Il a mal, Bellamy. Il pensait s’anesthésier, que le temps irait de lui-même nécroser le peu d'humanité qu'il lui reste et l'achever de ressentir, d'exprimer une quelconque douleur. Parce qu'il était las, Bellamy. Las d'avoir mal. Las de voir une à une les gens lui tourner le dos le regard déçu et la bouche déformée de dégoût. S'il avait eu, a une époque, une passion pour le martyr, ce n'était plus le cas. Bellamy ne trouvait plus rien de beau, plus rien de noble, plus rien de digne, dans le fait de se sacrifier pour les autres. Il y avait eu Précieux, puis Nate. S'en était trop. Heureusement avait-il Leslie. Sauf que Leslie aussi n'était pas infaillible.  

Assis sur le canapé, dans le noir, il attend. Il l'attend. La tête bouillonnante de "pourquoi ?". Le cœur agité de "pas toi !". Il s'était dit qu'il pouvait supporter encore un peu le poids du monde, puisque lui était sa récompense. Terrifié qu'on lui arrache la seule miette d'espoir qu'il lui reste, Bellamy tourne dans sa tête comme un lion en cage, pourtant immobile dans son corps, froid. Un verre de vin auquel il n'a pas touché repose sur la table basse. En revanche, le paquet de cigarette plein de ce matin est entamé lui et presque vide. Quand la porte de leur appartement s’ouvre, son cœur bondit, puis se serre. Il n'ose pas lever la tête dans un premier temps, ni esquisser le moindre geste pouvant trahir sa présence. Peut-être veut-il le surprendre. Non, peut-être a-t-il juste peur. Peur de le perdre. Peur de ce qu'il devra faire. Bellamy a juré. À Nate, a Précieux. Tout ceci, ce pouvoir, cette quête, ce n'est pas pour lui mais pour eux. Il a promis, Bellamy. À Diane, a Lazare. Tout ce qu'il fait, tout ce qu'il trahit et détruit c'est pour eux. Mais il n'a pas envie, Bellamy, aucune envie, de détruire Leslie. L'ambassadeur de Dionysos revient sous ses paupières closes le visage de l'Hydre. Non, il ne veut pas détruire Leslie. Il ne veut pas qu'on lui retire ça. Peut-être a-t-il un peu menti. Il y a quelque chose qu'il fait pour lui. Seulement pour lui.

Luther.

Voilà ce qu'il dit en guise de réponse. Un simple prénom. Un prénom maudit, dont il redoute l'effet. Il observe la silhouette de Leslie, cherche dans l'éclat que la télé projette sur son doux visage, le signe de la culpabilité, de la trahison. Il espère que Leslie n'en savait rien. Il se doute que Leslie savait probablement tout. Bellamy pense toujours le pire des scénarios plus probable.

Tu n'as pas quelque chose à me dire, Leslie ?

Le regard qu'il lui lance est horriblement vide.
Sa tête hurle "Pourquoi ?"
Son cœur hurle "Pas toi !"

Dis-moi que tu n'en savais rien. C'est un ordre. Il serre les poings tout en sachant pertinemment que même s'il voulait que Leslie lui mente, il entendrait la vérité de toutes les façons. Les battements du cœur du fils d'Hermès résonnent dans son crâne, assourdissant. Dit moi que tu ignorais que tu fréquentais Ladon.

Il lève légèrement la tête, souffle entre ses lèvres.

S'il y a une personne dont je ne pourrai encaisser la trahison ou l'abandon, c'est bien toi.

Le poids des confessions le fait s’affaisser sur lui-même. Bellamy se penche en avant, pose ses mains pour prendre son crâne. Il aurait préféré que Leslie mente, finalement. Pourtant, il aurait tout de même entendu la vérité. Peut-être alors aurait-il eu au moins le choix d'être dans le déni.

Putain.

Il soupire, souffle, la déglutition difficile.

Après mes amis, mes frères, il faut que ce soit toi.

Et ça lui pèse, ça lui fait mal. Il relève la tête. Leslie est face et lui et ne s'excuse pas. Quand il le regarde, Bellamy a l'impression de l'entendre dire "c'est comme ça."

Jusqu'à récemment quand, Leslie ?

Il a besoin de savoir, de l'entendre, d'évaluer l'ampleur des dégâts.

Réponds. Jusqu'à récemment quand ?  Il souffle. Depuis combien de temps me caches-tu cette information ? Plusieurs jours ? Plusieurs semaines ?

Il secoue la tête.

Je te conseille vivement de ne pas aggraver ton cas. S'il te plaît.

Son regard à lui hurle qu'il n'a pas envie.

Depuis janvier. Bellamy expulse un rire blessé avant de passer ses mains dans ses cheveux pour les plaquer en arrière. L'ambassadeur dieu est fatigué. En soit, le mensonge n'est pas si vieux. Mais le mensonge existe tout de même et ce que se permet de dire Leslie n'arrange rien. Bellamy lève son regard cerné vers lui.

C'est donc comme ça que tu me vois désormais ?

Il insiste.

Comme un monstre ? Comme un fou ? Comme un tueur ?

Et venant de Leslie, plus que de n'importe qui sur cette terre, cette pensée le blesse. Bellamy assume depuis des mois les coups répétitifs. Les coups de Lazare, de Précieux, de Nate. Le peur d’endurance qu'il lui reste, tenait à Leslie. Seulement si lui aussi se met à lui tourner le dos...

Venant de toi, ça m'achève. Je pouvais encaisser Nate, encaisser Précieux, encaisser Diane, mais toi ? C'est donc là où nous en sommes ? Tu me méprises déjà ? Dans ce cas peut-être devrais-je appliquer mes lois, en effet.

Il se lève, toise Leslie pendant d'interminables secondes avant de soupirer et de secouer la tête.

Tu es bien la dernière personne à qui je peux accepter de faire du mal. Quoi que tu en penses.

Il prend avec lui son verre de vin et son paquet de cigarettes. Sur la terrasse il laisse la fumée brûler ses poumons et s'expirer par les lèvres.

Je te conseille de coopérer avec la cité. Être en relation avec un monstre est un crime de haute trahison, mais partant du postulat que tu n'en savais rien jusqu'à très récemment, je peux plaider en ta faveur. Mais pour ça, Leslie, il va falloir que tu obéisses et te tiennes à carreau. Plus de sorties pour toi. Et je veux le nom et l'adresse de Ladon.

Il tourne la tête vers lui.

Il est le prochain dont je supprimerai définitivement l'existence.

Jusqu'à ce que ta situation soit éclairée, il est hors de question pour toi de quitter la cité. Et comme il anticipe que cet argument lui déplaise, il enchaîne. Ton employeur sera prévenu, il n'y aura aucune conséquence, de plus ton emploi et accessoire, ce n'est pas comme-ci, financièrement, on manquait de quoi que ce soit.

Et si c'est dur, si ça vexe, tant pis. Il a encore en travers de la gorge que Leslie puisse lui mentir, lui cacher quoi que ce soit. Bellamy est épuisé de la trahison, épuisé de la déception. Plus que jamais, il voudrait que quelqu'un le soutienne sans concession, le comprenne et l'aime sans contrepartie. Non, "quelqu'un" est inexact. Bellamy veut que ce soit lui, Leslie. Les autres, à ce stade, ne comptent plus.

Et Leslie refuse. Il "ne peut pas". Le fils de la folie serre les dents. Il retient à peine son agacement.

Leslie pourquoi t'évertue-tu à ne pas me choisir ? Aide-moi. Aide-moi à ce que tout ne finisse pas mal. Parle-moi !

Le fils d'Hermes tombe à genoux, vaincu. Le cœur de Bellamy se soulève soudain d’inquiétude. Il aurait pu tout imaginer, sauf ce qui suit. Leslie lui donne un coup. Plus violent, plus terrible, que tout ce qu'on lui a donné jusque-là. Il tombe à genoux, lui aussi vaincu.

Tu... Quoi ?

Il ouvre la bouche, craint d'avoir mal entendu. Mais le visage de Leslie, déformé par la détresse, lui confirme que ce n'est pas le cas. Ses lèvres tremblent, son cœur palpite. Puis, c'est le déni, l'hilarité. Il ourle un sourire nerveux.

Haha... C'est une blague... Tu ne peux pas... Les monstres n'enfantent pas d'humain...

Bellamy à besoin d'être rationnel, il secoue la tête, ni le problème. Ça n'existe pas. Ce n'est pas logique que ça existe. (si ça existe, c'est la fin.)

Comment aurais-tu été revendiqué par Hermès si tu étais... Ce que tu prétends être ? Il lâche un rire nerveux, secoue encore la tête. Tu dis des bêtises. Ça ne se peut pas. C'est ce monstre qui te retourne la tête ! Pour ne pas que tu le vendes ! Pour ne pas que tu nous conduises à lui ! Mais il est mauvais Leslie ! C'est un monstre, un prédateur ! Il n'y aura nulle paix pour notre espèce tant qu'il vivra libre !

Il s'accroche aux épaules de Leslie.

Tu n'es pas un monstre. Il gronde, les lèvres tremblantes. Je t'interdis de l'être.