Ce soir, Edzard a l'alcool qui le boue dans le fond des veines. Il a bu. Bu, et puis bu. Il a réfléchi. Il a songé aux beaux yeux verts de Haïssam. Il a songé à son invitation, demain. Rien que tous les deux. Et puis à Anastasia. Sa belle, sa douce. L'âme sœur de sa vie ! Celle qui lui dictera toujours son chemin, celle qui tient son cœur entre ses deux mains. Mais Ed, il se rend compte que, quelque part, ça tire. Quelque part, au fond de sa poitrine, il n'est plus sûr de rien. Ca tourmente, ça s'effrite. L'assurance qu'il avait vis-à-vis de ses sentiments s'en va. Lui dit au revoir. Car dans la poitrine, ça bat pour deux. Et Edzard ne peut l'accepter. Parce qu'il n'y avait jamais eu qu'Ana et que ça déborde, il n'y a plus de place ! Parce que ça ne va pas et que l'alcool le rend triste. Alors il a piqué un bouquet de fleurs destiné à l'hôte de la fête (des violettes), et il s'est échappé de la soirée. Il a déambulé dans les rues comme si c'était une bonne idée. Il a songé en regardant la fenêtre de la belle avant de la voir apparaître. Et le cœur a tressauté, le battant s'est emporté. Il a toqué, sans plus réfléchir. Parce qu'il devait entrer en collision avec son destin. Parce que dans ses bras, ce soir, il avait décidé de s'échouer. Ne serait-ce que pour une étreinte rassurante. Que pour des mots doux qu'il ne méritait pas. Qu'elle lui offrait sans cesse sur un plateau parce qu'elle avait les lèvres débordantes d'amour pour cette amitié qui ne s'était pour autant jamais brisée.

Elle ouvre la porte et elle est ravissante. Et il sourit, sourit, dévoile toutes ses dents, tend le bouquet de fleurs d'une main gauche. « Hi, Ana. » Qu'il murmure. Et si le souffle n'avait pas l'odeur amer des boissons ingurgitées, aurait-il l'air sobre ? Calme ? Serait-il moins vulgaire, à s'afficher au pied d'une porte dont il connaissait le bois par cœur, quand bien même celle qui vivait là ne voulait plus de ses affections ? « Just wanted to see you before midnight strikes. I'm sorry for coming unnanounced. » Mais en fait, il n'est pas désolé. En fait, il a besoin de lui tenir la main pour se sentir vivre (vibrer). Exister. Ce soir, les mensonges, les regrets et les aveux se bousculent. Il aimerait l'embrasser et savoir s'il voulait encore la tenir dans ses bras ou si la passion avait fané. Il garde une distance de sécurité. « Can I stay for a bit ? » Qu'il lui demande en la regardant comme l'on observerait le plus beau de ses souvenirs. S'il le pouvait, il tendrait le bras et caresserait sa joue. S'il le pouvait, il la serrerait contre lui et s'assurerait que plus jamais elle ne lui échapperait.

Il n'a pas besoin de demander, qu'elle dit. Mais il sait que ce n'est pas vrai. Devrait chaque jour demander si sa présence ne lui nuit pas. Si elle accepte encore de le regarder dans les yeux. Car parfois, il se le demande. Et parfois, il aimerait qu'elle achève ses souffrances. Qu'elle lui dise qu'elle ne veut plus jamais le voir. Qu'elle ne veut plus jamais qu'il lui adresse la parole. La vie en serait-elle plus aisée ? Parviendrait-il à tourner la page ? Il aimerait que ce soit aussi facile.

Et elle lui propose de boire. Et ah, il a bien assez bu pour toute une soirée. Mais peut-être pas assez pour la regarder. Pour la sentir s'effiler entre ses doigts. S'échapper entre ses rêves. L'eau ne peut être retenue, aussi précieuse soit-elle : elle restera sauvage. Ana a tout des torrents violents : sublimes mais si facile à s'esquiver. Pendant une fraction de secondes, il se dit qu'il serait plus raisonnable de prendre un thé avec elle. De complimenter sa jolie chemise, d'apprécier le moment et de taire les doutes qui le tourmentent quant à demain. Quand la cloche sonnera minuit et qu'il ira se perdre dans les bras de Haïssam sans savoir si c'est ce qu'il veut vraiment (sans savoir s'il est capable d'effacer Anastasia de la place qui lui était réservée depuis tant d'années). Il sourit un peu tristement, puis joyeusement en enlevant ses chaussures. « I'll have some of your finest mixes with vodka. » Pour qu'elle apprécie la boisson (a trop peur de se sentir à la maison s'il prend de cet alcool qu'il avait lui même acheté, pas récupéré). Et le regard se perd sur leur ancien chez lui. Sur le canapé qui n'a pas beaucoup bougé. Sur les bougies allumées, vacillantes. C'est si grand. Elle doit être si seule. « You didn't invite anyone tonight ? » Se mordille les lèvres en la suivant. L'observe se saisir de verres, est tout prêt à l'aider. A peur de montrer qu'il sait encore où tout est rangé. « I was so sure I'd interrupt your evening. »