– The ruins of the day painted with a scar And the more I straighten out, the less it wants to try

Bien sûr, j'ai un carnet à son nom.
Je l'ai choisi avec grand soin. Trois-cent pages. Une couverture bleu roi. Je la place en évidence, au-dessus de la pile qu'étalonnent les vie des autres.
Car une vie se résume  très aisément au papier.
Cecil Warren - écrit sur la page de garde, à la plume. Encre noire. Je lui réserve un traitement de faveur - c'est quelqu'un d'important.
Vingt-huit ans. Le mètre soixante-dix-huit. Blond, le regard dur. Surtout - une immonde, une implacable cicatrice qui lui tombe sur le front, les pommettes, jusqu'au menton, à la manière d'un reflet d'été incident, couleur de bronze passé.

Aujourd'hui, j'ai commis des fautes grossières. C'est que, on le voit - je suis hors de moi-même ; je n'ai plus prise avec mon image et ta cicatrice me le rappelle, alors je la maudis, dans ton dos.

Cela m'irrite, car avec Arden - vous avez quelque chose en commun ; un quelque chose que je trouve d'ailleurs vulgaire de ne pas nommer. Il s'agit d'une instance tout simple - elle n'est pas moi.
L'idée qu'Arden puisse me dépasser m'horrifie. Je la conçois de manière proportionnelle à mon ombre ; il m'est intolérable qu'elle s'engage au-delà de sa condition en négatif. Comme les photos que l'on retourne face au mur, pour ne plus s'infliger la douleur des regards fixes - Arden s'est détournée de notre mimesis.

J'en ai presque pleuré, d'abord. Ensuite, j'ai réalisé qu'il ne s'agissait là que d'un charme ; or, les charmes des puissants sont grossiers. J'ai tiré consolation de votre hideur en partage - car il y a cette marque de brûlure - immense ! inévitable ! apposée en sceau terrible sur les termes de votre communion (je n'ose appeler cela : amour). Cette marque - cette horreur - j'ai appris à m'en réjouir - car en te rendant si différent d'elle, et de moi - elle t'éloignait de nous !

Et maintenant qu'elle ne me protège plus de rien, je la déteste. Il s'agit là d'une énième humiliation. L'horreur du toucher des Morts me fait déglutir. Un genou à terre, je prends soin d'éviter son regard ; mais je ne porte ma propre disgrâce en stigmate et les marques du supplice qui m'a été infligé la légitiment. La pensée que Cecil Warren prenne ainsi connaissance du nuancier exacte de leur violence, telle qu'elle persiste encore, en guise de halo - sur mon front, sur mes pommettes - cette pensée-là m'enrage ; car cela nous fait aussi, à nous deux - en quelque sorte - puisqu'Arden n'est plus ici ! - un point commun.  

– Si vous me tuez ici, on remontrait jusqu'à vous. J'ai pris des précautions.

Je ne veux pas mourir ainsi - défiguré, mon amour convalescent. Il faut gagner du temps ; lui prendrait mon silence comme une dernière volonté de ma part. Je le connais bien ; petit-à-petit, j'ai rempli les pages de mon carnet bleu. Il pourrait me tuer par caprice.

– Vous n'avez pas le droit d'être ici, Cecil Warren. Il est presque assez proche pour que je puisse éprouver l'ampleur de sa respiration - régulière, tranquille. J'ai le sentiment qu'il pourrait me contaminer. Il me semble qu'Arden a clairement exprimé le fait qu'elle ne souhaitait plus vous voir.

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Mais il me fait trembler ; il a l'art et la manière de filer l'argent et le tranchant de ses paumes éclipse la rigueur oblongue de sa lame. La faire danser ainsi, aux dépends de mon souffle, c'est déjà s'en prendre à moi.
J'ai peur qu'il me défigure ; il pourrait dépecer devant moi le cadavre encore chaud de ma passion, s'il en connaissait la vigueur. Je ferme les yeux, pour échapper à la vision en pied de mon destin.

Sois sage ; mes soupirs alimentent les siens, et, de la même manière qu'il m'empoisonne, petit-à-petit - j'imagine le gagner un peu.

Et puis, nous avons une cicatrice en commun, à taille humaine. C'est pour cela que je le hais, lui et tout ce qu'il représente (la pourpre à ses tempes ; celle qu'ils se partageaient, avec Arden.)
L'idée me révulse et je ne puis m'empêcher de lui dire :

– J'ai toujours été proche d'Arden. Bien avant vous.

Plus proche que tu ne pourras jamais te le figurer ! En fait, nous nous confondions presque, elle et moi ; et c'est en vertu de ce principe que je dois t'empêcher. En la touchant, en la caressant, en l'embrassant - tu m'atteins, moi. J'ai éprouvé tes baisers au plus profond de ma chair - cent, mille coups de couteau portés dans le brouillard  - je les ai vécus, moi ; sans doute affairés, fervents, aigus. Plusieurs fois, tu m'as éveillé, la nuit ; et je me levais à chaque fois pour te vomir.

Mais en te faisant entendre tout cela, je le sais - j'ai commis une deuxième erreur.

– Relâchez-moi et restons-en là. C'est dit froidement. Voilà ; je pourrais bien mourir là, comme un rien. Comme ce serait indigne ! En échange, je ne dirais rien à Arden. Et je m'enfuirai à nouveau, préservant de tes penchants mon amour.

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La nausée. Quand il me tient, quand il m'attire à lui, dans un geste amour - il ne faut pas qu'il me touche ! je crains que ses souffles n'effleurent les miens et que nous nous mêlions pour de bon. J'ai bien peur qu'il m'aime de toutes les forces de sa haine, celui-là ! Je préférerais encore a sentence de la boue.

Et je hais sentir les battements de mon cœur contre mes tempes, et la pulse rapide de ma terreur, et le tremblement de mes mains.

– Plutôt mourir. Comme je hais m'entendre déglutir, et frissonner entre sa paume ! je sens couler le long de ma nuque une lente et déliquescente goutte de sueur froide.

– Oui, je préfère encore mourir que d'aboyer pour vous. Qu'ai-je à perdre, maintenant ? Je n'ai plus rien. Si je me regardais - si j'avais le secours immédiat du miroir - je me verrais sans doute, en cet instant précis, plein de moi-même, au-devant sacrifié de mon Amour, réprouvé sentimental ; je me verrais m'offrir en vain, pour protéger les dernières lignes de mon adoration. Je verrais mon aplomb découvert d'un sourire torve, large sous sa joug ; l'on pourrait croire que je m'apprête à lui rire au nez. Après tout, qu'importe ! la beauté est nécessité ; que deviendrais-je en l'absence de ses clefs ? – Allez-y, faites donc ce que vous avez à faire - comme Seraph Liu avant vous ! Je vous reconnais bien là. Vous n'avez qu'à finir sa besogne. Je préfère mourir que d'être défiguré par votre affection.

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En réalité, il me semble que la mort vaut bien mieux que la boue ; car sur le champ d'honneur l'on meurt toujours propre sur soi ; le sang est un décor, et réjouissant encore ; il faut toujours un peu de sang pour rompre l'harmonie mortuaire et transformer l'ensemble en idéal.

Dans l'ordre croissant de mes hantises, il y a la mort, puis la boue, puis ses baisers. Peut-être me réserve-t-il un traitement de faveur.

Je me suis retenue des deux mains, et j'ai peine à croire que ces mains-là, le prolongement nécessaire de mon Amour, s'arrêtent ici à la fange ; mais je me dois bien de les reconnaître, car elles protègent mon affection du monde.

Je lève les yeux vers lui ; je le hais. Peut-être même plus que Seraph Liu ; car ce dernier s'en est pris frontalement aux motifs de mes penchants ; mais lui tourne autour, faisant mine de les effleurer sans jamais y toucher totalement ; j'y vois les formes réduites d'une méprisable lutte, la lutte de ceux qui ont déjà tout, et qui considèrent l'agrément comme acquis.

Le pire pour moi est l'intérêt flamboyant qu'il démontre pour Seraph Liu, et le fait que sa passion pour moi paraît, à côté, très misérable, pour ne pas dire de circonstance.

– Le chef des Spartes s'est introduit chez moi, s'octroyant le droit de me punir pour des fautes qui ne concernent que les enfants d'Aphrodite. J'ai... Sais-tu qu'un temps, je n'osais plus me regarder dans le miroir, de peur d'y voir mon cœur mis à nu ? – J'ai souffert sous ses coups sans pouvoir me défendre. Et le flot de mes confessions rejoint subitement l'évidence ; je ne sais pourquoi j'éprouve le besoin de tout dire à cet homme que j'abhorre et qui m'effraie. Je ne crois pas avoir besoin d'une rédemption...

– Le coup était préparé d'avance avec l'aide de Satya Ashwani, mon frère, qui a participé au carnage. Farrow Hamilton en est témoin.

Ces noms, crachés avec dédain, sont ma défense. – Vous me demandez si je déteste Seraph Liu ?

Je ne puis m'empêcher de rire. En voilà une question innocente ! Qu'elle est admirable de simplicité ! Il reste donc à Cecil Warren quelques miettes de probité, sous les strates resserrées de sa monstruosité.

– Mais je le hais. Seraph Liu vous a-t-il roué de coup ? S'est-il introduit dans votre demeure afin de mieux vous tromper ? Seraph Liu vous a-t-il jamais fait subir l'humiliation ? Vous ne pouvez pas comprendre la haine que je ressens pour lui, car vous êtes son égal. Votre haine est donc nécessairement splendide, Cecil Warren. Mais pour les gens comme nous... En ricanant. – C'est un autre genre de haine qui nous nourrit ; beaucoup moins belle, mais assez consistante pour pouvoir nous contenter en l'absence de justice ! Cela, vous ne le comprendriez pas même si je vous l'expliquais. Car vous faites partie des Grands, et pour les gens importants, la justice triomphe toujours. Moi, je suis condamné à vivre en sachant que Seraph Liu a la liberté de s'en prendre impunément à l'intégrité d'autrui, et je suis condamné à rester conscient du fait que je n'y puisse rien. Et ce que vous pouvez, vous - je n'y ai pas droit.

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Un rien m'avilit - et Cecil et l'art et la manière de jouer avec les cordes du déshonneur qu'il anime. Je vois qu'il tire un plaisir sournois de sa domination ; bien sûr, cela m'enrage. Je déteste qu'il se mette ainsi à ma hauteur. Je préférais lorsqu'il me toisait ; j'en tirais le sentiment encore digne que procurent certaines formes de lutte. Maintenant que nous nous regardons dans les yeux, je ne puis plus me targuer de subir ma propre résistance.

— Vous avez de l'imagination  ; mais c'est dit froidement. Bien sûr, j'ai déjà torturé en pensé Seraph Liu, et de milles et une façons autrement plus artistiques. Je lui ai fait subir les sévices les plus admirables et les plus mémorables ; mais je n'ai jamais poussé la visualisation au-delà du graphique car l'idée de son sang me répugne. Cecil me tend la main.

— Vous vous trompez sur mon compte, Cecil. Je ne vous déteste pas. C'est pire ! Je vous crains et je vous méprise parce que vous êtes puissant.

Je me refuse à regarder sa paume, un éclair de fer blanc en filigrane de la boue environnante. Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il essaie d'entreprendre. Le fait est qu'il m'aurait déjà tué s'il l'avait vraiment voulu. Mais pourquoi tendre ainsi la main à celui qu'on humilie ? L'on ne piège pas comme ça. Cecil Warren est trop retord pour avoir recours à ce genre de petites manipulations fantaisistes. — Nous avons Arden. La peur me rend audacieux. Je saisis sa paume. — Qu'attendez vous de moi, Cecil Warren ? Vous voyez bien qu'en l'état, je ne peux rien vous refuser. C'est dit avec une certaine arrogance ; l'on est arrogant lorsque l'on se sait en danger. — Je n'ai pas la force physique de Seraph Liu, mais je sais me rendre utile de bien d'autres façons. Personne ne s'est jamais plaint de mon travail, et vous verrez que j'ai plus que le potentiel de vous servir. Je ne vous refuserai rien, mais j'exige une contrepartie à la hauteur de mes services ; même les condamnés ont des droits. Tuez-moi pour de bon si je vous déçois. Je n'ai pas lâché sa main. Vous savez que vous pouvez m'ordonner ; cela va de soi, pour quelqu'un comme vous. Je n'ai d'autres choix que d'obtempérer, alors je peux tout me permettre avec vous, n'est-ce pas ?

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Sois cruel ; c'est ce que je veux. Retranché sous les cimes de ma propre complaisance, j'assiste à la naissance du monstre.

(Je pourrais lui dire que mes valeurs ne sont pas les siennes, qu'elles ne regardent que moi, comme l'éclat raffiné des joyaux ne regarde que le porteur capable d'en apprécier la foudre ; mais je me trahirais)

— Voici mes conditions. Vengez-moi de Seraph Liu. Faites-vous plaisir ! J'ai bien compris que vous étiez quelqu'un de très imaginatif. Je veux simplement qu'il souffre. Je veux... que vous abimiez son visage d'une façon ou d'une autre. Comme le vôtre. Ce n'est pas une provocation - c'est un honneur. En échange... Je vous demande de me laisser repartir d'ici sain et sauf et de faire comme si notre entrevue n'avait jamais existé. En plus de cela, je vous offre trois ordres, sans condition. Je vous l'ai dit - personne ne s'est jamais plaint de mes services et je saurai vous satisfaire de la façon qui vous sied le plus. Je suis prêt à tout. Mon Amour bafoué excuse bien le crime !

Je sais qu'il n'existe rien de plus pitoyable qu'un homme qui remet sa vengeance entre les mains du diable. Les pactes n'ont rien d'enrichissant ; ils sont l'affaire de tiers. Pourtant, le fait d'imaginer les mains de Cecil - blanches et impitoyables, deux araignées de fer - sur le visage de Seraph m'horrifie formidablement. — Et j'ajoute une chose. Fort de mon nouveau fantasme. — Ne m'empêchez pas de protéger Arden. Ces conditions remplies - que les dieux m'ôtent la vision si je vous trahis. Vous avez ma parole d'honneur.