les lois qui régissent le sang divin sont parmi les plus fortes. dans l’ichor partagé qui coule dans les veines des enfants de niké, on retrouve le même penchant - attribué aux cellules mordorées - pour les folies victorieuses. sûrement est-ce pour cela qu’álvaro ne s’autorise aujourd’hui vulnérabilité qu’au côté d’un de ses frères : c’est dans l’hémoglobine divine qu’il cherche réassurance, et ici, il se sait accompagné. ceux qui partagent la réussite ne peuvent ignorer, plus que tout les autres, l’importance de la défaite ;  álvaro, lui, ne veut plus perdre.

depuis petit, il avait voué une sorte d’admiration à ce grand frère qui avait été l’un de ses premiers adversaires à la colonie - ethel était déjà bien plus grand, déjà parti quand il est arrivé, mais chacune de ses visites se retrouvait soldées des provocations amusées de l’enfant roi, jeux d’enfants bien inégaux en résultats mais jamais abandonnés. c’était de lui qu’il avait appris à user de la permutation, et c’était tout naturellement vers lui qu’il avait toujours fait le choix de se tourner lorsqu’il avait eu besoin d’user de ses talents divins. ethel était devenu pour lui ce grand frère modèle, unique dans sa façon de gagner le respect de l’enfant terrible, qui, même en gagnant maturité, n’avait pas abandonné cette considération toute particulière, trop rarement accordée.

ethel, tu te rappelles, au camp ? maintenant, álvaro est grand, mais la belligérance ne le quitte plus. ça fait un moment, tu trouves pas ? elle ne le quitte plus, et plus que jamais, il en a besoin. on peut se voir ? j’ai besoin d’aide.

aujourd’hui, il l’attend. matinal, il s’était efforcé à chercher un endroit reculé pour lui donner rendez-vous, une clairière dans la forêt qui n’était pas sans lui rappeler d’autres rencontres du même acabit, traces lointaines de la colonie. ici, ils seront tranquilles : il est déjà bien suffisant d’admettre ses lacunes à ceux qui nous connaissent le mieux, loin de là l’idée même de les faire miroiter aux yeux non avertis. celles-ci se font déjà bien trop visibles depuis son combat avec divine - ici, malgré l’étendue qui s’offre à eux, ethel sera seul à les observer.

un message, une photo (je suis la, tu arrives bientôt ?). assis dans l’herbe, il observe le ciel. il devrait arriver bientôt, certainement - puis il le voit, et se relève soudain en exclamant son nom : "ethel !" il vient à sa rencontre, assuré, souriant.

”ça faisait longtemps !” il lui tend la main, cherche le salut.

observe, ethel, comme il a grandi - montre lui, s'il-te-plait, que ce n’est pas fini.

”ça me fait plaisir de te voir !”

c’est dit sincèrement, avec la légèreté du cœur et de l’esprit. face à son frère, il est heureux, déborde de la joie qu’on garde des enfants, se détache même un peu des gravités de sa situation - puisqu’elle est grave, oui ! à ses yeux, il n’y a plus rien d’aussi important, et bien qu’álvaro soit de ceux qui prennent trop à coeur, il serait mentir, en observant la plaie qui traverse son épaule, que ses débordements ne sont pas infondés. il se tient cependant haut et fier face à lui, convaincu du bon déroulé de sa quête - on ne laissera pas les afflictions faire s’abaisser les grands hommes.

”j’ai eu… une petite altercation, disons. enfin, ça se voit, quoi.” il ne prend pas la peine de souligner les blessures à ethel - sur son front, on le voit déjà - trop honteux encore de leurs présences, estime que leur vision est de toute façon la première chose qui vient, puisque c’est ce qui lui vient toujours à lui, depuis qu'il ose à nouveau croiser son reflet. n’est-ce pas disgracieux ? celles là n’ont même pas les allures spectaculaires des gladiateurs, les valeurs des regards attirés - il aura perdu dans le noir, et dans le noir cela doit rester. il ne l’expliquera pas.

”alors je dois battre quelqu’un. elle est assez forte.” on minimise : assez forte ! n’es-tu pas assez fort, toi aussi ? puis on ne daigne même pas prononcer son nom : mesure-t-il encore même l’ampleur de l’impact que ce dernier pourrait avoir, la folie d’annoncer haut et fort qu’on veut faire tomber une cheffe ? puisqu’il doit l’abattre ! lui montrer qu’elle n’a pas eu tort, et que dans l’éclat qui couvre sa personne se cache des promesses qui ne ternissent pas - et pour ça, il doit l’abattre ! on affronte les hommes comme on affronte les monstres, et peut-être que la dichotomie mériterait équilibre plus ajusté, mais c’est ainsi qu’il se présente à son frère : ne sommes nous pas assez similaires, pour que même dans mes ambitions les plus folles, tu me comprennes ?

”j’ai besoin de ton aide.” et puisque c’est ton aide, les mots lui brûlent un peu moins la gorge. ”que tu m’apprennes deux-trois trucs." il ravale quand même sa salive.

”ça te dit ?”

on lui laisse à peine le temps de réagir à la question, alors il ne le fait même pas - la vitesse est ce en quoi il excelle le plus facilement, il se maudirait de rater un temps. par chance, ou simplement parce qu’il ne connaît que trop bien son aîné, a passé bien trop de temps à observer ses méthodes, il ne manque pas la réaction, non ! au contraire ! dès la première seconde, álvaro a compris - il a vu, les retours du camp, les échanges des tactiques les plus spectaculaires, et il a compris. il attrape, et oui, ça ne manque pas, ethel permute et cherche à le faire tomber. il sourit.

ne lui reste plus qu’à s’appliquer ! il faut à nouveau inverser le momentum, aller contre la force déjà appliquée, et là n’est pas la tâche la plus simple. sans lâcher la poigne, il rattrape de justesse ses appuis, et le poids semble presque faire trembler le sol - c’est qu’il n’a pas à faire à moitié. il doit impressionner. un geste, une prise, on valse, et c’est ainsi : ethel sera celui qui atterrit au sol en premier. les permutations s'enchaînent, álvaro ne le laissera pas inverser : c’est lui qui le redresse, avec le rire qui tonne. depuis le début, il n’a pas relâché son emprise sur le poignet de son frère. il lui adresse un regard fier, amusé. c’était rapide, tu n’as peut-être pas tout vu, devrions-nous recommencer ? que tu vois, comme j’ai appris de toi, comme je suis plus fort, plus grand ?

"et la politesse, hein, tu connais ? " c'est dit toujours en riant - c'est bien évident qu'il n'attend pas qu'on le ménage, au contraire. le prévenir serait lui faire affront, lui qui est si fier d'avoir réussi à anticiper le passage qu'il avait admiré plus jeune ! Ce n'est que provocation infantile, légère complicité. "tu me sous-estimes. je veux apprendre, je t'ai dit." et il reprend un air plus sérieux.

puisqu'il s'est bien amélioré, énormément, oui ! mais pas assez - il ne trompera personne, il y a bien une raison pour laquelle il tient encore le bras d'ethel : sans contact permanent, il pourrait s'échapper, simplement permuter sans lui laisser de possibilité de retour direct.

"c'est important ce que je te demande, je le demanderais pas à n'importe qui."

il ne le demanderait à personne d'autre, même. du droit divin, vous êtes nés à armes égales, ethel, supposément, mais tu t'en sers bien mieux que lui - et c'est normal, il est encore jeune, mais il n'a pas la patience d'attendre plus longtemps. il veut tout, tout de suite, maintenant.

"c'est pas comme ça que je gagnerais." on prononce ce qui est fatidique - ainsi, l'ichor coulera d'un même battement : celui de la victoire.

l’air est presque indigné, garde malgré tout l’aspect des joies honnêtes qui sont celles qu’álvaro porte à cet ainé là. pourrait-il vraiment lui en vouloir ?

”t’aurais pu venir me voir quand même. moi j’serais toi, je serais venu.” se met-il vraiment à la place de son frère ? ou plutôt, n’imagine-t-il pas ce qui serait advenu si c’était ethel qui se tenait au centre d’une arène, et qu’il avait l’occasion d’observer attentivement, depuis les gradins ? oui, il serait venu - et il aurait crié de joie !

sa prise se relâche sur le poignée de son frère - il fait un pas en arrière, comme on désengage un combat. le temps n’est pas à l’action, il est à l’écoute, et il est attentif, oui : il le regarde fixement, hoche la tête.

”t’es dur avec moi, eh !” insuffisant ! c’est beaucoup, quand on veut se porter digne de la perfection - il a un rictus presque résolu. ”mais t’as raison.”

il y a toujours bien des déficiences, et álvaro ne le sait que trop bien, puisqu’il se compare à l’absolu ! qu’on le force bien à s’en rendre compte - même sa confiance, toute aussi écrasante qu’elle puisse être, est lacunaire.

”par contre, tu vois, je te trouve pas assez ambitieux. ça, j’le fais déjà. mais au bout d’un moment, les gens, ils s’en rendent compte.”

il présente ses mains, les tend face à ethel comme on tendrait à un forgeron les armes trop usées, ou trop neuves - celles qui ont de toute manière des particularités remarquables à l’emploi, insuffisantes au plus honorables des usages mais corrigibles par qui sait les remarquer. ”un après-midi, c’est pas grand chose, mais doit bien y avoir un truc pour passer le contact. un compromis, peut-être ? j’sais pas pourquoi, j’peux pas permuter comme toi, juste comme ça. y’en a qui y arrive pourtant.” c’était comme ça, il avait par l’obligation du toucher l’avantage de la certitude, du contrôle, mais nombre de ses adelphes avaient à son contraire l’avantage de la distance - il n’avait jamais vu ça comme un défaut de sa part. simplement, il grandissait, donc il lui en fallait plus - là se plaçaient les règles des conquérants, en expansions infinies ; le royaume de l’empereur ne peut se contenir à sa propre présence. ”comment tu fais, toi ? comment tu faisais, avant ?” comment je ferais, moi, plus tard ?

c’est avec la plus grande attention qu’il écoute, plaisante et sourit aux paroles de son aîné - il hoche la tête, essaye d’impliquer ce qu’il sait déjà, ce qu’il doit comprendre, et alors il se tait. ce sont des conseils précieux qu’on lui offre et il ne sait trop bien qu’il en a besoin, pourtant rêve déjà d’un avenir où ceux-là viennent de lui !

ethel porte sa main à sa tête, et álvaro accepte le geste en riant - et le rire est bruyant, porte en lui les éclats graves de l’homme et pas ceux de l’enfant, et pourtant on y retrouve la même joie, la même insolence innocente de ceux qui veulent dire “arrête, je suis grand !”, et álvaro maintenant se sait grand, plus grand même, et plus fort ! et adulte désormais, il se sent plus certain dans sa condition de petit frère - se fait cadet du sourire qu’il adresse à son aîné quand il vient secouer ses cheveux, plie même un peu les genoux pour se faire plus petit. ce n’est même pas moqueur, c’est une habitude - ethel n’avait jamais eu à lever le bras pour le faire, avant.

”mais moi j’ai pas dix ans à attendre !” on lui rappelle quand même, que patience est mère de vertus, mais sa mère est victoire elle, et la victoire n’attend pas - elle se prépare, certes. ”j’ai d’autres choses à faire, j’ai pas besoin d’atteindre ton niveau en une semaine non plus !” puis un aparté : ”ça viendra plus tard.” puisqu’il a besoin de le dépasser, sûrement. ”je dois me dépêcher, c’est tout.”

debout encore, il regarde ethel rejoindre le sol, et attrape la dague qu’on lui tend, l’arrache presque d’un geste - examine rapidement sa consistance, avant de venir à son tour se laisser tomber à la suite de l'aîné. on lui donne un conseil, et il l'exécute, rares échos d’une sagesse qui peine à inhiber ses véhémences. quand elle le fait, c’est appuyé ! la chute est lourde, résonne presque - pourtant indolore. les jambes étendues, assis légèrement en arrière, il se porte d’une main - l’autre passe la lame entre les doigts pour la faire tourner avec une simplicité infantile. l’arme passe pour un jouet, il paraît presque ignorant - on imagine pourtant, en observant plus attentivement les dernières traces de coupures, d’usage, qui se dessinent encore en stigmates sur sa main, qu’il a la pleine conscience de son geste.

”qu’est ce que tu veux que je fasse avec ça ?”

le regard alterne, avec curiosité, entre l’homme et l’arme - il ne peinera pas à se demander lequel des deux est le plus aiguisé. lui, de toute façon, est une arme brute.

”si on se bat pas, j’vois pas trop l’utilité.” le sourire est narquois - bien sûr qu’il veut se battre ! pourtant, il sait que ce n’est pas à faire : il n’y a rien de sérieux dans ses paroles. il s’amuse, et il attend.