C'est un simple dommage collatéral. C'est injuste. Mais c'est comme ça. Tu sais comment la rue fonctionne et, au final, la colonie n'était pas différente. Tu l'as cru. Tu as eu envie de le croire. Les lits étaient douillets ici, la nourriture toujours chaude et présente. Mais, une jungle restait une jungle tant que des animaux la peuplaient. C'est peut-être là que tu as compris Jasmin, que le problème n'était pas la pauvreté ou le cadre. Le problème : c'était l'humain.

Tu aimais bien Ikal. Entre faibles, on se comprend. Le peu puissant s'allie. Dans ton cas ça n'a jamais été pour faire front, ça a toujours été pour passer un peu de ces bons et nouveaux moments qu'on appelle "paix". Seulement voilà. Il avait fallu que tu fasses l'invention de trop, celle qui a énervé la mauvaise personne. Tu sais encaisser les coups. Tu sais gérer la violence. Tu t'étais enfermé en dedans, comme à chaque fois. Elle ne finit toujours pas s'arrêter, la colère se tasse, laisse place à la lassitude puis elle s'en va. Tu ne comptais ni te plaindre, ni dénoncé . Les coups ça arrive, c'est pas grave. Pourtant, Chiron avait agi. Tu n'as su pourquoi et comment. Quelqu'un vous aurez dénoncés ? Quelqu'un aurait agi pour toi ? Dans tous les cas, c'est Ikal qui a pris. Aujourd'hui c'est lui qu'on humilie devant tout le monde et tu le sais, s'il est là, c'est de ta faute à toi. Les brutes, vengeurs, ont fait un lien, ont assumé que c'était le bon et voilà comment on se retrouve avec 4 enfants d'Arès sur le dos. Tu regardes la scène. C'est ton ami qui est en détresse. Mais tu sais, si tu agis c'est toi qui seras à sa place d'ici demain. C'est comme ça que ça fonctionne. Tu sais, Jasmin, que la première règle pour survivre c'est de se faire discret. Pourtant, quand Ikal croise ton regard, tu sens ton cœur se serrer, une bouffée de honte t'envahir. C'est inédit. Tu expérimentes pour la première fois la vraie culpabilité. Tu détournes le regard. Détourne, la tête. Détourne le corps entier. Poings serrés contre tes hanches tu souffles. C'est un simple dommage collatéral. C'est injuste. Mais c'est comme ça.

Quelques heures plus tard, tu sors de table. Il n'était pas au banquet. Tu malgré toi fixé sa place vide tout le long du repas. Tu vas pour regagner ton bungalow lorsque tu le croises.

— I...

Tu te figes, baisse la tête. Tu sais pas quoi dire. Lâche. Coupable. Mais quelque part tu lui en veux de te faire ressentir tout ça.

Tu veux le dépasser, partir, ne plus le voir. Quand tu fais un pas, tu sens ton cœur prêt à te lâcher. T'es terrifié qu'il te parle. Qu'il te demande : Pourquoi ?

Elle est là. La panique. Tu envisages de baisser simplement la tête et de fuir. Mais tu ne peux pas. Merde. Merde. Merde ! Pourquoi le croiser lui ? Maintenant ? Tu n'as pas envie de te justifier tout en ayant conscience d'avoir, pourtant, mal agit.

— Je ne te regarde pas.

En effet, tu détournes lâchement tes yeux pour fixer un brun d'herbe sur le côté. Tes doigts s'agitent, s'accrochent, mal à l'aise, au bord de tes poches. Tu masques très mal ton inconfort et ton stress.

— Je ne te regarde pas.

Tu es tendu. Les lèvres pensées. La honte te bouffe et se mue en colère. Le poids de son regard te tue. Tes lèvres tremblent. Tu ne supportes pas cette pression. Tu finis par cracher.

— Qu'est-ce que j'étais censé faire, hein ? Intervenir ? Pourquoi ? Pour me faire tabasser comme avant ?

Tu ne comprends pas. Qu'est-ce que tu pouvais faire d'autres ? Tu n'es pas un héros.

— Ils se lasseront. Ils trouveront un autre souffre-douleur bientôt, c'est toujours comme ça. Alors arrête de me regarder comme-ci j'avais tué ta mère.

T'as rien fait de mal, si ?

Ça te fait mal. Il dit qu'il ne demande plus rien de toi.
Plus. Rien.
Tu pensais être blindé. Tu étais petit, pas bien musclé, mais tu savais encaisser. Ta mère t'avait fait grandir dans un cadre qui avait anesthésié tes émotions. Rien ne te faisait vraiment mal, parce que rien n'avait vraiment d'importance. La sainte distance entre toi et les autres, entre toi et le monde, ça te rendait invincible. Et avec Ikal, tu n'avais pas eu la sensation de la réduire, cette distance. Alors pourquoi, ce "plus", ce "rien", te font aussi mal ?

Tu balbuties quelques mots qui ne trouvent aucun sens connu. Tu regard se détourne nerveusement, comme pris en faute. Sauf que tu n'as commis aucune faute ! Il l'a dit lui-même, qu'il ne t'aurait pas demandé de t'interposer alors quoi ?

— Je suis pas méchant.

Et c'est bien l'incompréhension qui te fait trembler. Tu ne comprends pas pourquoi la moindre punition de sa part te touche autant. Tu n'as pas l'habitude de te sentir dépasser par tes émotions. Tu sens tes yeux piquer, ta lèvre trembler. Et comme tu sais pas comment réagir tu passe en pilote automatique. Tu viens le pousser sans vraiment de force, le visage déformé par une détresse que même les dieux ne peuvent pas comprendre.

— Quoi ? C'est quoi ton problème ? Je ne comprends pas ! Je ne comprends rien !

Tu renifles, tu sais pas si tu veux te battre. Soudain, le pouvoir qu'Ikal a sur toi te fait peur. C'était donc ça avoir un ami. C'était donc ça aimer quelqu'un. Quelle horreur.

— Tu dis que t'attend rien de moi, pourtant tu me regardes avec du reproche de les yeux. Qu'est-ce que j'étais censé faire, hein ?!

Je ne t'en voulais pas. Voulais. Ça veut maintenant dire qu'il t'en veux. Le souffle court, tu sens la panique. Plus que mal, tu as peur. Tu ne comprends pas d'où sortes tous ces "ais" à la fin de chacun de ses verbes.

— P-Pourquoi tu parles au passé, comme ça ?

Comme-ci c'était finit. Comme-ci votre relation n'était plus d'aujourd'hui.

Tu pinces les lèvres, serres tes poings toujours petits et chétifs. Tu renifles.

— Pourquoi tu dis que j'étais ?

Tu questionnes en sachant pourtant que tu n'es pas ok avec le fait d'entendre les réponses. Tu le regardes et plus tu le regardes plus ça te fait mal. La distance dans ses traits, dans sa voix, dans sa posture. Tu te plaques les mains contre tes oreilles. Entendre, tu ne veux pas entendre.

— ALORS POURQUOI TU ME JETTES MERDE ?

Tu détestes aimer. Tu détestes ce sentiment d'impuissance. Tu veux t'en foutre. Tu veux t'anesthésier. Comme quand tu voyais les cadavres bleus en hiver, comme quand tu entends les cris de plaisir simulé de ta mère.

— JE TE DÉTESTE !

Tu fonces vers lui pour le pousser une nouvelle fois avant de prendre la fuite.

— J'AI RIEN FAIT DE MAL J'AI RIEN FAIT DE MAL !

Des fois tu voudrais que tes colères se traduisent dans tes pouvoirs. Comme quand les cœur s'arrêtent sous la colère d'un Dionysos ou que les corps ne volent sous les cris d'un Ares. Toi, tu peux rien faire, rien d'immédiat, rien de violent. Et tu regrettes, comme t'aurais voulu tout faire brûler maintenant.