Hải était un garçon calme, surtout avec les personnes qu’il connaissait bien, donc il tenait bien la main de Reyn sans la lâcher un instant, il ne s’était pas plaint de passer la journée avec lui - ou plutôt il ne se plaignait plus de la distance entre son parent et lui, bien qu’il essaye toujours de la réduire - demande simplement tonton Reyn, on est bientôt arrivés ? mais il a presque aussitôt sa réponse reconnaissant les forges.

une fois dans les forges c’est tantôt lui qui te guide, tantôt toi. en effet, tu y avais passé beaucoup de temps, comme le témoigne les “bonjour”, “coucou”, “oh Hải ! ça va ?” qu’on t’adresse sur votre chemin et auxquels tu ne manques jamais de répondre.

pendant que ton fils passait une journée d’enfant - comme il devait à son âge -, tu enchainais réunions et paperasse, comme si tu ne connaissais que ça, travail. ou plutôt, tu ne connaissais plus que ça, le travail — ton échappatoire.
et tu ne réalisais pas à quel point cet échappatoire te noyait réellement.
tu ne voulais pas réaliser à quel point il te noyait, toi et ta relation avec Hải.

tu avais un bureau à l'Ecclésia donc il n’y avait plus aucune raison pour toi de venir travailler dans ce bureau maintenant entièrement pour Mistral. et pourtant pour éviter de s’envoyer mille mails et lettres, quand il s’agissait de papiers ou de plans pour la construction du tram de Nausikaa, vous vous étiez mit d’accord que tu signerais et réviserais tout directement aux forges. tu entends des coups à la porte et une voix, mais ne traites pas directement qu’il s’agissait de ton ami et de ton fils - et par automatisme lance un oui entrez ! distant. puis quand les deux silhouettes entre dans le bureau, tu relèves la tête de tes papiers et réalise ah..! salut vous deux..! Reyn à peine entré et Hải qui se jette maladroitement dans tes bras pour un câlin, que tu rends à peine, passant simplement une main dans son dos. tu ris légèrement à la remarque de Reyn, y reconnaissant son sarcasme, mais Hải du haut de ses huit ans ne comprenait pas encore totalement ces subtilités de la langue et s'offusque de suite c’est pas vrai, j’ai été super sage avec tonton Reyn ! et tu ris de plus belle en lui passant une main dans les cheveux, les ébouriffant un peu, Reyn n’est pas sérieux, ne t’en fais pas. tu reposes le regard sur ton ami reste pas au pas de la porte viens… la journée c’est bien passée ? tu demandes aux deux.

tu hoches la tête imaginant ces scènes simples, quotidiennes, où tout du moins essaye de les imaginer, de te souvenir de leur atmosphère, de leur chaleur — il a fallu d’un instant, un jour pour que tu oublies totalement le goût de l’amour.

super, merci de t’être occupé de lui ça m’a vraiment dépanné… au « lui » tu passes une nouvelle fois une main dans tes cheveux de Hải - ces cheveux n’étaient pas trop longs pour son goût ? tu devras lui demander - puis relève la tête vers Reyn des secrets ? toi c’est sûr tu vas garder ceux de Hải… en ce qui concerne les tiens… un sourire en coin se trace sur tes lèvres hâte de les découvrir par accident. tu le taquines mais tu savais ton fils aussi secret que toi, gardien de tant de petites phrases, de petits mots d’autrui et de tant de ses pensées et bêtises qu’on pouvait avoir à huit ans.

de mon côté, rien d’aussi passionnant — des réunions à l’Ecclésia et de la paperasse ici... tu marques une pause, regardant les papiers étalés sur le bureau, puis Hải - te regardant tout trépidant, soit il n’était en effet pas épuisé soit l’idée de partager un moment familial lui avait redonné de l’énergie -, puis Reyn - un moment hors des diverses responsabilités, comme quand vous étiez jeunes, serait sympa, n’est ce pas ? - et conclu que oui pourquoi pas… ça serait bien oui… à quoi Hải semble presque avoir des paillettes dans les yeux et te prends déjà la main pour te sortir d’un monde de papier et d’encre. laisses moi juste deux minutes pour ranger tout ça et écrire un mot à Mistral, hm ? tu te lèves de ta chaise, range les papiers en plusieurs petites piles, attaches quelqu’uns ensembles, puis ranges tout ça en plusieurs dossiers avant de prendre quelques post-its écrivant quelques mots explicatifs à ton frère, tous signés « Huynh »… au cas où… bon ça devrait être assez clair. tu contemples les dossiers alignés sur le bureau avant de ranger tout le matériel que tu avais utilisé, mettre veste et prendre ta sacoche et enfin tendre la main à ton fils qui la prends impatient merci d’avoir attendu… on peut y aller.

qu’importe si votre lien avec Reyn n’était pas de sang, n’était ce pas le cas de tout l’île où même les adelphies ne sont qu’à demi ? dès que Hải avait appelé Reyn son « tonton », tu n’avais pas besoin du sang d’Héphaïstos dans ses veines pour le considéré comme part de ta nouvelle famille. en petite famille vous sortez du bureau et traversez les forges, Hải prends les devant, une main dans la tienne et l’autre dans celle de Reyn, et ce n’est qu’une fois dehors qu’il arrête de vous tirer derrière lui, mais refuse tout de même de vous lâcher.

à peine sortis, tu prends une grande inspiration de cet air froid qui te fait frissonner, contrastant fortement avec la chaleur des forges. et avoue que ça fait du bien après tant de travail… Hải relève la tête vers toi on devrait faire ça plus souvent ba má ? après un court silence tu réponds oui peut-être. et tu viens sûrement de signer ainsi un contrat secret qui te fera sortir tous les jours, mais pour l’instant vous continuez de marcher tous les trois, main dans la main.

il fallait que tu apprennes à nouveau à aimer, à profiter de ta famille, à apprécier la douceur de la vie, des gens, malgré les fantômes. mais enfermé.e dans ta tristesse, dans tes regrets, dans la noirceur confortable de la mort, ce n’était que par tout petit pas que tu redécouvrirais la vie. et cette redécouverte commence avec les petites promesses de promenades ensemble, d’abord sur Nausikaa et peut-être un jour - lointain - en dehors, pour faire voir le monde à Hải, pour lui faire connaître ta famille, celle de Naomi peut-être aussi.

tu hoches la tête à la confirmation de Reyn, à sa proposition. que ce soit par égoïsme ou par amour, à deux contre un, tu ne peux pas refuser. tu devras apprendre à vivre ces moments avec d’autres, à les vivre dans le présent, à les prévoir dans le futur sans qu’ils ne te rappellent douloureusement le passé.

à la mention des fermes, les yeux de ton fils s'illuminent et il relève la tête regardant tantôt Reyn, tantôt toi, oh ! oh on peut aller voir ? le petit demande en sautillant, anxieux que cette balade ne se termine que trop tôt on s’y dirige déjà. une pause du coup oui, on peut y aller. et alors ton fils empresse le pas, vous tirant à nouveau Hải… avec un léger rire Hải doucement, les fermes ne vont pas disparaître… c’était plus pour lui, il allait se fatiguer trop vite pour rien. alors le petit arrête de tirer, à nouveau entre vous, il relève la tête vers Reyn, tonton Reyn, y’a quoi comme animaux dans ces fermes ? est ce qu’il y a des vaches ? et des poules ? il pourrait citer tous les animaux qu’il avait appris mais ces deux-là étaient ses préférés.

tu souries légèrement à Reyn, d’une part content.e que l’enfant trouvait encore - ou de nouveau ? - de la joie dans certaines choses woooww !! le regard rempli de paillettes d’abord adressé à Reyn puis vers toi pourquoi on y est jamais allé avant ? Hải pose cette question avec beaucoup d'innocence, il venait de découvrir à travers Reyn un nouveau monde peuplé de tant d’animaux qu’il aimait alors c’était normal de se demander pourquoi son parent ne l’y avait jamais amener, ellui qui connaissait ses goûts. mais au lieu de t’attendrir, ces mots te font presque mal au cœur on y est allé avant. le sourire disparu de tes lèvres, et le petit te regarde avec des grands yeux troublés quand tu étais plus petit. quand maman était encore en vie peut-être que quand tu les verras tu t’en souviendras… tu espères, car toi tu t’en souviens de ces sorties en famille, quand ton fils était si petit, qu’il marchait encore avec fragilité alors que maintenant il arrivait même à vous tirer derrière lui sans trébucher.
tu espères qu’il se souvienne du fantôme de sa mère à ces endroits, parce que tu avais peur qu’il l’oublie comme tu l’oubliais toi. tu avais peur que “maman” devienne un mot vide, juste un visage sur des photos, qu’il oublie l’amour immense qu’elle lui avait porté, tous ces moments passés avec elle que tu avais raté, absorbé déjà alors par ton travail.

c’est pour ça que quand Reyn propose de sortir, repeupler Nausikaa de nouveaux souvenirs, une vague de peur t’envahit, peur de cette soudaine proximité qu’il s’accordait, peur qu’il prenne toute la place des fantômes - car les danses macabres t’étaient habituelles maintenant, et tu n’aimais pas quitter ta routine -, peur d’avoir trop de temps et pas assez, de voir trop de choses et pas assez. peur de reprendre les vieilles habitudes car elles supposent “quand elle était vivante”. oui je crois m’en rappeler. vous avant, mais vous maintenant aussi, fouillant dans les souvenirs d’anciennes conversations ou vous parliez de vos habitudes de bourreaux de travail — et pourquoi changer alors ? hein ? tu voulais lâcher la main de Hải, prendre Reyn par le col, siffler “arrêtes de vouloir rompre nos routines ! arrêtes de vouloir prendre la place de Naomi ! arrêtes ! tais toi et avances vers ses maudites fermes pour que je puisse rentrer plus rapidement aux forges !” mais tu gardes ces cris dans ta gorge, ravale tes mots, ta colère, ta peur avec ta salive, oui, on verra. réalise alors que tout ce temps tu fixais Reyn, sans savoir quel genre de regard tu lui avais lancé. tu le détournes, fixant le chemin devant vous quand le printemps ou l’été sera là. si tu ne trouves pas une énième échappatoire à la vie de parent, si Hải s’en souviendra.

et au fil de votre conversation les fermes se sont dessinées sur l’horizon, déjà proche car on pouvait entendre les bruits de divers animaux, le tintement des cloches au cou de vaches peut-être alors tiens Hải, regarde tu pointes légèrement devant avec la main qui tenait la sienne on approche des fermes. fuit les futurs hypothétiques en s'accrochant au présent.

un enfant n’avait pas à subir vos maladresses, n’avait pas le deuil, la tristesse des autres et pourtant involontairement il se retrouvait au milieu de tout ça. et malgré son âge, il sent que quelque chose ne va pas mais ne dit rien, car à cet âge là on ne comprends pas tout encore non plus. mais à tes mots, il commence à sautiller et quelques secondes plus tard, il lâche vos mains et se met à courir, rejoindre les fermes. ne t’éloignes pas trop Hải ! tu as à peine le temps de crier.

avant que Reyn ne s'excuse. et tu réalises que ton regard, ton expression n’avaient pas été aussi neutre que tu l’avais espéré. c’est- tu soupires, passe une main dans tes cheveux - c’est plus aussi facile que quand vous étiez au camp. c’est moi, tu n’as pas à t’excuser. au contraire, merci de t’inquiéter, d’aider. tu poses une main sur son épaule, serre un peu, montre du mieux que possible ta sincérité, malgré la colère ressentit quelques minutes plus tôt vraiment. vous rejoignez à votre tour la ferme, vous posant près d’une des barrières où vous pouviez voir le petit passer, ce qui semblait être, un des meilleurs moments de sa vie. maintenant accoudé.e à la barrière, tu sors un paquet de cigarettes et un briquet de ta poche, sort une cigarette du paquet avant de l’allumer, tirer dessus, expirer un petit nuage de fumée. tu tends le paquet et le briquet vers Reyn - il fume ? tu avais oublié -, le laissant se servir ou pas avant de ranger à nouveau le tout. tire à nouveau sur la cigarette, le regard toujours fixé sur ton fils explorant ce nouvel environnement, se faisant de nouveaux amis auprès des animaux. il y a… deux ou trois ans je crois, Naomi, Hải et moi on est venu ici. tu dis avec une certaine nostalgie. tu pouvais revoir deux figures jouant avec les animaux, de la même manière que ton fils faisait maintenant. c’est peut-être de là que Hải tient son amour pour les animaux. quelque part son subconscient se souviendrait donc de ces fermes. ba má ! tonton Reyn ! regardez ! Hải vous appelle de plus loin, grand sourire aux lèvres, vous montrant une poule qu’il avait réussi à prendre dans les bras. tu le salues d’un geste de la main, d’un léger sourire - quelque peu attendris par sa joie, son innocence.

je suis complètement perdu.e. tu avoues soudainement. avec Hải je sais plus comment faire, alors que pendant 7 ans j’ai réussi, mais depuis… une pause, tu fronces les sourcils, c’était toujours aussi dur de le dire à haute voix. depuis que Naomi n’est plus, c’est comme si j’avais tout oublié. oublié comment aimer. et j’essaye ! désespéré.e je regarde comment Arden fait, comment Heidi fait, comment tu fais, comment les autres parents font aussi mais… c’est- c’est plus aussi simple que ça ne l’était…! et je me demande — est ce que je suis un bon parent ? est ce qu’il m’en voudra plus tard ? est ce qu’il m’en veut maintenant ? cet enfant qui rit au loin, découvrant un monde plein de couleurs, alors que le tien n’était que noir et blanc à présent.

les bras croisés sur la barrière, tu te penches pour poser ton front sur tes bras, laissant ta cigarette fumer, laissant la cendre tomber avant de te redresser à nouveau, gardant le dos courbé, tirant une nouvelle fois sur ta cigarette. tu n'avais pas l'habitude de montrer autant d'émotions, tu inspires, expires, essayes de te calmer un peu. tu tournes la tête vers ton ami, je suis complètement perdu.e Reyn. lui offrant un sourire triste, une grimace presque, comme si tu te retenais de pleurer.

c’est fragile une relation c’est vrai. un mot et les feux s’embrasent ou s’éteignent, un geste et le sang coule ou s’arrête, un moment ensemble et une relation évolue ou se termine. parce que parfois ce n’était pas les mots les plus importants mais les gestes. en effet, tu ne pensais pas chercher chez Reyn des vraies réponses à tes questions, tu penses chercher plus une oreille attentive, un soutien rien que physique.

mais il parle, te soutient, vous étiez si similaire - bourreaux de travail ne voyant pas la lumière au bout du tunnel, désillusionnés alors qu’il vous restait si longtemps à vivre. et moi qui te disais “c’est dans longtemps, on peut ne pas y penser !”... tu souffles un rire amer et regarde où on en est. dans un futur que vous ne vous étiez pas imaginés, que vous n’auriez jamais pu vous imaginer. et l’insouciance de la jeunesse, l’aigreur adulte s’envole avec la fumée empoisonnant vos poumons. et que Hải s’en tienne loin - bien que l’odeur de la cigarette sur ta peau, tes habits était pour lui l’odeur de son parent -, qu’il se réjouisse de la vie, des animaux qui le regardent d’un air curieux.

“on n’est jamais à la hauteur”, cela te fait souffler un rire, un peu triste, te rappelant que Naomi t’avais dit quelque chose comme ça quand Hải était né. tu avais été sincèrement heureux.se de devenir parent, de l'accueillir dans ta vie, mais la première fois que tu avais pris ton fils dans tes bras, cet être si léger t’avais semblé un poid si lourd de milles questions - est ce que tu allais bien l’aimer ? être un bon parent ? comment être un bon parent ? comment bien éduquer un enfant ? - et elle t’avait dit, bien sûr que vous alliez faire des erreurs, parce que vous apprendrez à être parent en même temps que Hải grandira. c’était pas beau ça ? grandir ensemble ? mais là, il n’y avait que lui qui grandissait pendant que toi, tu stagnais.
il t’aimait pendant que toi, tu stagnais, l’amour mêlé à la mort,
l’amour teinté par la mort.

tu tires une dernière fois sur ta cigarette avant d’écraser le mégot sur ta barrière, le délaissant là pour l’instant. j’ai tellement pas envie de changer… tu passes tes mains sur ton visage puis dans tes cheveux, honteux.se de cet aveux, tu soupires — quel duo pathétique vous étiez, tu ne pouvais t’empêcher de penser. comme tu dis le changement fait peur… c’est pas simple… mais je sais pas… sa main sur ton épaule, la pression de celle-ci, elles font quelque chose que les mots ne font pas, peut-être- tu penches ta tête afin de l’appuyer sur la main de Reyn peut-être que si t’es là… ça pourra se faire… le sourire n’y est pas encore mais peut-être dans deux ou trois mois, dans un an, un jour il y sera. merci Reyn.