– A severe discommunication A glint in my eyes, twinkling red It feels like something’s gonna happen; a premonition

Par principe, iel évite les miroirs ; mais il est difficile d'échapper en continu à sa propre perspective. Lorsqu'il a plu la nuit, et que la dalle ruissèle encore du sang des averses, il arrive qu'elle « s'»aperçoive en flash trouble. Une œillade que l'on glisse un peu trop loin aux dépends de l'eau croupie ; une mèche de cheveux abîmée ; un aperçu de « ses » tempes ; de petits détails, insuffisants pour reconstituer une quelconque nature morte. Immanquablement, iel se prend de vertige - a-t-elle toujours eu les yeux gris ? depuis quand a-t-iel des tâches de rousseur ? tous ces faits lui appartiennent-ils ? etc. Alors, iel est bien obligé.e de se contempler de l'intérieur - à travers les interstices mal définis de sa propre matérialité - et constate toujours avec horreur que la sensation d'étrangeté profonde découlant de sa propre reconnaissance ne produit sur ellui qu'un vague effet d'apaisement.

Lorsqu'iel se remaquille, c'est au-delà des frontières dessinées à la craie de ce qui doit se tenir en tant que présence au monde. Un peu à la manière des enfants qui sautent bien au-delà des cases définies de la marelle, iel souligne, avec les couleurs vives qu'on veut bien lui prêter, les limites poreuses de son masque de ruines. Il faut être voyant.e ; mais se contenter de visions bien abstraite. La lumière crue des toilettes creuse les traits d'un charme qu'iel ne reconnaît pas. Sa propre laideur lui est inaccessible.

Il y a du bruit dans les couloirs. Owl écrase son mégot de cigarette dans le lavabo, ajoutant au marasme dégueulasse de la cuvette ; cale une mèche derrière une oreille et tire avec deux doigts sur les commissures de "ses" lèvres, déchirant sur toute sa longueur le grain neutre de son expression - < cheeeeeeeese ! > Quelqu'un crie, là dehors. Owl se détourne du miroir.

Penché.e au-dessus de la rampe de l'escalier (comme au théâtre !), elle contemple l'agitation. < Pourquoi tout le monde crie ? Pourquoi vous criez ? On fait que vous entendre d'puis là-haut... >

Tout le monde a fait cercle autour autour d'une visiteuse, et c'est le théâtre dans le théâtre < Edith ? > Le bois des marches gémit sous ses pas.

la gêne est un jeu ; déjà Owl s'engonce drôlement dans la léthargie délicieuse qu'induit l'humiliation. < Fallait pas venir ici... C'est bon tout le monde, c'est Edith ! > Personne ne sait sans doute qui est Edith. < Euh... Tu veux pas qu'on aille... Ailleurs ? > Restons ; c'est bon d'avoir honte et de s'éprouver !

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Edith, elle a le don pour insuffler à l'espace toute la prééminence entêtante de son caractère. Son timbre insidieux s'infiltre dans les interstices ouverts de son autorité ; elle ôte les mots de la bouche et les jette au panier. On l'écoute, car elle nous tient sous la joug d'un impitoyable chantage verbal.

Son ton est celui de l'ordre saccadé. Elle dirige comme elle console ; owl ne fait pas trop la différence. Les nuances d'inquiétude pointue lui échappent. Concentré.e sur le relief abîmé de ses ongles, iel laisse Dito la cajoler symboliquement et puis se jette définitivement dans ses bras. Un gros bisou sur chaque joue - les bisous de fête des mères. Iel rit aux remontrances esthétiques ; il faut au moins cela - le pouvoir désintégrant de l'éclairage. Il faudrait que les ampoules halogènes brillent avec d'autant plus de cruauté ; que l'acide de leurs rayons frappe son épiderme et qu'il puisse anéantir la persistance pathétique de sa lutte au soleil. En attendant, elle s'enterre à coups de pinceau sous des tonnes et des tonnes de terreau que l'on ne peut acheter qu'en petites quantités, circonscrites à l'espace cartonné des palettes, et leur éventail de fards multicolores, alignés comme des gommettes collées au hasard sur un dessin d'enfant, ressemblent en fait à des pustules. < owl va bien. c'est super ici. voilà, ça c'est les collègues de owl. les collègues, c'est edith. ou dito, comme elle a dit. tout le monde est très sympa ici, edith, owl promet. >

La fumée de cigarette est un leurre ; un de plus, un de moins, une ombre au tableau ridicule que compose l'arrière scène de ce méchant theatrum mundi. Ca fait un peu tâche mais c'est une tâche acceptable en plus de la moisissure jaunâtre sur les murs, des traces de rouille sur la rambarde de l'escalier et du parquet qui hurle. C'est pittoresque ; plus crédible. Bien sûr, iel aime bien lorsqu'Edith lae gronde. Cela lui fait plaisir, de recevoir ce qu'elle perçoit en tant que colère dirigée. Ca lui donne l'impression d'être au moins réceptacle.

Dans le fond, iel a du mal à croire au fait qu'iel puisse susciter la moindre indignation. Edith est un être plein ; ses émotions sont des faucilles au rythme desquelles l'on se doit d'obéir ; et ce, quelle que soit la saison. Il est impossible d'échapper à leur cours sentimental, et c'est ce qui rend cette dame si effective. Comment ses lames sont-elles sensées couper l'absence ? Le bal des couperets effleure à peine owl, car elle s'exclut de leur danse. Edith se moque probablement d'elle. Et puis, et surtout - il y a ce vous qui résonne en dernier lieu ; owl a du mal à s'y voir. Le calque d'une telle généralisation, aussi infime soit-il, est toujours apposé en décalage à la surface tremblotante de son intégrité ; il embrasse la silhouette de Swan ; mais la sienne reste une excroissance au papier. Son sourire vacille un peu ; cela lui fait toujours bizarre de s'entendre dire < vous > dans ce sens-là, c'est-à-dire un sens départagé. Le "tu" est plus facile car il est excluant. Owl ne sait que faire d'une telle analogie.

< t'inquiète pas, je suis très bien ici. vraiment. je préfère comme ça. je voudrais pas... euh... déranger > c'est ce que l'on dit souvent lorsque l'on a bien l'intention de déranger. ce mensonge sonne si creux qu'il lui casse les oreilles. < c'est mieux comme ça > en haussant les épaules, pour faire comme si. < on peut aller s'poser au local. juste là. > vers l'escalier, vaguement. Sous les marches, il y a une petite porte flanquée d'un ENTREE INTERDITE horriblement prosaïque.

C'est juste un placard où l'on case les ustensiles de ménage, mais l'on n'y tient bien à deux, et c'est bien assez pour la honte et les secrets.

Dans l'obscurité, iel ne distingue des traits d'Edith que les restes de leur mirage consumé par la lueur maladive de son mégot ; elle a l'air impressionnante, et bien au-delà de la pénombre - œuvrant en surplomb de leur intimité poussiéreuse, son visage de statue persiste surnaturellement au sein de l'obscurité. < alors... ça va ? > et puis rien. Owl se ronge les ongles ; ça fait un bruit mouillé et dégoutant. < owl est désolée... c'que t'as dit. j'suis désolée de te rendre folle.> c'est pour combler le reste.

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les chaînes du sang font partie des maillons resserrés de son incertitude à vivre. elle n'entretient avec ses adelphes que des relations pour toujours superficielles ; car il se dresse, entre eux, et elle, et les autres au-delà de "son" corps, une différence notable, irrépressible. Cette différence, qui tient de la chair, est l'épicentre de son réseau, et s'incarne en la personne intra-personnelle que l'on appelle Siegfried en commun. Siegfried n'est pas encore tout-à-fait neuf - cet embryon qui lui pourrit la vie et qu'elle aime profondément explique l'ensemble de son retard. Mais tout ceci reste de l'ordre ridicule de l'indicible ; car rien n'est plus abstrait que l'ensemble précieux des cordes portées au cou par volonté d'exhibition.

< j'suis désolée...> il n'y a qu'avec Dito qu'iel s'excuse ainsi ; c'est que cette femme est, en quelque sorte, la seule voix d'expiation possible. < owl va parler aux autres. cassi'... et swan... owl va arranger les choses.> pour dire : regarde, je suis une bonne fille, je fais tout de travers. Edith a des façons de gronder qui sont toujours un peu ambiguës ; d'une rigueur consolatoire, elles offrent des perspectives larges et inespérées - elles prennent beaucoup de place et en même temps, semblent travaillées pour être faciles à oublier.

oui, c'est bientôt son anniversaire ; Edith n'oublie jamais rien. elle a la mémoire de son monde. Swan aura bientôt 23 ans - cela passe vite, comme on dirait. Dans le fond, cela ne change rien - S*** est peut-être déjà mort, et ce peut-être est synonyme d'errance.

Dito pense juste, néanmoins ; pour ces questions-là - ces affaires de justice quotidiennes, qui sont le point d'honneur des enfants sages - l'obscurité est de meilleurs conseils. L'on ne cherche pas particulièrement à se cacher ; mais l'on est un peu soupçonneux, et il y a des aspects de la honte que l'on préfère garder pour soi.

< ah, oui ! oui, c'est vrai. >

il aura suffi de la demande pour qu'owl oublie tout du cordon et de la force que l'on doit nécessairement mettre en jeu pour le tirer à soi. elle est ravie de servir, owl ; ravi-e de pressentir qu'on l'aime douloureusement.  

elle lui prend la main. c'est vrai que les baisers d'Edith sont un peu rêches ; mais iel aime bien lorsque cela écorche ; c'est plus facile à oublier.

La balance d'Edith oscille toujours entre l'incarnat et la pourpre diluée - certes ! owl n'a jamais eu l'occasion d'éprouver chez quiconque l'ampleur réelle de ce que pouvait être un mauve pur. Personne d'autre que Dito ne lui demande ainsi : et ma balance ? D'instinct, elle sait que vers le sang penche plutôt l'injustice ; et il lui semble qu'Edith est un peu plus rouge que d'habitude.

< c'est...> elle lui serre un peu la main, ce que l'on fait pour réconforter les malades. < c'est super. owl voit que tu as accompli plein de bonnes actions. ton karma est parfait. c'est même, encore mieux que la dernière fois qu'owl a regardé. ta balance dit que t'es que'qu'un de bien, de vraiment très très très bien, et que tu fais le mieux pour tout le monde, la fratrie, et tout et tout. bravo ! > elle lâche la main et applaudit. dans l'obscurité, l'on ne distingue de son sourire qu'une ligne vague.