Elle ne remarque pas encore de ta présence, tu l’observes de loin. Tu la vois se recueillir ; allant jusqu’à entendre le son de sa voix bien que la teneur de ses propos est inaudible. Tu la scrutes de loin, respectant une intimité que tu ne souhaites pas perturber, pour le moment.

Ce n’est que lorsque le silence ne se ponctue que d’alizés que tu te décides enfin de faire remarquer ta présence ; t’approchant d’un pas lent, mais déterminé. Tu l’entends prononcer ton nom et ne peux expliquer ta poitrine qui se resserre lorsqu’il s’échappe de ses lippes ; Diane est loin d’être une étrangère ; Diane est loin de te laisser indifférente.

C’est d’autant plus flatteur lorsque son visage s’éclaircit en voyant le tien ; tu n’as de réponse qu’un maigre sourire à son charmant accueil.

─ Non. Je suis venu te voir.

Je n’ai jamais compris le principe du deuil ; encore moins du recueillement. Je ne vois là-dedans qu’un rituel où l’on se force à se rappeler de l’autre ; on s’autoflagelle d’une algie insensée.

Une souffrance à laquelle tu es hermétique. Tu n’as pas pleuré longtemps celui que tu as tué ; tu ne regrettes pas sa mort et tu ne penses pas un seul instant mériter la moindre pitié, le moindre pardon pour tes actes ; ou tes intentions futures.

─ Mais si ce n’est pas un bon moment pour toi, je peux revenir plus tard.

Tu feins l’altruisme désintéressé lorsque le tien est égoïste ; tout ce que tu fais est minutieusement planifié pour te mettre dans ses bonnes grâces. Si Dionne t’a appris à affirmer ta féminité ; aiguiser le tranchant de tes armes ; Diane elle, canalise tes pulsions de violence et tes colères orageuses.

Ses leçons sont inestimables et serviront tes intérêts pour réaliser tes nouvelles ambitions. L’ambassadrice est une élitaire… une figure d’un groupuscule que tu vises avec avidité. Elle peut être un point d’entrée si tu la persuades de ta valeur ; tu te sens si proche du but que l’impatience te guette… mais tu ne dois te hâter sous aucun prétexte.

─ C’est indélicat de ma part de te demander ça, mais… comment vas-tu ? Tu as besoin de quelque chose ?
 

Ses traits s’étirent pour t’offrir ce rayonnant sourire, Diane est un soleil capable de faire de l’ombre à n’importe qui. Elle ne se semble pas surprise par ta présence, pas plus qu’elle ne la rejette ; c’est presque si elle en a besoin. Ce ne serait pas la première fois que quelqu’un dépend de toi…

Mais elle ? Oui, ça serait une première. Elle ne fait pas qu’opiner ta présence, elle vient même chercher ton contact. Tu restes immobile, comme paralysée. Tu ne sais dire si elle t’intimide ou si tu te complais simplement dans le moindre contact avec elle.

Tu ne sais pas quoi penser de cette proximité ; décontenancée par l’effet qu’elle te fait, gardant un simili de stoïcisme sur ton visage malgré l’envie de lui rendre ses caresses maigrelettes. Lorsque tu vois son sourire, tu voudrais lacérer son visage pour être la dernière à l’avoir contemplé d’aussi près.

Comme toutes celles qui s’approchent parfois trop près de toi, tu veux tes les approprier ; qu’elles t’appartiennent, qu’elles t’obéissent. Ton amour pour autrui n’a jamais été sain et il ne le sera jamais.

Auparavant, ta férocité menait inéluctablement à sa contrepartie brutale ; il n’y a qu’ainsi que tu te sens vivre. Mais Diane te montre d’autres voies ; une alternative qui te permet de resserrer tes serres autour de ta proie sans même qu’elle ne s’en rende compte.

Elle t’apprend la patience, nimbée ta malveillance d’un voile doucereux pour mieux piéger ta proie. Et ce, bien malgré elle, il faut l’avouer. Elle ne se doute pas de ce que tu es… ou bien refuse-t-elle simplement de l’accepter ? Au fond, quelle importance ?

Tu viens croiser ton bras au sien, collant ton épaule à la sienne, tes yeux rivés devant toi parce que tu n’arrives pas à croiser son regard :

─ J’ai une idée en tête. Non pas exactement… tu soupires. Disons plutôt un projet, que je prépare depuis quelque temps et que je veux mener à son terme, avant de passer aux choses sérieuses.

Là où certaines envies meurent, d’autres naissent. Mais malgré la détermination apparente dont tu fais preuve, un doute latent occupe ton esprit jusqu’à retarder tes plans. C’est ainsi que tu viens chercher son conseil ; parce que tu sais qu’ils seront utiles.

─ Néanmoins cela me mènera hors de l’île. Et je n’ai aucune idée du temps que ça prendra.

Ta tête bascule de quelques degrés ; ta crinière de feu vient flatter ses mèches solaires, comme si tu voulais qu’elle s’y attache.

─ Il y a certaines choses que je peux oublier, d’autres que je peux pardonner. En ce cas précis, je ne peux faire ni l’un ni l’autre. Ça prendra le temps que ça prendra, mais je dois aller jusqu’au bout.

Tu penses, en prononçant ses mots, densifier la substance de ta détermination, comme si le fait de dires les choses pouvaient les matérialiser. Tu sais aussi que tu doutes et que tu souhaites t’en débarrasser ; ou alors cherches-tu simplement une raison pour abandonner cette quête funeste. Ta main vient s’accrocher à son vêtement, prenant presque peur de voir Diane s’évaporer.

─ Qu’est-ce que tu conseillerais à quelqu’un menant une dangereuse vendetta hors de nos frontières ?

Que pourrait-elle bien faire pour te faire renoncer à tes envies de te venger ? À moins qu’elle ne t’encourage et ne t’aide… qui sait.
 

Le tonnerre gronde dès lors que l’éclaircit sur son visage disparaît. Diane est une enfant de Poseidon ; cela ne fait aucun doute. S’il a bien une tempête à craindre, c’est la sienne. Il ne t’a fallu qu’évoquer un départ hors de l’île pour qu’elle se manifeste.


Tu n’es pas surprise ; si certains font l’erreur de confondre douceur et faiblesse, tu n’en fais pas partie. Diane en est l’exemple parfait ; celui que tu as d’abord imité pour ensuite te l’approprier. Tu sens sa prise sur toi se renforcer… et le défi qui t’attend.

Ce qui t’étonne, c’est le calme effarant qui est le tien ; cette absence totale de peur malgré le doucereux courroux qui s’abat sur toi. Tu te remémores tes colères d’autant, ce magma qui se déversaient lorsqu’incapable de canaliser tes émotions, tu les laissais simplement se repaître des autres.

Tu te dis que le moment est venu… qu’il est temps pour la première fois de faire usage de tes pouvoirs sur elle. Tu as passé des années à t’améliorer, n’ayant l’impression que de gratter la surface de tes véritables capacités. Et si tu tentais l’expérience sur elle ? Parce qu’elle a beau tenter de te persuader d’abandonner ; c’est peine perdue.

Tu ne vas pas lui mentir… mais tout lui avouer ? C’est une autre histoire. Tu viens d’abord chercher le contact de son visage, apposant ton front contre le sien ; cette proximité, toujours aussi délicate, car tu veux qu’elle t’appartienne, comme tout le monde, sachant pertinemment que c’est peine perdue.

D’un calme aberrant que tu viens lui rappeler qu’il n’y a pas de retour en arrière possible :

— Je ne te demande pas la permission, Diane. Je te demande des conseils pour survivre quelques semaines en dehors de New York. Personne ne saura arrêter le plan que j’ai mis en branle.

Personne, pas même elle. Elle peut bien te ralentir, ça ne fait aucun doute… mais t’empêcher d’aller au bout ? Non. Tu es résolue, motivée, il ne te manque que de boucler quelques détails, planifier ton voyage et tu iras jusqu’au bout.

— Dans quelques mois, je trouverai mon chemin en dehors de nos terres et j’irai finir ce que j’ai commencé. Une fois que ça sera terminé, sache que j’ai aussi des plans pour nos semblables… et que tu auras la chance de me côtoyer encore plus souvent.

Un aveu à demi-mot sur tes projets ; sur le groupuscule que tu comptes intégrer. Diane peut être un point d’entrée comme elle ne peut être qu’un soutien de plus. Mais une chose est certaine : tes ambitions nouvelles, bien que grandiloquentes, trouveront une détermination de les accomplir du même acabit.

Tes mains viennent se poser sur son visage alors que l’ambre de tes iris vient lorgner sur l’azur des siens. Tu ne peux t’empêcher d’admirer ses traits, jalouser quiconque pouvant les posséder quand toi tu ne le peux. Alors cet instant est précieux, car il est tien et seulement tien. Ta voix ne tremble plus et le ton se veut tout aussi monotone que ta quiétude laisse transparaître.

— Je souffre, depuis que je suis toute petite. Je n’ai connu que ça… et elle me rappelle chaque jour que je suis encore en vie. Le jour où elle s’arrêtera, mon existence aussi. Tu n’as pas le pouvoir de la faire disparaître, mais tu peux la diminuer en m’aidant. Au risque de me répéter, je suis bien au-delà de te demander ta permission… mais si je n’ai pas ta bénédiction, puis-je au moins avoir ton aide ?
 

Ainsi tu insistes… et elle finit par céder à ta grande surprise. Si bien que tu restes figée pendant un moment ; n’arrivant pas à accepter que tu aies réussi à la faire plier. Et pourtant nous y voilà, ta volonté surplombant la sienne. Tu commences à réaliser que si ça fonctionne sur elle…

Pourquoi pas les autres ? C’est pour cela que tu t’entraines autant, tu ne devrais pas être surprise de réussir à la faire changer d’avis ; pourtant nous y voilà. Diane t’aidera dans ta quête bien qu’elle ne sache pas de quoi il s’agit, bien qu’elle craigne de te perdre comme ses adelphes.

Comme elle, tu redoutes le jour où tu mourras ; c’est un puissant vecteur te poussant à tout faire tant que tu es encore en vie. Si ton temps est compté, alors tu veux tout expérimenter avant que l’horloge ne cesse soudainement de tourner. Diane n’a d’autre choix que de l’accepter.

─ Je reviendrai. Tes mains de nouveau sur ses joues, ton regard planté dans le sien. Un feu ambré qui ravage tout sur son passage. Je te le promets, je reviendrai. Un sourire qui se veut doux, apaisant. Je m’en voudrai que tu ne puisses plus profiter de ma présence… j’ai de grands projets lorsque je ferai mon retour.

Tu irais même jusqu’à dire que Diane et une certaine fille d’Apollon sont la clé de voute de tes plans. Sans elles, tu n’iras pas loin. Mais une fois ta vendetta accomplie, enfin débarrassée des algies d’un terrible passé, tu pourras te tourner vers l’avenir et profiter pleinement du présent.  

Si elle peut t’aider, Diane le fera.
Un aveu qui ressemble à un abandon.
Le doute n’est plus permis, elle vient de céder.

Néanmoins elle a soulevé des questions auxquelles tu dois impérativement trouver des réponses. Tu ne peux pas faire ce trajet toute seule, tu as besoin d’aide. Tu ne sais pas ce qui t’attend… alors tu dois trouver quelqu’un. Quelqu’un qui connait le monde extérieur, quelqu’un qui pourra te protéger lorsque tu es le plus vulnérable.

Une idée te vient en tête.

─ Il me faut des informations et quelqu’un qui m’accompagnera pour ma protection. Je dois savoir exactement à quoi je dois m’attendre pour ce voyage. Quant à quelqu’un pour veiller sur moi… un sourire se dessine sur tes lèvres. Je pense savoir qui. Il me faudra sans doute un peu de temps pour la convaincre, mais je pense en être capable.

Tes pensées se tournent vers elle : Aethelsa. S’il y a bien quelqu’un qui pourrait le faire, même à contrecœur, ça serait elle. C’est une tâche que toi seule peux mener à bien : l’intimer à venir avec toi.

─ J’ai encore quelques recherches à faire. Mais en toute logique je ne devrais pas quitter la côte-est. Je suis si proche… si proche du but. Je dois aller jusqu’au bout… Diane. Tu ne sais pourquoi tu sens ta poitrine se serrer ni pourquoi une larme coule le long de ta joue. Mais tu répètes cette phrase comme si tu sentais que tu devais continuer à la persuader que c’est ce qu’il y a de mieux pour toi : il faut que je le fasse, sinon je ne pourrais jamais aller de l’avant.

Le visage rougit par des larmes de colères et de peines ; prisonnière d’un passé qui t’enchaine. Frustrée de ne pas pouvoir les briser seule, d’être contrainte d’appeler à l’aide. Il n’y a pourtant pas d’autre solution.
 

La seule bénédiction qu’elle peut te donner est l’espoir de te voir revenir ; tu as presque l’impression qu’elle te l’ordonne malgré la douceur de sa voix. Elle se nourrit d’optimisme parce qu’elle n’a pas d’autre choix. Maintenant qu’elle a plié sous ta volonté… elle te parait bien moins inflexible.

Tu réalises alors que si tu peux le faire avec elle… avec d’autres c’est aussi possible. C’est un crève-cœur que d’être aussi impitoyable avec cette femme que tu aimes tant ; ça l’est plus encore alors que tu prends exemple sur la personne qui t’a montré les prémices du mal qui te ronge. Tu ne peux plus revenir en arrière dans tous les cas.

Tu te maudis de te montrer aussi vulnérable face à elle… pourtant il le fallait pour la faire céder. Tu ne comprends pourquoi tu t’agrippes à elle, alors que tu sais pertinemment que tu dois lâcher prise si tu veux mettre tes plans à exécution. Tu te sens bien ; si bien dans ses bras. Tu voudrais que le temps s’arrête, rester comme ça, avec elle, jusqu’à ce que tu ne puisses plus tenir debout.

Tu comprends qu’à l’instar de Dionne ; Diane t’obsède. Elle te donne une raison de revenir coûte que coûte ; s’il te reste le moindre espoir qu’elle t’appartienne, ce n’est pas six-pieds sous terre que cela risque d’arriver.

Et pourtant, malgré tout l’amour que tu lui voues… tu ne pourras trouver la quiétude que tu cherches sans mener à bien ta quête. Tu ne pourras te focaliser sur l’avenir qu’en tuant ton passé. Tu ne vois en cet acte que la seule façon de devenir ce que tu es censée être.

─ Ne dis pas ça… tu m’as tellement, tellement aidé ! C’est grâce à toi que je sais ce que je veux, grâce à toi que j’ai appris comment l’obtenir. Tu ne dois pas t’en vouloir. Tu es autant la raison qui me pousse à partir que celle qui m’oblige à revenir.

C’est un serment à demi-mot que tu lui as fait. Cette promesse de revenir une fois ta vilénie accomplie. Et ce, malgré cette prise qui se resserre sur toi, que tu vois comme un vain effort de te garder auprès d’elle. Tu n’hésites pas cependant à trouver refuge dans cette proximité aussi douce que douloureuse.

Tes lippes viennent chercher sa joue, parcourent sa peau et veulent chercher ses lèvres, mais s’abandonnent sur sa nuque ; incapable de saisir ce que tu désires… ou réalisant que si elles se lient aux siennes, tu ne pourras plus revenir en arrière ; ça te terrifie.

─ Je n’ai pas envie de penser à mon échec. Pas plus que je n’y crois. Si je n’arrive pas à aller au bout de ce projet, j’ai l’impression que je n’arriverai jamais à rien. Et je me suis promis de te rendre fière de moi… de te rendre la pareille pour tout ce que tu as fait pour moi.

Tu redresses ton visage, l’œillade ambrée flirtant avec l’azurée. Un dernier regard qui te donne l’impression d’un coup de poignard dans le cœur, ton corps se détachant du sien. Tu peines à faire le pas de recul te séparant d’elle, ne comprenant pas pourquoi c’est aussi difficile.

Dans un murmure à peine audible, l’aveu de ton crime :

─ Ce passé doit mourir. Je vais le tuer.

Et cette part de toi ; cette petite enfant frêle et inoffensive… elle va mourir avec le reste. Lorsque tu reviendras, tu ne seras plus la même, pour le meilleur et pour le pire.