— Freddie, passe la lumière.
Attrapant l'appareil circulaire, le policier illumina les alentours de la scène de crime d'un balayage rapide. De longues traces d'objet trainé par quelque chose entourait la scène, semblable à des grandes traces de griffure, comme si un pittbull version XXXXL avait décidé de jouer à la balle avec des morceaux de béton. Même un New Yorkais avec l'odorat habitué à l'odeur agréable de défécations et de crasses des rues était capable de déceler l'odeur acre du sang de la victime, autrefois cachée derrière les décombres et désormais à la vue de tous sur une bâche blanche.

C'est sur cette vue qu'arriva sur place le détective. On l'accueillit avec le résumé habituel de la situation : Deux suspects, une victime, possiblement tuée lors de l'altercation. On ne sait ni l'identité des deux suspects, ce qu'ils faisaient ou ce pourquoi ils en seraient venus aux poings. La raison des dommages à la rue était également inconnue, malgré que Demian, penché sur une griffure doigt traçant l'asphalte tranchée, se faisait rapidement une petite idée du coupable et de la réalité de la situation : on avait affaire à un combat entre un demi-dieu et un monstre ici qui aurait vraisemblablement mal tourné. Il s'attendait à voir les Traqueurs arriver d'un moment à l'autre, priant déjà tous les Olympiens et dieux de cet univers pour ne pas lui envoyer un traqueur chieur.

Se relevant en grognant —Merci le genou en confiture—, Demian retira avec ses dents un gant afin de retirer ses lunettes et passer une main sur son visage, fatigué. Malgré la nature de son travail, arriver sur une scène de meurtre, surtout lorsque la victime était aussi jeune, était toujours aussi décourageant. Ainsi un peu à l'écart des autres, dans un endroit dans la pénombre, c'est comme ça qu'il sentit la présence de quelqu'un de nouveau. Une chaleur différente, nouvelle, mais familière. Ah. Le traqueur.
Croisant ses bras lorsque la présence s'approcha, il resta silencieux alors qu'Ashley observait la scène, sa figure désormais claire dans son esprit, sa flamme et forme définies par sa signature thermique.
— J'ai pas été assez rapide, désolée.
Il laissa sortir un grognement, ne répondant à ce commentaire par aucune remarque. Que dire de plus? Oui, Ashley était arrivée trop tard, c'était un fait. Mais est-ce que cela voulait dire que c'était sa faute? Non. Alors elle n'aurait pas de message de pardon, pas de remonte moral, pas de câlin. On vit dans le vrai monde, et quand l'on est un demi-dieu, il faut s'habituer à la mort.
— Un sang-mêlé et un monstre, voilà qui on cherche. J'en sais pas plus pour le moment, seulement qu'on a intérêt à les trouver rapidement pour éviter plus de dégâts.
Évidemment. Au moins, il n'avait pas de petit nouveau pour ce boulot.
— Le nom de la victime était Madison Elliott. Elle aurait été aperçu ici avec deux personnes, peut-être notre sang-mêlé et quelqu'un d'autre. Dans l'altercation, elle aurait reçu un coup et serait décédée d'hémorragie.
Il sorti son paquet de cigarette et en alluma une d'un pincement de doigt, ne prenant même pas la peine de se donner l'allure de l'allumer avec la boîte d'allumette vide qu'il gardait dans ses poches. Inspirant et expirant, il rajouta
— La Brume s'occupera de faire croire à une attaque de chien, ou tout autre connerie pour apaiser les Popo, lui faisant signe de le suivre, il attrapa sa cane au passage (qu'il balança sur son épaule d'une main) et se dirigea vers un tournant dans la ruelle où les traces vacantes de chaleur inhumaine continuaient, On a affaire à un monstre quadripède. Pas de feu, de poison ou machin, sinon il n'aurait pas utilisé que ses griffes. Assez grand, je dirais autours de taille moyenne, assez pour te casser en deux avec sa gueule. Je mettrais mon argent sur un chien des enfers, mais c'est encore sous débat, il continua d'avancer, guidé par la chaleur des habitations et des égouts, Sinon, t'as l'air en forme, ajoute-t-il, un léger sourire aux lèvres face à sa blague de mauvais goût.

— Merci, venant de toi ça me touche. Les lumières des gyrophares et la pollution de la ville te vont pas mal au teint non plus.
Demian sourit et amena une main à son menton, prenant une pose comme les pétasses dans les grandes rues de New York. Un petit sac en perle, un chien de poche et du mascara, et il avait déjà l'attitude des petites millionnaires de Flatiron se déhanchant avec un kilogramme de botox dans les lèvres.
— Un chien des enfers me paraît probable sinon oui, ça colle avec les dégâts et les griffures. Si ça avait été Cerbère, on aurait eu plus de victimes, des morceaux de demi-dieu éparpillés sur le sol et je ne serais probablement pas la seule à avoir été envoyée. Et si ça avait été une harpie, eh bien tu aurais le nez en l'air en ce moment-même, tout simplement.
Le policier acquiesce d'un hochement de la tête et d'un grondement de la gorge. Direct sur le mille, 100 points pour Crow.

Content de mener le chemin en se guidant grâce aux "nuages" de chaleur, il ramena son attention sur ses pensées et surtout l'identité de leur troisième personne mystérieuse. Est-ce que ça pouvait être un satyre? Un envoyé auparavant qui aurait remonté jusqu'au demi-dieu? Ou c'était un sang-mêlé autonome à New York? Si c'était le cas, est-ce que cette troisième personne était un mortel classique ou un deuxième demi-dieu impliqué? Une autre victime à prendre en compte ou un autre ennemi?

C'est quand il entendit, ou plus, n'entendit plus le bruit de pas d'Ash qu'il tourne la tête vers elle, interrogateur. Elle lui mit une main sur l'épaule, lui intimant de s'arrêter. Croisant ses bras et tenant sa cane grâce au creux de son bras, il fit face à elle, inquisiteur.
— Garde mon corps s'il te plaît, je vais fouiller la zone. Je préfère qu'on ne s'approche pas trop au sol, surtout si ton flair est confirmé.
Hochant de la tête, il attrapa le corps rapidement inerte d'Ashley sous les épaules avant de la déposer doucement à terre à un endroit où ses souliers ne soulevaient pas trop de déchets. Ses capacités ne pouvaient pas l'aider à déceler des détails aussi précis, alors si elle se réveillait tantôt dans un tas de merde... Eh bien, il n'avait quand-même pas pu le savoir, si?

S'accotant sur le mur de l'immeuble le plus proche, il apporta une main à sa cigarette, prenant soin de se donner l'air d'uniquement prendre une pause fumée afin de ne pas attirer l'attention des passants (aucune grande métropole ne dort réellement, après tout). Étendant ses sens afin de ne pas se faire prendre par un inconnu alors qu'il protégeait quelqu'un d'autre, il attendit qu'Ashley revienne à elle.
— Chien des enfers effectivement, considère que je te dois un café.
Il laissa sortir un "hmm".
— Il y a un entrepôt à deux rues d'ici, le gamin a l'air blessé et s'est réfugié sur un échafaudage, près d'une fenêtre. T'as le choix : j'y vais seule en passe-miroir, je te le ramène puis je retourne là-bas pour me débarrasser du monstre ; ou bien je t'emmène avec moi et tu te charges de la protection du sang-mêlé pendant que je m'occupe du toutou. Si tu as mieux, je suis preneuse mais dans tous les cas, il faut qu'on se bouge.
Demian laissa sortir une expiration moqueuse, avant d'écraser sa cigarette à terre,
— Je suis peut-être plus vieux, mais pense pas que je suis incapable d'occuper un cabot deux secondes. Tu ne te débarrasseras pas aussi facilement de moi, ça reste un de mes témoins, il lui proposa son bras, comme si elle allait le guider, Après vous, ô guide voyant

— J'en attendais pas moins de toi, mon vieux.
Il lui offrit un sourire montrant toute son appréhension envers la chose. Logeant son bras dans le creux du sien, une belle parodie des vrais guides pour non-voyant, il tourna légèrement la tête vers elle, prêt à entendre les autres consignes. À deux pas de lui demander où était les boucles de ceinture de sécurité, comme dans les avions.

— Par contre, comme c'est ta première fois en passe-miroir, j'aurai qu'une seule règle à te donner : tant qu'on ne sera pas tous les deux dans l'entrepôt, pas question de me lâcher le bras. En fait, ne me lâche pas tant que je ne te lâche pas moi-même. Il va falloir me faire confiance, ça risque d'être... déstabilisant.
La.
Joie.

Il ne savait pas du tout comment allait se passer le voyage, mais le concept en tant que tel était assez pour lui donner un aperçu du truc. Tous ses signaux, tous ses guides, tout sauf sa vue, tous les petits signes qu'il avait appris à se fier sur allaient disparaitre, ça il en avait bien peur. Un retour aux racines, dans l'époque littéralement noire de son existence où il ne voyait rien, n'entendait rien, n'avait aucun concept de son entourage et de sa situation. Complètement seul dans un monde d'absence.
L'appréhension fut assez pour le faire déglutir, un plis apparaissant au niveau de ses sourcils, sa main, une pression constante sur sa cane à ses côtés. Quand Ashley fit le premier pas, il eut un instinct de recul, qu'il chassa d'un trait : un demi-dieu, un enfant avait besoin de leur aide, sinon il y avait bien des chances qu'il finisse comme son amie Madison. Sauf qu'à la fin, il ne resterait que des os léchés jusqu'à la moelle pour se souvenir de lui.
— Accroche-toi bien.
Oh, il était si bien accroché que même une tornade n'aurait pas été assez pour le déloger, ça il n'y avait aucun doute sur la question. Un immense signe de confiance pour Ashley, de lui faire assez confiance pour qu'elle le mène alors qu'il allait perdre tous ses repères. Faire confiance en Ashley pour le guider alors qu'il serait l'équivalent d'un poids lourd? Immense. C'était l'équivalent de littéralement lui donner sa vie et de la croire sur parole qu'elle n'allait rien faire avec. C'était déjà assez gros pour un non-voyant de mettre sa vie entre les mains de quelqu'un d'autre pour le guider, ce l'était encore, mais alors beaucoup, plus pour Demian, celui qui était bien reconnu pour n'octroyer sa confiance qu'à un nombre négatif de personne. Si ça avait été avec n'importe qui d'autre, il aurait rit face à leur proposition avant de les envoyer chier. Mais Ashley? Il pouvait se permettre un saut dans le vide... Enfin... il l'espérait.

Le voyage fut aussi pire que ce qu'il s'attendait, et peut-être plus. Les enfants d'Héphaistos étaient connus pour être terre à terre, sur le plan physique plus qu'immatériel, héritage de leur père bien plus direct et pratique que sentimental. Demian l'était encore plus, constamment engagé dans le monde autours de lui afin de "voir", de se diriger, de s'informer du monde. C'était tout simplement sa façon d'interagir avec le monde, une facette bien plus personnelle que la simple vue.

Être ainsi privé de tout?

C'était comme forcer un poisson hors de l'eau.
Comme priver un être d'oxygène.

Son cerveau constamment à la recherche de quoique ce soit qui aurait pu l'aider à se former une image de son entourage pour ressortir blanc. Sans rien. Vide. Même la température était inexistante, la chose sur laquelle il pouvait toujours se fier, malgré la noirceur, l'endroit ou le temps. Comment un fils du feu pouvait-il vivre dans un monde sans rien? Même pas de froid, juste vide?
L'expérience fut courte, mais trop longue en même temps.

Ainsi, comme un noyé sortant de l'eau pour la première fois depuis des années, il ressorti du monde miroitant comme un naufragé. Laissant l'air rentré dans ses poumons en une immense bouffée d'air, respiration sifflante, il plissa des yeux face aux surplus d'information, tout l'atteignant en même temps et sans ordre précis. Amenant une main sur sa tête en un grognement face au mal de tête l'assaillant, il n'entendit même pas les mots d'Ashley, trop occupé avec trop trop trop trop. Comme un sourd qui entendait finalement après des années, mais 10 fois pire.
Bras d'Ashley abandonné, il recula afin de se fracasser le derrière de la tête contre le mur, un grognement sonore sortant de sa gorge.

Respire Demian.
Un.
Deux.
Respire, expire.
Compartimente.
Important, Inutile.
Important, le gamin en face de lui. Important, le chien des enfers bavant et enragé que deux demi-dieux lui ait volé son diner.
Inutile, la présence d'un couple de corbeau sur le toit. Inutile, un chat passant dans la rue, son rythme cardiaque élevé. Inutile, le couple de petits vieux dans l'immeuble en face qui valse.

Rouvrant les yeux, symbolique plus qu'autre chose, il amena une main chancelante vers ses lunettes puis les replaça sur son nez. Adressant le gamin, il lui fit signe de se rapprocher et il se mit entre lui et le chien démoniaque. Il avait beau être dans un sal état, il était encore capable de se battre et de défendre, le chien était difficile à ignorer après tout, venant des enfers et tout. Épée sorti de son "fourreau", il fixa ses "yeux" sur la chaleur infernale du chien, phare dans le chaos du reste.
Il aurait bien assez de temps pour soigner ce mal de tête après qu'Ashley se soit chargé du monstre.