.

« c’est parce qu’on n’a pas trinqué ? ce que tu es vieux jeu pour un jeune garçon ! »

tu trinques pour hébé, tend ensuite ton verre vers lui en espérant une réponse.

le regard à la dérive, pour que les yeux ne roulent pas. beau aime les termes intimes, probablement est-il aussi de ces hommes tactiles ou sans pudeur. un petit danger à l’état pur, un simple fils d’apollon, finalement.

« je me fiche d’apollon. » c’est sec, sincère, cru. tu ne t'intéresse qu'à toi et à ce qui peut et mettre en lumière.

des fois tu parais excessivement tendre mais le timbre de ta voix est assassin. les rires qui t’entourent, tu y sembles imperméable et pourtant tes sourires sont radieux — c’est comme si t’étais mort parmi les vivants, finalement. tu inspires. beau ne se vexera pas d’entendre tes piques, tu as la chance d’avoir l’air sympathique même dans la rage.

et enfin : il boit. ce n’est donc pas la peur de s’empoisonner lui-même mais peut-être qu’il n’est pas familier avec l’alcool. ou tout simplement : professionnel. ça t’amuse de voir un journaliste droit dans ses baskets donner du champagne à un médecin de renom dans son propre hôpital. le monde à l’enver. mais tu tiens bien. un verre ne te rendra pas saoul.

« le buffet… »

tu te fonds dans ton fauteuil, toi aussi à ton aise. tu as de l’or, et il veut cet or. ton visage fait la moue ; tu réfléchis. tu t’imagines tout lui révéler, dans les moindres détails, signer de ton nom ce témoignage ou le laisser anonyme, qu’importe. beau s’en irait, heureux de sa pêche aux ragots. et si tu te tais ? oh, pire ! et si tu mentais ? tu souffles un rire étouffé, montre tes dents dans un sourire joueur.

« mon dieu, quel buffet ! j’étais particulièrement peu favorable à y aller, tu sais. je n’aime pas vraiment les événements comme ceux-là… tant de monde, si peu d’intérêt. non, je n’aime pas les fêtes en l’honneur des autres. je n’ai jamais été proche de divine de toute façon. bref. »

tu récupères entre tes mains la bouteille, prends une pause, désinvolte, pour y lire l’étiquette. le temps, silencieux, doit paraître long mais nécessaire à tes yeux.

« orion m’a demandé d’y aller. j’y ai croisé quelques têtes familières, mais je crois que je suis tombé en admiration pour une petite blonde. elle paraît sauvage. non c’est sûr : elle est sauvage. tu vois de quoi je parle ? »

comment pourrait-il.

« le repas semblait décent mais je n’ai pas eu le temps de toucher à mon assiette ! tout s’est passé si vite ? je n’ai même pas pu boire une gorgée du vin. il avait l’air dangereux… » enfin, mortel. « il y en a eu des discours, ô si pompeux. tu vois, je dirige cet hôpital car nous n’avons pas besoin de grand gala en l’honneur du directeur merveilleux que je suis… enfin. peut-être devrions-nous ? » tu fronces les sourcils. « pour les orphelins ! » tout de suite tu es plus léger. « là n’est pas le sujet. tu veux un scoop, beau ? je crois que ma mémoire me fait défaut ! »

il y a des silences que tu imposes, d’autres qui s’invitent, mais toujours l’attention et les mots de beau pour toi et tu en es content.

c’est simple et badin, une conversation stupide dont tu manipules l’essence et le flot, et il doit se douter — ou alors il finira vite par comprendre : tu n’as pas prévu d’avouer quoi que ce soit mais uniquement te mettre en spectacle.

c’est pour cela que quand il évoque le traumatisme, tu lèves les yeux au ciel, ouvre la bouche pour reprendre ton souffle et passe le dos de ta main libre sur ton front. caricature mortuaire, tu ignores comment il faut agir quand on est offusqué par un souvenir.

« traumatisant dis tu ! »

mais ses questions se précisent et beau sait ce qu’il est venu chercher en foulant le parquet brillant de ton bureau. tu mords l'intérieur de ta joue, observe le verre que tu as laissé pour hécate. que pourrais-tu raconter d’aussi fantastique que toi ? rien. absolument rien. tu n’avais été qu’un piètre spectateur, déçu de ne récupérer aucun cadavre, déçu du repas gâché, déçu de toute cette énergie dépensée pour subir le théâtre des autres. voilà alors qui sera sincère : « j’étais franchement dépité, si tu veux tout savoir. déjà car, je te l’ai déjà dit mais, je n’aime pas vraiment les fêtes ; encore plus quand c’est un guet-apens pour faire son show. les demi-dieux ont trop pris des divins, ils n’ont plus grand chose des hommes. mourir, pour renoncer à son poste ? mais pardi qui s’amuse à sacrifier sa chance ainsi ? une simple démission et les spartes auraient trinqué : ou alors c’est moi qui suis trop frivole ? j’aime mon clan, ils sont sauvages, barbares à leur sens. mais très peu ingénieux. une humiliation publique et un linchage de masse, moi j’aurai accepté de taper dans sa chaire si c’était pour la punir de vouloir nous quitter. m’enfin pas besoin de le prendre au pied de la lettre et de mourir pour le symbolisme… » tu bois une gorgée dans ton verre, n’apprécie pas à sa juste valeur le vin offert mais tu fais partie de ces rougeux qui boivent pour boire. « et toi, beau. comment aurais-tu réagis ? » tu te lèves, caresse une dernière fois les contours de ton verre en longeant ton bureau pour t’y installer, sur le meuble même, face au garçon qui t’écoutait faire tes prières. « si j’avais levé mon verre à cet instant en avouant le péché que je cache et que je m’étais égorgé devant toi ? » tu fronces les sourcils, regarde une seconde ailleurs en ajoutant : « divine ne s’est pas égorgée je crois ? je ne sais plus trop. mais bon. le résultat est le même. alors ?»