Vous vous étiez vu en coup de vent pendant plus d'une semaine. Il venait chez toi par-ci par-là et jamais en dehors de la maison. Tu étais son secret, qu'il avait dit. Et ça ne te dérangeait pas de l'être ; au moins tu restais protégé de ses éventuels regrets. Si un jour il décidait d'en avoir assez, tu aurais juste à lui fermer la porte - qu'il reste seul à culpabiliser. Tu n'aurais qu'une ombre à pleurer.

Mais l'embrasser entre ton salon et ton entrée ne te suffit plus. Il y a une certaine urgence dès que vous vous percutez. Tu te sens de plus en plus à l'aise avec lui, au point où tu considères en parler autour de toi - gardez ça pour vous ; tu n'as pas oublié la promesse que tu lui as fait.

Dimanche soir. Bellamy t'invite à diner. Tu avais reçu l'invitation dans la journée, alors que tu étais encore en survêtement à jouer à la play ; tu n'avais pas hésité longtemps (histoire de quelques minutes) avant d'accepter.

(...)

Tu avais suivi le plan sur ton téléphone jusqu'à chez lui, trop habitué à te perdre (et c'est un comble pour un fils d'hermès). Un peu essoufflé d'avoir couru, c'est un peu fébrile que tu sonnes à sa porte. Il vient t'ouvrir et ton coeur s'emballe de le voir si bien apprêté. Tu baisses les yeux sur ton pantalon large et te dit que t'aurais pu faire un effort.

Salut.

Il t'aide à enlever ta veste en jean et s'occupe lui-même de la poser sur son porte-manteau. Tu te masses les bras, un peu gêné. Tu observes l'appartement - il est tellement plus grand que le tien ; même l'entrée fait la taille de ton salon. Tu es admiratif.

Immense.

Par contre, l'agencement n'a rien à voir avec le tien. C'est très vide, très lisse, assez impersonnel. Ça fait écho avec ta première impression de lui - il n'a donc aucune passion visible ? Pas pour la décoration d'intérieur en tout cas.

Un coca s'il vous plait.

Tu traverses le salon pour rejoindre la cuisine, tu siffles tellement c'est beau et moderne. Tu remarques qu'il a mis la table. Tu ne sais pas si tu trouves ça un peu too much ; tu ne te sens pas vraiment à ta place.

Cuisiné quoi ?

Tu hoches la tête poliment pour ne pas le contredire. Sûrement qu'il y a des appartements encore plus grands, dans tes rêves. Mais pas pour toi, c'est la seule certitude. Tu trouves ça déjà bien grand pour un seul homme - mais pas de jalousie, juste une certaine forme d'admiration. S'il peut se le permettre c'est qu'il le mérite, et t'es pas assez aigri pour envier les autres sur leurs possessions et leurs titres.

Tu l'observes faire, lui et son sens du raffinement. Tu restes intimidé Leslie, ce n'est pas ton monde et tu glorifies un peu trop Bellamy pour t'autoriser à en faire parti. Il te sert ton verre de coca et lentement tu le portes à tes lèvres pour le siroter.

Merci.

Il te présente avec enthousiasme le menu. Tu écarquilles doucement les yeux, sincèrement ébranlé qu'il ait pensé à ce point à te satisfaire. Tu étires un demi-sourire, hausses les sourcils et glisses tes deux mains dans ton dos pour bomber le torse.

Stylé...

Il te désigne ensuite la bibliothèque ; il a terminé Death Note et tu juges agréablement surpris sa rapidité.

Déjà ? Cool !

Tu te diriges vers la porte indiquée et l'écoutes de loin, distrait pas le nombre de livres qu'il a entassé dans la pièce. Tu ne l'imaginais pas lire autant mais maintenant que tu y penses, c'est assez évident. Ou est-ce qu'il trouve le temps ?

Tu lui réponds en haussant la voix pour qu'il t'entende.

Ouai ! Melo et Near, pas fou ! Moi aussi préfère partie un !

Tu vois les mangas posés proprement dans un coin sur une étagère ; pourtant c'est tout autre chose qui attire ton attention. La couverture saillante et colorée d'un album photo. Déconnecté du temps et de la réalité, tu l'attrapes et lentement le tires ; ouvres les pages pour le feuilleter.

Tu crois reconnaitre l'ambassadrice de Poséidon sur les plus anciennes photos. Ils sont tous les deux enfants à la colonie, déjà côte à côte et souriants. Plus les souvenirs défilent et plus elle s'impose - toujours là, encore là. Puis plus rien, plus de photos. Tu tournes les pages vides jusqu'à ce que des nouvelles (que tu devines récentes) apparaissent. Et elle est encore là.

((Comment rivaliser face au poids du passé ?))
Tu repenses aux sms. Il la quittera pas.

Alors qu'est-ce que tu fous encore là ?

Tu ne l'entends pas quand il t'appelle. C'est lorsque sa silhouette fait de l'ombre sur le classeur que tu relèves le menton. Son parfum te picote les narines. Tu ne bouges pas, figé d'avoir été pris sur le fait en train de fouiner. Tu ne résistes pas non plus quand il te le prend des mains. C'est à lui. C'est sa vie privée et tu es en train de t'y imposer, encore une fois. Tu te retournes pour te plaquer à la bibliothèque, le regard plus sombre et fermé que tout à l'heure.

Tu n'aimes pas ce qu'il se passe.
Tu n'aimes pas le fait de te voir l'adorer alors qu'il n'y aura jamais rien de plus que ça. Parce qu'il la quittera pas et que tu lui demanderas pas de le faire ; t'es même pas sur de vouloir te mettre en couple. Ça te fait chier, tu te sens misérable. Aucune idée de comment gérer cette situation autrement qu'en refusant de t'attacher - pour être capable de le relâcher quand il se sera lassé.

Désolé.

Tu baisses les yeux, les sourcils froncés. T'arrives pas à être positif - tu lui en veux pas personnellement mais t'es amer. Il a pas le droit d'être génial comme ça et de mener sa double vie en restant impuni. Et toi t'es pas le droit d'être jaloux, ça te ressemble pas !

Vais rentrer.

Tu le dépasses en le bousculant à l'épaule.

Mieux.

C'est mieux pour lui ;
mieux pour toi ;
mieux pour Diane que tu peux pas t'empêcher de détester à l'heure actuelle mais qui mérite pas ça.

T'oublies carrément tes mangas posés sur la commode, tu fonces vers la porte du bureau sans demander ton reste.

Pendant un instant tu te dis que c'est facile ; que t'as juste à traverser le bureau, puis le salon, l'entrée, partir sans te retourner. Tu seras mal pendant quoi... une semaine ? Et après ta vie reviendra à la normal. Tout aurait pu se passer merveilleusement bien s'il n'avait pas eu la déraison de te rattraper. Ton coeur se serre, tes muscles se tendent. Tu ne cherches pas à te débattre mais tu n'es pas non plus très coopératif.

Stop.

Comment résister quand l'on quémande votre présence ? Il articule même la formule de politesse. Tu lèves les yeux vers lui, l'air aussi fermé qu'hostile.

STOP !

Tu tires sur ton poignet pour le forcer à te lâcher. Tu serres les dents et contractes la mâchoire. Si tu le voulais, tu userais de ta super-vitesse pour super-t'éclipser et personne, pas même lui, ne serait capable de t'arrêter.

Pourtant tu restes là toi aussi.

Et pour moi ?!

Tu le juges parce qu'il est coupable. Tu l'as fait céder et alors ? Il avait qu'à mieux résister. Tu le juges parce qu'il est instable et que tu ne supportes pas d'avoir à y renoncer - plus tard.

Pff.

Tu redresses le menton pour le toiser. Cette fois tu le méprises. Tu le laisses lier ses doigts aux tiens.

Vous déteste. Chien.

Ton insulte préférée, c'est presque un compliment. Ça t'empêche pas de te mettre sur la pointe des pieds pour l'embrasser jusqu'à l'étouffement.

Il soutient qu'il te déteste mais tu ne le crois pas. Tu le toises d'autant plus qu'il n'est pas convaincant - il a au moins le mérite d'être sincère dans sa tourmente. Tout comme lui ne t'épargne pas de sa pitié, tu n'en ressens pas non plus pour lui. Tu le condamnes comme on juge les lâches et les addicts, ceux qui continuent de s'adonner à leurs plaisirs coupables même si ça leur fait du mal. En cet instant, tu mesures l'intensité de la malédiction de Dionysos.

Un sourire presque sadique de satisfaction s'étire en l'entendant avouer. Le savoir rampant face à ses pensées interdites t'apaise un tant soit peu. Mais le contentement mesquin est de courte durée. C'est à son tour de te torturer !

Il répond à ton baiser (évidemment) et te presse contre lui. Tu lèves les yeux au ciel. Il te veut et tu te mords la lèvre.

Ok.

Piqué dans ton égo, tu rougis contre lui.

Moi aussi.

Au diable le repas, vous êtes déjà tous les deux enfiévrés. Tu tires sur sa cravate pour le forcer à s'abaisser. Tu l'embrasses encore, aspires sa lèvre inférieur puis le repousses légèrement vers l'arrière afin qu'il te relâche de son étreinte. Tu en profites pour retirer ton haut et le jeter en boule par terre au milieu du bureau. Le défies de le ramasser ou d'être dérangé par le désordre, tu captures déjà son poignet pour l'entrainer vers la chambre.

C'est où la chambre ? À droite ? À gauche ? Tu bifurques dans le couloir, repasse devant le salon et t'enfonces au fond de l'appartement. Tu pousses la porte d'une pièce spacieuse où trône le plus grand lit que tu n'as jamais vu. Bordel, on dort à trois là-dedans.

Tu le pousses sur le lit pour qu'il tombe en arrière. Grimpes sur lui et commences à dévorer sa nuque ; la parsèmes de baisers alors que tu t'affaires à déboutonner sa chemise.

Il a l'air presque agacé ; tu laisses échapper un petit rire quand tu l'entends s'impatienter. Rapidement tu le pousses sur son lit et grimpes sur lui. Son bassin est plus large que le tien ; quand tu le chevauches tu sens les os de ses hanches s'enfoncer dans tes cuisses. Tes muscles tirent mais ça ne fait pas vraiment mal. Le plaisir et l'excitation ressentis au contact de son intimité gonflée et prisonnière de son pantalon assujettissent le réel. Tu flottes dans le clair obscur de sa chambre. Les rideaux tirés dissimulent le soleil tardif de l'été.

Bell...

Il échange vos places et tu t'enfonces dans son matelas, à l'aise - trop à l'aise.

Pas de fuite ce soir.
Tu l'assènes d'un regard brulant et insolent. Plisses légèrement les paupières en fronçant les sourcils. Il ose ! La provocation ne restera pas impunie.

(...)

Woah. Ouai, c'est le mot. Il a l'air surpris ; peut-être interpellé par le fait que tu sois à court d'argumentation (tu sais que c'est son truc à lui, argumenter) ; il n'empêche que tu n'as rien de mieux à dire. Tu es fatigué, ta poitrine te fait vivre un enfer - le brasier interne brûle ta gorge à chaque fois que ton torse se soulève.

Bellamy demande à ce que tu restes. Tu étires un léger sourire et cognes l'arrière du crâne contre le parquet. Tu n'as rien de mieux à faire et même si on vous surprend - en soit ce n'est pas ton problème ? Alors tu acceptes d'un hochement de tête, convaincu avant même d'y avoir vraiment réfléchi.

Ok.

Tu te redresses sur les coudes.

Salle de bain ?

Ton ventre gargouille. Tu considères que ça répond suffisamment à la question.

Merci.