je revenais encore, alors que le soleil brillait d’une couleur que tu trouvais sûrement ignoble
je me disais : si tu n’es pas heureux, content, c’est que tu n’es pas encore réveillé, c’est qu’il est trop tôt, c’est qu’hélios te brûle les yeux -ainsi, ce n’était jamais moi que tu n’aimais pas
je voyais bien tes manières, et j’entendais bien tes mots. je les ignorais jusqu’ici. qu’aurais-je pu faire d’autre ? te demander d’en parler ? il t’a fallu des mois pour venir me chercher -des mois et des drames-, et rien qu’un de plus pour t’éloigner
était-ce alors si frivole, ce qu’on avait ravivé ? était-ce un frankenstein qu’on aurait dû laisser ? je reste à nouveau sur le pas de la porte
comme quand j’étais indésirable
vermine
détestable
seul-e
peut être qu’alors, à cette époque, je te provoquais plus de sentiments que maintenant.
ne pas être assez est une honte qui m'aspire autrement que les horreurs que tu as pu vivre. si j’acceptais ce fait, j’aurais moi-même enlevé mon humanité. je n’aurais eu aucun monstre à blâmer. je n’en jamais disais rien, c’était toujours des excuses répétées dans ma tête et que je savais vraies, et qui me berçaient dans une mauvaise foi qu’était la mienne : celle qui grouillait et dévorait les choses bonnes, appétissantes, qu’il restait encore en moi.
junhao se remettait, lui. c’était différent. il était immobilisé par la peur, et je m’étais placé-e en citadelle imprenable. j’aurais pu faire pire. j’aurais pu me faire devenir obligatoire, l’empêcher de savoir respirer sans trembler si je n’étais pas à ses côtés. j’ai hésité. c’était une chose tentante. ce n’était que comme ça que je trouvais simple d’aimer : en en contrôlant tout, sauf l’intensité. je m’étais imaginé : et s’il devenait aveugle au monde sauf à moi ?
c’était là je crois qu’on voit le mieux ma cruauté
elle a changé -maintenant elle a pris ma peur par la main, et m'impose aux gens que je n'osais pas aller voir : elle me dit, pourquoi hésites-tu ? s'iels ne veulent pas de toi, iels te le diront. jun ne me l'a jamais dit.
je ne t’ai pas raconté mes craintes de ne pas arriver à l’aider. j’aurais dû,
je crois
tu aurais mieux compris pourquoi encore je suis ici aujourd’hui
je ne t’ai donné aucun détail de mes vulnérabilités
et maintenant que tu n’en veux pas, je t’en veux moi de ne pas comprendre ce que je fais pour toi
et maintenant que tu n’en veux pas, je veux t’arracher les tiennes comme si j’en avais le droit
mais tu ne dis rien à part des mots qui chassent et c’est en cela que je me perds : tu avais dit reste et j’étais resté-e, tu avais dit ne m’abandonne pas et je ne t’ai pas abandonné, tu avais dit promets moi et je n’ai pas brisé notre promesse
mais toi ?
toi je ne sais pas.
on aurait du faire pousser des fraisiers devant ta porte, avant, quand j’étais encore bienvenu-e. ça m’aurait rappelé que je suis censé-e
compter
pour
toi
bonjour
en preuve de mon existence dont je n’étais moi-même pas certain-e
était-ce ainsi que tu t’étais senti quand j’ai dérivé ailleurs sous tes yeux pleins d’affection ? avons-nous changé, finalement, ou ne répétons-nous que la même histoire ?
si dramatique. risible. ridicule.

j'aurais préféré la haine
l'agacement, l'indignation, quelque chose de vraiment présent
tout sauf ces choses molles qui ne mènent à rien, qui n'existent que pour occuper, dévier, sans trop d'énergie ou d'intérêt, vers un ailleurs non caractérisé -un ailleurs loin d'ici, voilà tout
tu n’avais donc même plus l’aplomb de me jeter, de me dire ce que tu pensais ; mon temps alors te semble-t-il soudainement gâchable ? je ne suis pas obligé-e ou bien tu ne veux pas que je le fasse ? je sais bien que je ne suis obligé-e à rien
je suis libre
si je le voulais, je ne serai pas venu-e.
mais je le voulais (plus que tout)
soudainement j’enviais cellui d’il y a longtemps qui n’était même pas certain-e de se rappeler de ton nom. ellui, iel n'aurait rien su de ces souffrances qui lacéraient mon cœur.
je sais ce que c'est, tout ça -on dit douleur affective et émotionnelle, et le signal de cette peine n'empreinte pas le même circuit qu'une douleur physique, mais dans les cartographies cérébrales tout est brouillé in fine (comme moi comme moi comme moi) ; si j'étais en danger, peut-être que tout ça serait bloqué, et j'aimerais dire à mes nerfs : il s'agit de ma survie
ne me laissez pas ressentir ça encore
ne me laissez pas sacrifier encore un-e ami-e parce que je ne savais pas agir
ne me laissez pas seul-e face au monde dans les instants qui comptent le plus
(elles s'agrippent à mes épaules -je ne sais pas si les voix me disent qu'elles resteront ou bien que ce n'est pas encore le moment)
j'avance, sors du vent froid du dehors, garde le gel sous mon manteau
je prendrais un thé, merci. et toi aussi.
tout ce que je sais te faire maintenant c'est te forcer, te demander ce que tu veux et attendre que tu répondes, te donner des obligations dont j'ai besoin uniquement face à toi ; je le dis méchamment peut-être, je ne sais plus trop j'ai trop de vagues dans le cœur : la surface a gelé, j'ai l'air si lisse mais ça gronde et je ne sais pas contre qui
je vois déjà que tu ne te ressembles pas alors même que je ne t'avais pas encore regardé
avant, je te trouvais trop strict, mais cet homme-là me manque maintenant ; je me demandais : avais-je suffisaient apprécié le temps à ses côtés ?
et, de suite, je refuse cette pensée, ce passé déjà complété : il reviendra.
il reviendra et je l'imagine déjà devant moi, les cheveux bien coiffés et les lignes géométriques des vêtements inutiles, dont je m'étais moqué mais qui maintenant m'affolent par leurs absences
je cache mes larmes derrière la brume
je ne veux pas que tu vois ma peine, que changerait-elle ? mon amour ne réussit plus à t’émouvoir, seulement à amener un peu de regret, vague et sans socle. ma tristesse est alors intime, te la montrer reviendrait à la laisser aux loups non affamés, aux yeux vides d’un stade rempli d'un public qui m’ignore, aux casse-espoirs qui détruisent les barrages de mes canaux lacrymaux
(tu savais que les larmes contiennent des antalgiques ?)
je te regarde
luna, toi(, moi)
jamais deux sans trois
n'est-ce pas ?

c'est une réponse qui ne dit rien parce qu'alors quoi ?
dis-moi si tu me veux loin -avant de partir je te dirai la peine que cela m'a fait, et de la tristesse qui m'accompagnera toujours comme luna me suit encore
dis-moi si tu crois que tu n'as pas besoin que je passe -ça sera une promesse que tu ira mieux et je ne te croira que quand tu jurera sur le styx
je ne sais pas que tu penses que je serai mieux ailleurs, loin, à faire d'autres choses, à donner du temps à ce qui n'est pas toi, mais ce n'est pas à toi de choisir. ma liberté est mienne. tu m'as fait rentrer. il n'y a rien à ajouter. c'est un non-sujet. je ne veux pas en parler.
si je suis en colère c'est parce que je suis blessé-e et inutile
mais que tu me compares à l'inutilité d'abel est un coup bas que je n'ai pas vu venir
est-ce une technique pour me chasser ? elle ne fonctionnera pas : je sais que je vaux bien plus que lui
c'est ce que je me dis en regardant ton visage flouté, alors que le mien se cache, ne te donne rien comme réponse
cela me fait mal et, en mentant sur cette douleur, en trichant de la pire manière, en imposant ma présence, suis-je vraiment meilleur-e ? ou, plutôt, m'étais-je trompé sur l'homme ?
regarde ! regarde ce que tu fais de moi, ou plutôt ce qui de moi se présente à toi (le fond, le reste, le peu, le noyau, l'essence, enroulée dans des couches de camouflage), comment tu l'écrases sans faire exprès, comme une araignée sous tes pieds, une fourmi abandonnée une fois tes feuilles toutes fanées, une mouche n'ayant plus rien à manger sur ta carcasse qui a déjà abandonnée sa chaire
ne me compare pas à lui. c'est lui qui fait comme moi, parce que j'étais là avant, AVANT, parce que je compte plus, parce que moi, moi tu m'as promis ! moi c'est pas pareil, que tous les autres, pas vrai ? tu peux me le dire je le répèterais à personne, pour en être certain-es on peut partir loin, t'inquiètes pas, on connaîtra plus rien du monde et alors je serais obligé-e de garder ma promesse, et toi les tiennes, et tout ira bien puisqu'on ne sera plus avec les autres, pour nous je trouverais l'immortalité s'il le faut, pour que jamais plus tu ne sois triste comme ça, et je tuerais ce qu'il faudra tuer, tant que ça réussira à t'animer -on sera loin, loin, il n'y aura pas de duke, pas d'abel, pas de seraph, pas de bellamy, pas non plus tous-tes les autres idiot-es que je préfère accuser
pourquoi, crois-tu ? ça me semble plus intéressant de t'entendre avant de répondre. et je sais pourtant que les plantes meurent quand on les arrose trop
je vois ton dos et j'ai envie de le toucher, d'y adosser ma joue, de t'empêcher de préparer le thé en y enveloppant un bras tendre -mais j'ai peur de sentir tes os comme on sentirait l'humidité de la terre (on sait dans ces moments-là que c'est déjà trop tard)
je baisse la tête, une larme s'échappe
je pleure en silence, sinon tu entendrais
pourquoi tu le laisses faire ? lui, pas moi (s'il te plaît dis pas qu'on est pareils ne me remets pas avec lui je ne supporterais pas que tu me vois encore comme un de ces hommes-là incapables d'autres choses que de forcer incapables de parler incapables d'être honnêtes incapables de promettre incapables de te respecter incapables de douceur incapables de savoir quand partir et quand rester, incapables de te retenir dans ce monde-ci)

tu dis peut-être que je n'ai rien à dire et j'entends rien à te dire parce que soudainement même l'air m'a l'air aiguisé, ah ! tout me perce me tord me tend, rien n'est sauf même pas les voix qui m'enlacent qui tentent de réchauffer ce qu'il reste de ce que l'image de toi cogne
parce que oui, voilà, ce n'est que ce que je comprends, ce que je vois, et actuellement tu ne me fais que du mal, à travers ta propre douleur
je me retiens de monter les mains à mon cœur, ça te donnerait de mauvaises idées, ça te montrerait la cible que tu sais déjà viser
et quand tu parles de lui j'ai l'impression que tu me décris moi (ma désobligeance de ne pas partir alors que tu ne souhaites pas que je restes, mon amour qui te dérange comme des mouches autour d'un corps en putréfaction colicative et gazeuse, mon temps que tu labellises perdu malgré tout ce que j'en pense)
ç'aurait dû être un compliment, que tu t'inquiètes des minutes que je te donne à défaut d'autres choses, mais je prends ça mal parce que c'est tout ce que je peux faire sur l'instant ; j'entends : je ne veux pas de tes dons, je ne veux pas de ces bouts de toi, je ne veux pas partager du temps, je ne veux plus rien te donner non plus, je ne veux pas plus de souvenirs de nous
je frissonne
jun, hein.
la température baisse en même temps que ma tête
c'est le voile qui s'étend partout, qui rend tout brumeux flou livide
c'est pas moi qui leur ait dit, elles ont tout fait toutes seules
jun va bien. jun sort de chez nous, jun dort sans cauchemar, jun mange sans que je ne doive lui rappeler, jun joue de la musique, jun s'occupe de lui-même. jun prend de nouveau son thé le matin après que j'en ai jeté beaucoup dans l'évier, à peine touchés.
il était mort aussi, tu sais
pas métaphoriquement, pour de vrai, et il était revenu
comme toi, et je fuis ton regard comme si j'étais orphée
je crois bien, pourtant, que tu ne me suis pas jusqu'à la surface.
il n'en voulait pas non plus. ça le rendait malade, je le voyais bien. mais sinon, il ne buvait rien.
mon regard reste coincé sur le placard qui claque comme un coup de fusil, de tonnerre, des deux à la fois
alors voilà : ça me ferait plaisir, que tu boives ce putain de thé. ça me ferait croire que tu peux faire un effort, encore, pour moi
ça reste dans l'air
je ne le dis pas
j'aurais trop peur de lui ressembler.
j'essaie de me rappeler ce qu'amadeo a fait pour moi quand je n'étais qu'un fantôme mais je ne sais plus -j'aimerais arrêter le temps, et demander à toustes celleux qui m'ont aidé ce que je devrais faire pour te redonner un peu de souffle, de vie, d'envie
j'étais mort-e aussi, tu sais
métaphoriquement, pas pour de vrai, et j'étais revenu-e
pas comme toi, et pourtant j'étais bien certain-e d'avoir été aux enfers.
peut-être ne les ai-je jamais quittés.
pourquoi tu-- changes de sujet pourquoi tu parles de ça pourquoi tu dis des choses qui n'ont aucun sens pourquoi tu m'éloignes encore pourquoi tu cherches à me bander les yeux alors que tu cloues le dernier point de ton cercueil
la brume s'épaissit elle s'accroche à tes vêtements comme j'aimerais le faire, elle coule elle s'agrippe elle est aussi lente que de la cire qui refroidit, les plantes frissonnent se tordent se fanent
le visage vers le sol
quel jour ?
je n'allais pas accepter, bien sûr
je n'allais pas t'écouter, je viendrais bien plus tôt que l'aube pour que tu ne puisses pas me chasser pour que l'on puisse encore s'en aller pour que tu ne puisses pas te suicider sans faire face aux choses que tu laissera là
sans faire face au choix que tu as refusé
sans te rappeler d'une autre route que tu aurais pu emprunter.

tu ne me dis rien et alors je ne le devine pas, et alors je me vois soudainement comme ce que j'ai été dans un autre temps : l'origine de la violence, cellui qui n'a rien protégé
pire, qui a laissé aller
qui n'a pas retenu ta main, qui n'en avait rien à faire si ce n'était pour l'égoïsme passager de te savoir à disposition
qu'en était-il maintenant ? n'était-ce pas juste un autre égoïsme, que de vouloir être cellui à te sauver ?
peut-être qu'abel pensait faire la même chose
je ne sais pas
je ne sais pas parce que tu ne me dis rien ! parce que tout ce qui est important est mis sous silence et que je ne sais pas si mes conclusions sont bonnes, parce que tu n'as pas envie de répondre et je refuse ce que cela veut dire (la science dirait : non concluant et j'acquiesce parce que l'autre option m'est terrifiante), parce que tu me dis d'aller ailleurs mais je ne suis pas certain-e que tu sois bien honnête
depuis quand se ment-on, précieux ? n'avait-on pas promis ?
je regarde mes mains, attachées au bas de mon pull
tout ne valait plus rien
on avait désacralisé les mots avec nos mensonges et nos stratagèmes, il n'y avait plus de confiance parce qu'on se retrouvait devant des portes soudainement fermées et qu'on se rendait compte qu'on avait jamais pris la clé : nous n'en avions pas besoin jusqu'ici, alors quelle utilité ? je n'aurais jamais pensé ---
ça s'enfonce dans mon dos et rien ne ressort de l'autre côté ; de devant j'ai l'air bien portant-e, c'est que je suis passé-e maître dans l'art des mensonges depuis longtemps
certain-es diraient même, je suis né-e avec ça dans le sang -ça ne vient pas de ma mère pas de mon père mais d'une autre chose encore, mystique, d'ailleurs, je ne pense pas que tu puisses comprendre, parce parfois elle(s) m'appelle(nt) et pour elles je ne suis qu'un mouton qui suit ses bergères
et qu'est-ce qu'un mouton qui s'éloigne du troupeau ? une proie
le moi vrai ne te voit pas, c'est le faux que tu regardes dans les yeux (des yeux vides noirs morts)
je ne peux plus rien te promettre
ça n'a plus de sens que de faire ce genre de choses une fois qu'on a franchi la ligne
ce que je pourrais faire, c'est dire des mots les uns après les autres, et ne pas les penser du tout -on y met plus grand chose derrière, de toutes manières, alors ! alors
alors j'étouffe un sanglot quand tu détestes ces gestes, ces présences proxi de moi, ces mains qui me tiennent pour ne pas que j'éclate, ces choses qui rythment ma respiration, ces réconforts d'un autre monde
ces morceaux de moi qui ne comprennent pas bien les humain-es
il y a sur mon visage les traits d'autres gens, des mélanges dans tous les sens, approximatifs parce que je ne les connais pas assez et c'est pas ce que je voulais c'est juste ma tête qui se demande qui alors pourrait te sortir de ce vortex dans lequel tu t'es emprisonné, comment te faire rire alors, comment remonter le temps peut-être
j'en suis si désespéré que j'en viens à m'effacer (te faire goûter à ta propre médecine)
ce n'est pas ce que je veux, tu sais, mais c'est tout ce qu'il me reste
elles essaient, tu sais ! elles m'ont déjà tenues à bout de bras plusieurs fois
et moi derrière je m'écroule
les illusions continuent quelques secondes, je ne sais pas, je ne sais plus
j'ai envie de te dire c'était pas moi ! mais je ne peux pas leur faire ça
et, quand elles accepteront de te faire de la place, tu verra
les épaules arrondies, tirées par la gravité
le dos cassé, avachi par les heures devant l'ordinateur
les cheveux longs, qui cachent le visage qui doit bien se trouver là
les mains dissimulées dans les manches
la nuque cassée (je ne te regarderai pas)
un reniflement, une main qui vient essuyer la joue en un geste gauche et décevant
pas grand chose d'autre, finalement,
qu'un être humain
que ça ne fait pas rire non plus

j'ai pleuré souvent. plus que je n'aimerais l'admettre -j'aurais eu honte, il y a de cela cinq, dix ans. ce n'est plus le cas. je le sais, maintenant : je pleure pour ce qui n'est pas entre mes mains. c'est le désespoir qui déclenche mes larmes, c'est la sensation que le monde ne tourne pas rond et que, qu'importe mes efforts, je n'y changerais jamais rien. c'est quand mon ego est percé, quand mon importance est ramenée à la réalité, quand j'arrête de croire que de plus grandes choses m'attendent.
tu sais, précieux, j'ai toujours été un-e idéaliste
je sais, je sais, on ne le dirait pas, mais ne faut-il pas toujours avoir au moins un peu d'espoir lorsque l'on cherche ? j'ai fait ça toute ma vie, chercher
je sais qu'on ne trouve pas toujours, ce n'est pas grave, parce que tant qu'on a pas trouvé, on peut continuer de chercher -moi j'ai jamais rien abandonné, ça n'a fait que s'empiler, j'ai des choses qui s'accumulent derrière, sur mes épaules, c'est pas des promesses, ou alors peut-être, mais elles n'ont été faites que dans ma tête, et personne n'est au courant à part elles et j'y arriverai, c'est sûr, c'est certain, c'est tout ce que je veux alors pourquoi pas ?
pourquoi pas, hein ?
(pourquoi pas pleurer)
c'est ce que je me dis, les mains sur ton torse et contre mon visage
l'air est plus chaud à tes côtés, je sens le tremblement de la chose qui pompe ton sang, et cela me rassure
je ne sais même pas si j'ai conscience que tu me tiens, que tes os fondent dans ma chaire, qu'ils y laissent des traces comme une rivière dans son lit (peut-être que plus tard je regarderais les bleus, et que je ferai ce qu'il faut pour que tes cadeaux ne quittent jamais ma peau, ce qu'il faut pour que tu vives encore en moi et que tout le monde le voit aussi)
j'ai mal dans la poitrine dans ma gorge dans mes yeux et sur mes lèvres, c'est là ceux qui aimeraient me faire abandonner
comme toi
tu ferais ça, précieux ? pour de vrai ?
parce que ça me blesse déjà
et cette fois-là, je ne crois pas que tu le veux
enfin, j'espère
qu'est-ce qu'il se passe, précieux ? c'est une supplication
une prière, en quelques sortes
ne me laisse pas dans le noir
je risquerais de m'y plaire
ma voix tremble elle est trop aiguë je ne l'aime pas
je sanglote, ce n'est pas beau, il n'y a rien de beau dans l'eau le sel la morve le rouge des yeux le blanc des poings, je ne sais pas s'il y a eu quoi que ce soit de beau en moi de toutes manières mais t'aurais pu me le faire croire
c'est ça le pire : si tu mens encore, si tu me dis qu'il n'y a rien, je saurais que c'est faux mais tu pourrais me le faire croire
je m'en voudrais toute ma vie alors s'il te plaît
par pitié
ne le dis pas.

je pleure parce que je reste aveugle quand tes décisions semblent pourtant déjà immuables -si tu es si certain, pourquoi ne me dis-tu pas ? as-tu peur de voir mon visage ? as-tu peur de ce que cela me fera ? as-tu peur de m’abandonner ? as-tu peur de ce que tu vas me laisser -la peine la rage la jalousie le dégoût la terreur la solitude le chagrin la frustration l’angoisse les cauchemars les souvenirs, le tout tâché de sang ? as-tu peur de ne plus pouvoir me consoler ? as-tu peur d’affronter ta propre réalité ?
les reproches taillent encore ce qu’il reste (pas grand chose)
il y a une autre voix qui dit tout pareil -c’était avant la chute, celui pour qui je me suis battu-e  ruiné-e celui qui m’a fait devenir, dans tous les sens du terme, ce que je suis aujourd’hui : pas humain, pas divin, une chose qui essaie de remplir tous les trous percés par ses erreurs et l’égoïsme des autres
on dirait entendre mon père
ça devient difficile de respirer il y a quelque chose sur ma poitrine j’essaie de fouiller je n’y trouve rien je me gratte m’éloigne la gravité est étrange j’ai l’impression de glisser en arrière et je racle encore sur ce t-shirt est-ce que les araignées sont venues me sauver ? non ce ne sont pas leurs pattes c’est moi qui penche à gauche, à droite peut-être, ça cogne de partout il n’y a pas de soleil ou d’insolation il n’y a pas d’eau tout autour il n’y a pas —je sais ce n’est que de l’air, de l’air qui se,,, qui se respire,,,,,,, doucement,,,,,,,,,, la pièce n’est pas blanche c’est juste vagal, j’ai chaud, sont-elles parties ? est-ce qu’elles m’ont laissées ? est-ce que tout le monde va m’abandonner ? est-ce que tes mots résonnent parce que tu t’éloignes ? précieux je ne te vois plus je —ne pars pas, ne pars pas, t’as pas le
droit
le silence crie
pas comme elles
je ferme les yeux mais même là tout reste blanc, il y a des étoiles, est-ce que bientôt ça sera toi ?
si je n’avais pas voulu le sauver, on ne se serait jamais revu-es
(bouffées de chaleur, acouphène, nausée, asthénie, sueurs, palpitation, nausée : lipothymie)
mon esprit est ailleurs
il flotte loin de mon corps
il se refuse à tout, décide d’arrêter le temps
comment peux-tu lui demander de lâcher prise ? c’est son défaut fatal.
était-ce écrit ainsi dans les astres ? que ta folie emmène son corps avec toi ?

c’est triste parce qu’il n’est pas temps encore.

tout ce que tu me dis m’étouffe encore
je n’ai jamais accepté l’inchangeable : c’est là probablement un crime d’hubris
mais n’est-ce pas notre apanage ?
non. on ne pourra plus. plus tard, je veux dire, je ne le précise pas, c’est évident,
tu appelles au souvenir du bonheur en même temps que tu me l’arraches des mains
pourquoi veux-tu mourir, précieux ? je n’ai plus rien à perdre
moi je n’ai pas peur des mots, j’ai peur de l’avenir
mon père a choisi de mourir alors qu’il avait la possibilité de vivre encore. je ne l’ai jamais accepté. j’en ai des cauchemars encore. voilà ce qui nous attend. nous, parce qu’il ne s’agira pas que de moi -il s’agira de ton souvenir aussi, et de ton passé alors. les fleurs pourriront, toutes, et les chansons que l’on écoutait me feront mal au coeur, peut-être qu’entendre jun jouer me rendra malade, je devrais probablement déménager le laboratoire, je n’irais plus jamais au théâtre, ni au musée, ni en forêt, je détesterais les gens en costume et chaque fraise que je verrais sera un rappel amer qui fera remonter les larmes, qui m’enlèvera au présent. je ne suis complice de rien. je ne peux pas faire semblant. je déteste voir les flux cytoplasmiques, je déteste les serres, je déteste les enfants d’apollon. (mon père) je déteste la lune, je déteste me couper les cheveux, je déteste le violet. (luna) ce sont des choses qui restent, précieux. ça serait ma réalité. ne sois pas un lâche. regarde-la en face. regarde-la ! prends tes responsabilités ! je t’en voudrais toute ta mort. je ne veux pas que ce soit facile. je veux que ça n’arrive pas ! je veux que tu vives ! c’est injuste, que de me demander des moments heureux quand tu me condamnes à un avenir sans toi, quand tu pourrais choisir de nous donner beaucoup de temps encore. les poings tordent ton haut si je lâche je ne remonterai pas. oracle.

je n'ai plus de colère, je l'ai laissée il y a longtemps déjà -une éternité je crois
je ne suis pas déçu-e non plus, je ne suis pas triste, c'est un mot trop faible
mon corps n'est pas là où il devrait être, j'ai le cœur dans la tête, et les pieds ailleurs, les poumons à l'extérieur, renversés pour mieux respirer mais rien n'y fait ça ne rentre pas ça sort seulement j'halète et la sensation perçante, aiguë, vive, se déplace à chaque mouvement -elle prend plus de terrain encore
tu dis trop de choses, ce n'est pas normal, tu vois bien, le monde s'écroule
le monde s'écroule et les tombes s'ouvrent, les secrets aussi, je n'ai pas envie de comprendre, je ne suis pas choqué-e parce que ce sont des choses devenues mondaines pour moi, normales, habituelles, presque réconfortantes, ah ! trop de vertu c'est inquiétant et derrière ta façade de vices il n'y en avait jamais réellement des horribles ; des dégoûtants peut-être, mais jamais des vils, des infâmes, des sordides
j'ai envie de te dire : bienvenue dans la cours des grand-es
j'ai envie de te crier : énumère-les, oui ! dis-moi le désespoir de les avoir perdu-es ! et compte après celleux que tu perdra en partant !
je sais ce que c'est que de craindre le monde tu ne vois pas les ombres comme moi, tu ne sens pas le hors-de-soi comme moi, tu n'as pas changé de peau tu ne l'as pas enlevée bout à bout à la pince chirurgicale, te dégoûtes-tu seulement ? je ne le crois pas
je sais ce que c'est que de survivre alors qu'il n'aurait pas fallu je l'ai tuée je l'ai fait c'était à moi de partir est-ce que finalement ce n'est pas tout ce qu'on est en train de se dire ? que mon temps est dépassé depuis longtemps
je sais ce que c'est de trahir, de savoir que c'est la bonne chose à faire, et de douter toujours à chaque instant pourtant c'est dans le moment je ne me rends pas compte le cerveau est lent il parle après le cœur et je l'ai au bord des lèvres, il est prêt à sauter dans ta bouche à toi pour masser le tien, mes doigts remontent pour toucher ta peau (elle est toujours humaine)
je sais ce que c'est que de fuir, je l'ai déjà fait, ce n'est pas compliqué, je peux t'apprendre -- je peux venir
c'est cruel, non ?
tout ce que je serais prêt-e à te donner
alors que tu m'assassines l'œil sec
es-tu triste pour moi ?
je n'en suis pas sûr-e
dis-le
dis-le, simplement et sans détour
dis-le, que c'est égal, ce qui m'arrivera -vivre ! mais dans quel état ? pour combien de secondes après toi ? on ne se reconnaîtra pas en enfers
on ne sera toujours que des inconnu-es
je ne crois pas au destin à travers les vies -on ne se retrouvera pas
je pourrais t'empêcher, précieux. ça ne serait pas bien compliqué, quand on y pense.
et si tu doutes
c'est que tu me pensais trop doux-ce aussi
je pourrais déjà aller le voir. ça aussi, ce ne serait pas très compliqué. j'en sais déjà trop.
ce n'est pas une menace, contrairement à ce que tu pensera
je pleure, toujours
je ne sais pas si ça s'arrêtera un jour

qui dit que le monde est comme les autres le veulent ? moi je n'y ai jamais cru, ne devrais-tu ne pas y croire non plus, égaré ? les lignes changent de courbes selon l'angle sous lesquels on les regarde ; moi je n'aime les choses droites que dans mon travail, sinon je tords toujours tout pour que ça me plaise, me convienne, et toi, toi, n'as-tu pas fait des pieds-de-nez aux règles aux lois aux bonnes conduites ? n'as-tu pas déjà recréé le monde à tes souhaits ?
rien n'est interdit
il s'agit de ne pas se faire attraper.
ailleurs, quelque part, qu'importe ! soudainement ma voix crie, ce n'était pas prévu, c'est un éclat du bloc dans ma gorge : il reste là, érodé sur les côtés par la force de ma détermination, de ma stupidité peut-être, de mon désespoir sûrement non, ils ne nous feront rien, précieux, pas avec la brume, et pas si je leur demande -si je leur demande, ça ira, il-- il tient parole, il t'aimera bien aussi peut-être que finalement la folie n'était pas que chez toi, était-ce pour cela qu'on s'entendait si bien ? nos lignes étaient similaires en cela qu'elles ne menaient qu'au vide, je les connais, celleux qui ont encore une raison, iels ne nous tueront pas, j'ai survécu, longtemps, loin, dehors, j'ai réappris à faire plus que survivre d'ailleurs, je connais des gens, iels nous aideront -- je parle de choses que tu ne connais pas de moi
je n'ai jamais rien dit de ces années de silence, d'absence, de mort supposée
ce n'est pas quelque chose dont j'aime parler : personne ne me semblerait capable de comprendre
mais toi ? peut-être
tu saisis, je crois, l'obligation des actes
les couloirs sans issues
quand il ne reste plus que le toit.
je manque de tomber quand tu me repousses, je m'agrippe à tes mains tes poignets puisque c'est tout ce qu'il me reste, ils sont fins, l'ont toujours été, mais je les déteste encore de pouvoir toucher mon pouce et mon index (j'aurais préférer t'apporter d'autres types de bagues, de bijoux, de merveilles -mes mains sont menottes, fardeaux sur ta peau, et mon ventre gronde mais je ne sais pas ce que je déteste vraiment)
c'était bien ça, alors, le pire qui pourrait arriver : pas ma démise, mais l'entrave à ton plan
je ne te dis pas : si je vais le voir c'est pour toi (c'est parce que je te préfère à lui)
j'ai bien vu que tu ne comprendrais pas.
je me retiens de te proposer de le tuer
je ne suis pas certain que tu t'en remettes.
je ne dis rien
le silence revient
je n'ai plus chaud, plus froid,
je n'entends plus mon cœur, je ne sais plus si je respire
mon visage est si mouillé que je me demande si je peux encore pleurer
et, malgré tout, je ne t'ai toujours pas regardé.
je prends ta main, la met contre ma joue
j'ai l'impression que c'est la fin de l'amour
ne peux-tu pas me rendre fou ? que je ne me souvienne de rien
jamais je ne te dirais que je ne voulais pas savoir, parce que ce n'est pas vrai
je ne te vois plus devant moi, c'est autre chose, est-ce une vision de ton fantôme ?
je ne l'aime pas (ça serait impossible de l'aimer comme toi)
ma gorge s'est fermée
elle ne veut plus rien dire
à moi s'accrochent des mains qui ne valent rien puisqu'elles ne sont pas les tiennes
elles me disent des choses que je n'entends pas mais que je comprends
elles savent bien plus que moi, et en cet instant je les déteste de te connaître mieux
elles n'ont pas le droit.
j'ai envie de dormir
de m'allonger sur le sol, de tout arrêter, de te prendre dans mes bras et de ne jamais te lâcher -serait-ce si terrible ? quand on se réveillera, qui sait ce qu'on trouvera : des ruines, un paradis, la même chose
je crois que tu m'as transformé en fantôme aussi.
tu te rappelles ? quand tu m’as demandé si je n’allais plus me mettre en danger je voudrais te dire : tu te rappelles de ce que tu voulais ? tu te rappelles de ce que tu as senti ? tu te rappelles de pourquoi tu as demandé ?
je n'en dis rien
nous étions stupides.
mes pensées flottent autant que les ombres, elles n'ont de sens plus que pour moi et mes yeux noirs, fermés au monde des vivant-es
c'est faux : je vis pour toi
pour toi pour mars pour jun pour luther pour cassiopée pour amadeo pour milo pour oliver pour sophia, pour d'autres aussi, pour d'autres encore
d'aussi égoïste que je suis, que je parais, c'est là mon oxymore : je ne me choisis que pour les autres.
un monde sans toi vaut moins le coup d'être aidé.
pourquoi m'as-tu dit ? tu savais comment j'allais réagir. je t'accuse, alors, de m'avoir tué en faisant cela.

ce calme n'est pas une acceptation, n'est pas une trêve, n'est pas l'armistice ni la paix
il faut juste que je reconstruise les murs autour de moi -ah, dommage, tu ne les verra même pas
ne t'inquiètes pas : tu ne ratera rien, puisque je n'y mettrai aucune couleur, aucune beauté, je n'y accrocherai aucun de tes tableaux, je n'y mettrai aucun mot mais plein de tribunaux
tout le monde sera coupable
(de quoi ? devine)
je t'en voudrai toujours. je le dis sans détour, dans le même immobilisme qui m'empêche de t'atteindre
je crois, finalement, qu'on se comprend en cela
j'aurais aimé ne pas savoir. mais tu ne m'as pas laissé le choix, par deux fois, et alors -m'aimais-tu vraiment ? (oui, oui parce que j'ai menti : dans tous les univers j'aurais voulu savoir, et alors ensuite essayer, tenter, éprouver, chercher, risquer, pleurer ; peut-être que je dis plutôt : je ne sais pas si j'aurais voulu te connaître)
je me demande ce que je me dirais, si je me croisais à mes treize ans
je crois que je le regarderais et que je ne dirais rien
ça voudra dire tu verras bien et je pense que je me comprendrais : même dans le calme de mon enfance, j'avais cette distance au monde. je savais, je crois, que les mauvaises choses viennent toujours. je n'avais qu'à ne pas les laisser venir jusqu'à moi.
je ne savais pas, à l'époque, que tu seras un de mes malheurs, précieux. je pensais que j'aurais été le tien. peut-être que je le suis, à me mettre en travers des chemins tout tracés. je creuse, encore, au cas où, la terre sous l'ongle, à déplacer des arbres s'il le faut
regarde, tout ce qui est possible, encore, ailleurs, là-bas, avec moi --
ma tête s'affaisse sur le côté, cherche ce qu'elle peut de toi

bien sûr que je ne vais pas te laisser faire.

je suis fatigué-e aussi. je sais que je t'ai dit que je ne voulais pas me rappeler nos souvenirs, ni en créer des tous faussés, mais que tu parles autant de lui m'enrage, me blesse, me laisse sur le côté de tes pensées
je me sentirai toujours coupable. c'est la réalité, je le sais déjà, c'était comme ça pour tous les autres -pourtant iels ont choisi elleux aussi.
il ne restera jamais que moi, alors
jusqu'à ce que ce ne soit plus le cas.
tu ne me demandes pas de promettre, et en cela je vois bien que c'est vrai, ce que tu as dis : tu t'en fiches de ce qui arrivera
tu t'en fiches, ça t'est égal, ça ne t'importe pas
je suis troué-e de tous côtés et la brise qui passe au travers n'a que des odeurs de charognes, de mortier et de goudron
allons sur ton canapé.
prépare ton testament, ai-je envie de te dire
ne me mets pas dessus, ai-je envie d'ajouter
je n'y peux rien il faut que je refuse tout de toi, c'est devenu impossible que de penser que ce qui est à toi sera à moi parce que tu n'existera plus, je n'en veux pas, ne me les donne pas, je refuse tout, et, incapable de filtrer, je refuserai le monde entier aussi
voilà ce que tu me laisses : un chantier ; le ciment humidifié prend sur mes joues, bientôt je ne pourrais plus l'enlever, si j'en rajoute il coulera sur mon corps, me rendra lourd, mais impénétrable, il arrêtera mes larmes, ou alors me tuera dans leur somme devenue lac.
je ne veux pas partir. (pars quand je ne serais plus conscient-e -pars avant la nuit, ne reviens plus jamais, ou alors fais brûler ta maison avant ; pars comme une ombre, comme un voleur, comme une honte ; pars, ne laisse aucune trace, efface tout comme si tu n'avais jamais existé, prends avec toi celleux que tu veux voir en enfer
sauf moi, parce que tu n'as pas le droit
mais de toutes manières tu n'y pensera pas)

ça ne change rien -tu n'es pas assez désolé. je le sais maintenant. je te regarde enfin. où est-il passé ? l'enfant qui m'aurait écouté aux premiers mots ? le jeune adulte qui serait resté pour prouver que j'ai tord ? il ne reste que celui-là, fatigué alors, qui croit savoir mais qui s'est déjà trompé quand il était si certain.
je pense que tu le regrettera, précieux. je pense que tu sentira la culpabilité et la peine, peut-être même que ce sera ton châtiment. tu ne saura juste plus pourquoi. tu n'existera pour plus rien.
je n'aime pas ma facilité à accorder tous ces verbes au futur. je crois que j'ai les fils mal connectés. l'orage est toujours en cours. ça a arraché les pylônes, ça a fait s'effondrer les routes. tant mieux, tant mieux. ça rendra la tâche plus difficile pour les autres. les prochain-es, après toi.
je ne sais pas si je te suis ou si tu me traînes. je n'ai pas la sensation de marcher, je ne sais même pas comment je fais encore pour respirer. je suis fatigué-e mais je n'arriverai pas à dormir. je le sais déjà. je n'en dis rien. je pense que tu ne dormira pas non plus.
tu t'allonges et je te regarde. je ne sais pas pour combien de temps. trop, sûrement. qu'est-ce que je fais ? je ne veux pas me rappeler de toi dans les moindres détails. ça serait artificiel, mal fait. je préfère les restes de ce à quoi on a jamais trop fait attention. en souvenir du bon vieux temps. en souvenir de l'amour qui était là. c'est bien assez comme raison.
si tu ne m'avais rien dit, j'aurais peut-être souri. ç'aurait été ça, ce que tu aurais pris. je te l'interdis, désormais. tu n'emportera pas un de mes sourires avec toi.
je me penche. de mes mains, j'attrape ton visage. je dépose mes lèvres sur ta joue. les premières lèvres embrassées, les dernières avant le baiser de la mort.
je me relève. j'envoie un message, préviens jun, laisse le téléphone par terre. notre temps alors est infini.
je m'allonge. mon dos est contre toi. je ne veux pas que tu me vois. je sais que ça ne sert à rien. tu m'entendra pleurer.
je vais chercher ta main, la serre contre ma poitrine. je me recroqueville autour d'elle (les jambes contre mon torse, le dos rond, la tête proche de nos doigts entrelacés).
tu m'entendra juste pleurer. peut-être, après, je m'endormirai.

c'est moi qui m'enfuira sans bruit. je ne peux plus être ici. je ne te laisse pas un regard, sinon je sais que je ne partirais pas. dans le silence de la maison, je divague. je vois les cartons, la bouilloire, le lit défait.
je prends une cravate. je n'en sais même plus la couleur. je te vole et je te mens. je ne peux pas faire autrement.
une obole est posée sur la table. ce n'est pas pour toi. c'est pour charon. ne l'oublie pas.