allez Dante soit sympa ! — selon les standards tu ne l'étais pas alors pourquoi commencer ?
allez Dante on est potes ! — non, clairement non.
c'est ton jour libre en plus ! — justement tu voulais le passer en paix chez toi ou dehors, avec un livre, avec Pachinko.
promis j'te revaudrais ça !

ce jour-là, tu n'avais pas l'envie de lancer tes regards froids, de hausser la voix, de frapper des poings alors tu avais accepté.

après une belle grasse matinée, tu étais sorti l'après-midi faire une balade avec Pachinko — ce n'est pas l'âge qui va l'empêcher de vouloir faire des kilomètres et des kilomètres dans cette ville — mais avant de retourner à la maison, tu fais un détour pour rejoindre l'appartement de Tau.

tu vérifies l'adresse sur ton téléphone avant de monter à l'étage. une fois devant la porte, tu toques trois fois, fort et entendant un léger mouvement derrière celle-ci, tu dis c'est Dante. j'viens chercher les bricoles d'un... collègue, il t'as prévenu j'crois... tu espérais. après le fait de connaître Tau, rien qu'un minimum, rendait la situation beaucoup moins embarrassante. t'arrives à l'croire ça Pach' ? moi chez un clairvoyant ? tu lui souffles à mi-voix incrédule, excédé, et elle, assise à tes pieds, te réponds les yeux brillants, la queue balayant de droite à gauche, excitée de rencontrer une nouvelle personne.

salut ! résonne dans le couloir quand la porte s'entrouvre pour faire apparaître le jeune homme, mais les soit-disant impolitesses de son côté ne te choque pas — c'était l'affaire de cinq minutes récupérer un objet oublié, pas la peine de s'éterniser sur des détails.

tu hoches simplement de la tête à sa réponse et reste sur place n'étant pas invité à l'intérieur — tu n'es peut-être pas fondamentalement gentil mais tu n'étais pas malpoli, bien que ton regard s'aventure légèrement observant l'entrée de son appartement. Pachinko elle, voulait pousser sa curiosité jusqu'au bout et se levait déjà pour entrer Pach' assise... tu la réprimandes à mi-voix, et elle se rassoit à tes côtés. ainsi, vous attendez tous les deux au pas de la porte, attentif aux petits bruits venant de l'intérieur de l'appartement.

Tau revient à vous après quelques instants.
tu prends la montre, lui soufflant un super, merci... observant un instant la montre avant de la mettre dans la poche de son sweatshirt. ainsi, tu pensais l’affaire finie, prêt à énoncer un salut, à la prochaine !. mais le plus jeune pense autrement, s’intéresse à ta compagne qui passe généralement inaperçue à la première rencontre.

l’husky brune s’était presque jetée sur la main de Tau, la reniflant avant de passer la tête dessus pour qu’il la caresse, la queue battant de droite à gauche, heureuse de se faire un nouvel ami. tu t’accroupis alors en face de lui, les mains toujours dans les poches. j'pense ouais... on a fait une assez longue balade après tout... puis ton regard se pose sur le jeune homme lui adressant un léger sourire merci... pour elle cette fois. mais ton sourire disparaît pour une expression presque excédée, penses pas que j'viens pour les autres par plaisir Tau... tu râles pour moi, c'est juste que j'en ai pas besoin... dire que tu n'y croyais pas serait mentir puisque tu avais entendu parler de la véracité des pouvoir de Tau, puis depuis que tu t'étais su demi-dieu tu avais compris que beaucoup de chose était possible, c'était vraiment que tu n'avais jamais senti le besoin de t'adresser à ce genre de pouvoirs. pourquoi Tau, t'as quelqu'chose à m'dire ? soudainement curieux.

qu'il te retient en otage ne t'embête pas vraiment, au contraire. tu ne connaissais pas bien Tau malgré les années dans son ombre à la colonie et les rares rencontres en ville, alors tu prenais le temps de l'observer, remarquer ces cheveux couper inégalement, ses longs cils, son corps toujours frêle, ses pensées vaporeuses, imprévisibles — il n'avait pas changé plus que cela depuis.
mais Pachinko l'apprécie, beaucoup même, à lui rentrer dedans pour recevoir plus de son affection, retardant ainsi sa gamelle d'eau. alors, tu ne dis rien.
tu restes.

elle s'appelle Pachinko, comme le jeu, comme le roman aussi maintenant. mais en réalité, tu ne savais plus ce qui t'était passé dans la tête exactement à 13 ans, quand tu lui avais donné un prénom. peut-être l'avais-tu appellé comme ça parce que vos vies étaient comme un jeu de hasard à cette époque ?
un jour vous viviez, l'autre peut-être pas.
un jour vous mangiez, l'autre peut-être pas.
un jour vous riez, l'autre peut-être pas.

et ça n'avait pas trop changé depuis, bien que vous aviez plus d'assurance sur le destin du lendemain.

tu hausse d'abord les épaules — est ce que tu veux, après toutes ces années à ne plus prier rien ni personne, seulement Vengeance quelquefois de te guider pour juger une âme ?
est ce que tu veux que quelqu'un te parle sans te juger toi pour être fils de Vengeance, pour être explosif, impulsif, toujours les crocs en avant ?
est ce que tu avais besoin, qu'on te voit autrement que tout cela ?
peut-être, bien que tu ne fasses aucun effort pour.

à sa dernière question, tu rencontres enfin son regard qui te figes — d'un bleu céleste si clair, son regard nébuleux semblait perdu quelque part d'inaccessible, il semblait tout savoir, tout comprendre. mais tout de même, tu lui mentirais. perdu ? un temps, comme pour réfléchir alors que la réponse t'était bien connue. un peu... malgré la prophétie de Veselin, aussi vague que possible parfois... tous les jours ! je crois... et bien que tu serais prêt rien que pour une après-midi de placer ta foie en Tau, mais j'ai rien à te donner pour que t'y vois quelque chose... pas de belle montre ou de photo, juste tes fringues, une boucle d'oreille, un chien et toi.

cela ne te surprend pas qu’il n’ait pas ces références, elles étaient assez obscures après tout. pachinko le jeu, c’est une machine à sous qui ressemble à une sorte de croisement entre un flipper et une machine à sous… et le roman en gros ça parle de cette femme coréenne dans les années 30 qui tombe enceinte d’un gars qui s’est avéré marié, du coup soit elle devenait son “épouse coréenne” soit elle désonnorait sa famille, mais elle choisie de se marier avec un gars qu’elle connait pas trop et part au Japon avec lui… le roman parle des 4 générations qui suivent cette sorte d’exil. c’est un peu lourd mais c’est joli en vrai. expliqué simplement, sans dédain.

pareil pour ton regard qui se pose dans le sien, c’est un regard neutre, presque sans lumière — tu ne voulais prier personne pour de l’aide. mais quand Tau enlace soudainement la husky, tes sourcils se haussent agrandissant tes yeux et y invitant ainsi une lumière curieuse. à l’inverse, Pachinko n’est pas étonnée, se laisse faire et viens même déposer son museau sur l’épaule de Tau.

tu t’es perdu il y a longtemps,

tombe comme une sentence.
mais ce n’était pas tellement de la perdition à 12 ans, plus de l’errance, trouver une nouvelle raison de vivre, un nouvel endroit où vivre, trouver un expiatoire pour la rage en toi, trouver un fautif au vide en toi.

alors, t’as marché jusqu’ici,

moins puissante car ça, tout le monde le savait plus ou moins que tu avais marché jusqu’à Nausikaa.

et tu te sens perdu ? parfois. ici aussi.

deuxième sentence — tu avais décidé de mentir, mais il avait quand même su voir la vérité.
il était vraiment voyant ?

... pourtant t’avais l’air triste tout seul avec ton chien. et tu devais avoir faim - ça se voit - et froid peut-être,

triste avec Pachinko ? vraiment ?
malgré ton deuil inachevé, mis de côté, malgré la faim, le froid, elle était devenue la lumière de ta vie, celle qui t’avait gardée de ne pas aller trop loin, de rester du côté d’une certaine Justice alors que Vengeance bouillonnait, bouillonne en toi.

le sable de l’isthme il était mouillé ce jour-là - il a plu ? on dirait, tes chaussures elles prennent l’eau, même tes jeans aux ourlets - c’est trempé - tu grelottes, et… et tu marches jusqu’ici ;

oui. et c’est comme si tu étais retourné à ce jour-là. ce jour où tu as décidé de chercher la terre promise, parce que tu étais trop perdu, trop apeuré, trop affamé, et que tu avais une autre vie entre tes mains,
une vie plus précieuse que la tienne que tu ne pouvais supporter de sacrifier.

il pleuvait ce jour-là, après des jours où les nuages pesaient au-dessus de New York. tu n’avais plus de parapluie ni de k-way - perdus ou volés, tu ne sais plus - imbibant ainsi tes habits sales et délavés, tes chaussures dont les semelles tenaient grâce au scotch gris enroulé autour de la tige s'infiltrait d’eau, Pachinko aussi était mouillée jusqu’aux os mais aucun de vous deux ne se plaignait — l’espoir de la terre promise te faisait vivre et elle te suivait.
arrivés dans la forêt autour de la colonie, bien que la pluie avait maintenant cessé, l’eau s’était mélée à la terre créant des chemins de boue où tu t’enfonçais jusqu’aux chevilles. alors tu avais pris Pachinko dans tes bras et tu vous avais traînés jusqu’à la colonie.
tu n’y avais pas cru tout de suite quand tu vis ses portes.
tu n’y avais pas cru quand tu entendis des pas et des voix derrière la porte, ni quand celle-ci s’était ouverte, ni quand les gens t’adressèrent la parole, ni quand tu t’étais réveillé le lendemain dans un vrai lit, le corps et les cheveux propres - tu te rappelles encore que tu sentais la menthe -, dans des habits propres, ayant dormi autant qu’il te fallait.
et Pachinko aussi.
ce jour-là, tu avais tout reçu — à manger à ta faim, à dormir autant que tu le souhaites, un chez toi, des amis, des ennemis, des frères et des soeurs, puis une éducation, un travail, un appartement alors que pouvait-il te manquer ?

je sais pas comment l’expliquer Tau. tu soupires, il faudrait que tu passes par de longues phrases surement, que tu trébuches en cours de route, que tu t’arrêtes, reprennes, ça serait long. et même si je savais, j’ai pas envie de déballer tout ça dans un couloir d’immeuble où tout s’entends. plus ferme en te redressant.

mais tu ne pars pas.
il avait vu la vérité.
alors peut-être que tu as envie qu’il t’aide.
peut-être pas.
tu ne sais pas.
tu ne sais plus.

« Non, la main de l’Éternel n’est pas trop courte pour sauver, ni Son oreille trop dure pour entendre. Mais ce sont vos crimes qui mettent une séparation entre vous et votre Dieu. Ce sont vos péchés qui vous cachent Sa face et qui L’empêchent de vous écouter. » (Ésaïe 59 :1-2)

tu te croyais savais juste dans ta vision du monde, tes choix, tes coups, et tout de même, le Ciel est sourd !
tu avais prié tous les jours pour ta mère mortelle et le Ciel ne t’avait pas écouté.
tu avais prié tous les jours après pour te sauver de cette menace inconnue qui te pourchassait et le Ciel ne t’avait pas écouté — ou peut-être un peu, dénichant dans ta mémoire le souvenir du conte de Nausikaa.
mais le Ciel qu’il n’y trône qu’un Dieu ou plusieurs était sourd aux malheurs de vous, âmes égarées.

donc ce n’est pas de son regard que tu te caches, c’est de celui des semi-mortels qui de leurs langues font plus de mal que le silence de là-haut. et bien qu’il te propose un abri de ces regards et oreilles, tu ne dis rien, tu ne sais pas s’il fallait accepter ou non.
malgré le couloir de l’entrée qui dessinait le début d’un chez-lui accueillant, mystique presque, un peu comme une église, tu hésitais, ne réponds qu’un ok… quand il décide de s’absenter pour accomplir la tâche qu’il avait promis à ta venue. tu restes planté devant le pas de la porte, les poings serrés dans les poches de ton sweat-shirt — une habitude maintenant — mais la husky avait une autre opinion sur la situation et décida de suivre le plus jeune. Pach’ ! reviens ! Pachinko ! mais comme son maître elle était bornée.

tu claques ta langue contre ton palais — c’est comme si elle savait que tu avais besoin d’aide, c’est comme si elle te poussait vers cette aide, toi, trop orgueilleux pour t’admettre que tu en avais besoin — et la suis à contre-cœur dans l’appartement en prenant soin de fermer la porte derrière toi.

depuis que tu vivais à Nausikaa tu n’étais entré que dans très peu d’appartements et c’était toujours avec une certaine curiosité que tu le faisais, découvrant à travers la couleurs de murs et des rideaux, à travers le style des meubles et tous les bibelots la personnalité de ton interlocuteur. contrairement à chez toi, ici était rempli de tout. dans la lumière tamisée et quelques restes d’encens se distinguaient des lampes et des chaînes pendaient du plafond, les étagères étaient remplies de boîtes, de bibelots et de livres - auxquels tu ne peux t’empêcher de jeter un œil -, l’espace salon rempli de coussins de diverses tailles, textures et couleurs. tu choisis pour t'asseoir celui contre le mur, les coudes posés sur les genoux pliés, les mains meurtries jointes ensemble comme si tu priais à une divinité, n’importe laquelle. celle qui était libre pour t’écouter aujourd’hui était Tau, alors à lui tu prieras. t’as vu pourquoi j’ai marché avec Pachinko jusqu’à Nausikaa ? pourquoi contrairement aux autres demi-dieux tu n’étais pas accompagné jusqu’aux grandes portes de la colonie ?
pour comprendre ce qu’il te manquait il faudrait surement commencer par la raison de ta errance.

« Non, la main de l’Éternel n’est pas trop courte pour sauver, ni Son oreille trop dure pour entendre.» (Ésaïe 59 :1)

les lieux saints t’étaient devenus étranger, mal aimés, alors tu voulais refuser son entrée à l’être le plus cher ! mais elle t’assure le contraire, bois même l’eau semblant bénite qu’on lui offre et tu ne peux faire autrement que de la croire, de la suivre.

tu l’écoutes en silence, comme on écoute un sermon, réponds mon père. comme on soufflerait amen, hoches la tête à ses phrases comme si tu cherchais à retenir chaque mot — ici serait donc votre Babylone où vous pleuriez votre exil du monde mortel.
mais ce n’était pas ton exil que tu pleurais pourtant.
c’était sa raison,
ses conséquences.

t’as toujours pas envie de déballer tout ça ?

tu relèves le regard, croisant ainsi le sien. dans ce regard, dans sa voix, dans ses mots, cette atmosphère, tout respirait le sacro-saint, la sécurité, la tendresse qui te donnait envie de te mettre à genoux et répondre bénissez-moi, mon Père, parce que j'ai péché. mais Tau n’était pas Père et toi tu n’avais pas péché. tu soupires passant une main dans tes cheveux en les ébouriffant comme pour organiser tous ces mots qui trainaient dans ton cerveau avant de reprendre ta position initiale, coudes sur les genoux pliés et mains jointes. un temps passe et tu prends enfin la parole, ma mère est morte quand j’avais 12 ans… fin ma mère adoptive… celle que tu considérais ta vraie mère, celle qui t’a élevé, qui t’a vu grandir, qui t’a tout enseigné j’étais tellement triste, tellement en colère… tellement… bref Némésis m’a réclamé et du coup j’ai fugué de chez moi - j’ai pris peur de cette divinité reçue mais aussi et surtout, j’m’entendais pas bien avec mon père, j’détestais où j’vivais mais j’ai rien fait pendant 12 ans parce que ma mère était là. ne mentionnes pas le premier sang que tu as fait couler, le sang paternel pendant deux ans j’ai vécu dans la rue, j’y ai trouvé Pachinko, j’mentais, j’volais, j’tabassais des gens, j’fuyais les flics et je- j’ai- j’ai été poursuivi… par quelqu’un… quelque chose… j’sais pas trop, j’dormais peu, mal, j’bouffais peu aussi et c’que j’avais j’donnais la majorité à Pach’ parce que- ouais elle est plus importante que tout. tu l’avais retiré des griffes d’un maître sous les mains duquel elle risquait la mort alors tu te devais de la maintenir en vie. puis un jour j’étais à bout, j’devenais fou, j’avais l’impression c’était mon dernier jour sur Terre et- et j’me suis souvenu d’cette histoire sur Nausikaa que mon père me racontait quand j’étais p’tit et j’ai décidé de tout miser sur ça ! ponctué d’un rire sec j’avais plus rien à perdre après tout… et voilà j’suis arrivé à la colonie, j’pensais ça allait être le rêve et en fait pas tant qu’ça, parfois j’me dis ce monde là est pire que l’monde “normal”... avec ses intrigues, ses moqueries et ses vrais monstres. mais ouais voilà…

ma mère est morte et depuis j’ai vrillé.

“Mais ce sont vos crimes qui mettent une séparation entre vous et votre Dieu. Ce sont vos péchés qui vous cachent Sa face et qui L’empêchent de vous écouter.” (Ésaïe 59 :2)

ses mots tombent du Ciel, clairs, glaçants, réprobateurs,
comme si Le Père même les avait prononcés.

ton regard presque tremblant se lève vers le visage de Tau, un frisson parcourt ton dos, ta respiration se coupe alors que tu essayais de prononcer quelques mots, mais rien ne sort — c’est donc comme ça qu’on se sentait quand on péchait ? oui mais- c’est donc pour ça ? c’est donc pour ça que Dieu, que les dieux ne t’écoutaient pas ? non tu refusais d’y croire, ta colère, tes mensonges, tes poings étaient justifiés ! j’étais obligé… maintenant j’suis obligé aussi sinon… sinon- ils te brisent, brisent les plus faibles, brisent ton bonheur.
et tu le suis du regard alors qu’il descend à genoux et toi, laisse tomber tes genoux au sol te mettant ainsi en tailleur, désemparé face à sa justice divine.

bien sur que mon cœur est bon ! tu t’exclames la main sur le cœur, tu le sens battre dans ta poitrine d’un rythme plus rapide mais clair, pas sourd ou frénétique alors bien sûr qu’il est bon ! tu es fils de Vengeance mais ta vengeance est pure, ta colère justifiée ! alors pourquoi prétend-il que cette colère est mauvaise ?
tu ne réclamais pas sa pitié à ton histoire,
tu ne réclamais pas le réconfort, car on ne te le donnait jamais,
tu réclamais seulement sa compréhension.

mais tu étais resté muet, t'abreuvant de ses paroles, les yeux à nouveau fixés au sol. une fois le sermon terminé, tu laisses un silence planer avant de pouffer de rire. mais qu’est ce que t’en sais ? le regard à nouveau dans le sien fronçant les sourcils, l’air blessé par ses mots qu’est ce que t’en sais si ma colère est vraiment mauvaise ? est ce que tu sais pourquoi elle est née cette colère !? et ces plaies !? frappant sur ton cœur avant de te relever d’un bond près à partir — tu préférais partir que de voir tes idéaux réduits en cendre, que tes défauts pointés du doigt. Pachinko avait relevé la tête en t’entendant hausser la voix, en te voyant te diriger vers la porte, et se relève elle-même mais reste indécise quant à te suivre ou bien rester. tes pas s’éloignent vers l’entrée et s’arrêtent un long moment avant de revenir vers Tau et Pachinko, tu sais quoi, imaginons. avec la même colère dans la voix oui, imaginons qu’t’as raison, qu’je fais l’mal, qu’le Diable va venir dans mes plais et tout ça — qu’est ce que je dois faire, hm ? pour ne plus avoir cette colère qui me fait vivre ? pour plus avoir ces plaies ? pour ne plus faire de mal ? dis moi Tau ! qu’est c’que j’dois faire !? crier au bord des larmes.

aide moi Tau.

ces plaies, cette colère, cette douleur étaient devenues une part innée de ton existence. appuyer dessus ne te faisait plus mal - ou tout du moins c’est ce que tu voulais penser - mais les pointer du doigt, crier “injustice” à ton égard faisait exploser milles pensées et milles questions sans réponses dans un brouhaha auquel tu ne donnais jamais voix — fais-tu vraiment le Bien ? le fais-tu justement ? ta raison est-elle Bonne ? que dirait maman ? que dit Mère ?
bien que maman vit dans tes plaies,
c’est Mère qui les nourrit.

un rire sec quitte ta gorge Dieu, la Bible, Lui, Dieu, la Bible, Satan… tu marmonnes agacé pourquoi je crie ? parce que tu répètes bêtement des paroles vieillies ! tu veux pas réfléchir par toi-même et me dire ce que toi t’en penses !? il dit ne rien en savoir alors que Lui sait tout, il dit que Lui est le seul qui peut être en colère, le seul qui a raison… ça t'agace ! ça t'agace ce fait qu’il subit cette autorité qui vous bénit un jour et vous rejette le suivant, ça t'agace qu’il ne veuille pas penser par soi même parce que c’est lui que tu étais venu voir, et non Dieu.
tu cries sur lui car il n’est pas la divinité que tu pensais qu’il était.
et au lieu de se mettre en colère contre soi, contre tes attentes qu’il n’a pas atteint, contre ta faiblesse d’avoir eu besoin de lui, c’est lui que tu condamnes.

tu dois, tu dois, tu dois — tu ne devais rien à personne. tu ne devais pas l’amitié ni à tes amis - trop peu pour réaliser ta chance d’en avoir, ta chance d’être apprécié -, ni à tes ennemis - trop nombreux pour réaliser le problème d’en avoir autant - alors ce que les Textes disent, ce que Tau dit c’est faux, c’est faux, c’est FAUX ! tu ne restes pas ici pour te voir pointé du doigt ma colère aussi est Sainte ! tu cris fermement parce qu’elle est justifiée, parce qu’elle m’a été donnée à la naissance par tes parents, en grandissant par le monde parce qu’elle a été sanctifiée par ma Mère. divine et donc ainsi elle devenait Sainte. comme ces chevaliers qui partaient en guerre justifiés par Dieu, toi tu allais en guerre contre le monde au nom de ta Mère.
parce que la colère était plus simple que l’amour, était plus clair que l’amour, car tu avais oublié le goût de l’amour te l’ayant retiré du cœur trop jeune pour pouvoir l’y recoudre, et tu n’avais trouvé personne pour te l’apprendre à nouveau.

ta parole est une bête sauvage bien différente de celle de Tau. tenue dans une cage bien trop petite et trop faible pour sa rage, elle s'enfuit facilement quand elle trouve une faille et fait des dégâts presque trop dévastant sur son passage. et pourtant pour l’y jeter à nouveau, c’était un tour assez simple — voir cette bête se refléter dans les yeux de la personne qui te faisait face, voir les larmes de cette personne tomber, voir la peur s'installer sur son visage.

et sans le savoir Tau avait donc trouvé un moyen de la remettre en cage.

quand tu vois Tau, déjà si fin, se faire plus petit, taire les bruits environnants en mettant ses mains sur ses oreilles, fixer le sol, tu comprends — la bête était sortie de sa cage.
tout se relâche — tes sourcils se lèvent entre étonnement et effroi, tes yeux s’agrandissent alors que tes iris ne savent plus où se poser dans la pièce, tes bras retombent le long de ton corps. je… ne voulais pas qu’il ait peur non je… ne voulais pas qu’il pleure, ne voulais pas lui faire mal !c’est… pas de ma faute, c’est lui qui a commencé ! enfin… oui, mais c’est moi qui est crié, qui me suis emporté. une de tes mains se tend vers Tau, mais tu la rappelles de suite à toi — le toucher après cela ? pour qui te prends-tu ? pardon… je- j’aurais pas dû crier… m’énerver… venir tout court. tu regardes la porte de l’appartement et c’est comme si la scène de ce soir se rejouait en accéléré devant tes yeux — quand est ce que ça a déraillé ? oui c’est ça, j’aurais pas dû venir. tu n’aurais pas dû être “gentil” avec ton collègue, tu n’aurais pas dû laisser entrer Pach’, tu n’aurais pas dû lui confier ton histoire, tu aurais dû rester dans ton coin, comme toujours, te méfier, comme toujours.
tu as voulu un peu de paix ? et bien regardes ! regardes le chaos que tu sèmes quand tu la cherches !
ta Mère n’ayant pas sanctifié ce mot, la paix ne sera jamais pour toi.

tu relèves le regard vers Tau mais le dévie soudainement vers autre chose, les meubles, le sol, un livre, un bol, tu ne sais pas où le poser. désolé Tau d’t’avoir dérangé, d’t’avoir crier dessus je- tu secoues la tête — aucune excuse ne pouvait le récupérer. aurevoir. pas “à bientôt” ou “à plus” parce que tu doutes qu’il veuille te revoir.

mais une fois au pas de la porte, poignée dans ta main, tu remarques que Pachinko n’était pas à tes pieds mais aux pieds de Tau, cherchant son regard, une pâte sur la jambe presque prête à lui sauter dessus s’il fallait le faire bouger. Pa- non elle avait raison. Tau avait besoin d’un soutien et d’une tendresse qu’elle pourrait lui donner en compensation pour ta colère. tu soupires avant de souffler, Pachinko reviendra d’elle-même. tu espères — est ce qu’elle pourrait t’abandonner après tant d'années ? — avant de tourner la poignée, sortir et refermer la porte derrière toi.

tu restes un instant derrière la porte avant de descendre les escaliers dans la hâte, honteux de la personne que tu as été ce soir, de l’image de toi que tu laisses ce soir, honteux de ne pas pouvoir garder des gens, des amis, près de toi.