suite directe de "home sweet home" ※ archeron ; ruelle adjacente arrièreAlors le rire s’est éteint ;
Empoisonné le coeur de mère, dit-elle.
Ange ne rit pas avec ces choses-là.
Mère a voulu la blesser, elle l’a vu, attaquer dans le brouillard, elle a vu ce qu’elle ne voulait pas voir.
Ange se tait.
Ange reste immobile.
Dionne a dit je t’aime.
Mère a dit je te hais.

Ange veut être aimée.

Alors Ange se dit que, peut-être, il vaut mieux Dionne que Mère ; Dionne aussi est éternelle ; Dionne pourrait rester toute la vie et Mère pourrait mourir avec tous les ennemis qui grouillent autour d’elle.

Le rire revient.

Sauf que lorsque la voix de Mère articule son nom, les élucubrations sordides fanent d’elles-mêmes ; elle dit “mon ange” et la confusion s’installe ;
A-t-elle vraiment dit je te hais ou dit-elle je t’aime elle aussi ?
Ange ne sait plus ;
Ne sait plus ce qui l’habite.

Elle croit trébucher.
Mais elle est restée droite, immobile - trop immobile pour ce qu’elle était.

Elle dit “reviens-moi” ; elle dit “le coeur saigne quand tu n’es pas là” ; elle dit elle dit elle dit - elle dite "je t'aime" elle croit.
Ange sanglote.
Elle veut s’excuser d’avoir pensé de travers - d’avoir eu ces immondes idées -
Alors Ange rit.

Glousse.
Mais ne répond pas.
D’un hochement de tête à peine ;
Ange se transforme en aigle dans un sanglot et traverse à nouveau la fenêtre dans un courant d’air ; comme elle était partie ; elle atterrit dans la ruelle adjacente où les poubelles sont habituellement sorties.
La ruelle où elle avait rencontré Lazare ;
La ruelle où les odeurs de fumée et de poussières empestaient assez pour troubler la pestilence de sa détresse.

Son dos embrasse le mur derrière elle.
Le regard est vide, le regard est las ; figé devant elle - elle est aveugle et sourde, des acouphènes vrombissent dans ses oreilles.

Maman m’aime, maman m’aime, maman m’aime - tais-toi tais-toi tais-toi

Le visage se lève dans un sursaut lorsque la porte métallique s’ouvre.
Elle prie que ce ne soit pas Mère.
Mais ce n’est que Martin qui sort une poubelle, avant de repartir dans la salle.
Et elle croit être tranquille lorsque Duke saute de la même fenêtre - retombe devant elle. Le visage s’illumine lorsqu’elle le voit.
Elle glousse une nouvelle fois.

Mais rapidement, il l’attrape à la gorge et elle se retrouve coincée entre lui et le mur derrière elle.
Elle rit.

Duke - Duke chéri ! J’espère que c’est moi que tu cherchais - pourquoi serais-tu sorti par la fenêtre ? JE T’AI MANQUÉ ! Dis-le fort, dis-le tendre, dis-le à Ange - que je te manquais !

suite directe de "home sweet home" ※ archeron ; ruelle adjacente arrière“Trainée” qu’il dit - et Ange déjà n’écoute plus.
Le coeur est éteint quelque part, pulse en même temps qu’il est mort et las ;
Elle le sent à ses tempes, elle le sent au fond de sa cage thoracique ; le regard flotte et il lui semble un moment qu’elle n’est pas là - ou pas vraiment - ou qu’à moitié ; qui sait où le coeur d’Ange est parti se réfugier ; qui sait où les sentiments sont partis s’égarer ?

Le sourire est brumeux aux lèvres - étiré alors qu’il ne veut rien dire - les automatismes de ses muscles rendus malades par l’esprit en proie à ses inconstances.

Avec qui ?

Elle se rappelle du Mont Dicté et de ses années terreur à hurler dans une solitude morbide ;
Elle se rappelle des échos du silence et de ses pleurs ;
Elle se rappelle qu’à l’époque, personne ne lui a demandé “avec qui tu étais”, et une colère gronde dans le rire qui, sarcasme, s’arque à ses lèvres.

Est-ce pour ça que tu es en colère, Duke ? Tu étais jaloux ?

Elle s’étrangle et ça lui est égal, Ange se repousse contre le mur ; s’y agite comme si elle se débattait ;
Ange ne veut pas qu’il la lâche pourtant ;
Se débat pour sentir sa prise se refermer.

HAHA, DUKE, ON DIRAIT PRESQUE QUE TU M’AIMES ?

Lui aurait arraché n’importe quelle affection ; Ange à l’agonie de se sentir aimée de travers, jamais assez ;
Jamais assez - jamais assez - jamais assez.
Elle rit dans des éclats étranglés.

Menteur.

Ange sait que Duke n’aime que lui-même - alors Ange se fait un peu Duke aussi, car elle aimerait qu’il l’aime.
Pourtant - pourtant - pourtant - quelque chose a changé dans les yeux, au bord des lèvres, dans la voix qui pleure et rit en même temps - Dionne a dit je t’aime et le coeur de Ange s’est envolé quelque part où ni Duke ni Maman ne peuvent plus l’attraper.
Le coeur n’est plus là.

Et toi, avec qui tu étais ? Ah - non - je m’en fiche, en fait.

suite directe de "home sweet home" ※ archeron ; ruelle adjacente arrièreIl semble s’articuler des aigreurs dans le regard ;
C’est d’amour et d’amer - elle ne sait pas, Ange, ce qui l’habite vraiment ;
Il y a de la haine qui parcourt les veines mais ça pulse si fort qu’elle confond certainement.

Il prononce lentement et ça résonne en elle
”Nausikaa”
Un vertige l’attrape et la gorge se serre.
Elle est presque sûre qu’il n’a pas refermé ses doigts.

Nausikaa…

Le regard s’éteint un peu, des vents se lèvent ;
Des bourrasques grondent et balaient la ruelle ;
Elle ne sait pas - Ange - comment c’était sur Nausikaa ?

Ils étaient beaux - ils étaient grands - tous bêtes et idiots - tous magnifiques dans leurs tenues de chair comme des vivants. Ils avaient l’air morts, pourtant.

Elle semble se perdre en elle-même -
Elle ne sait pas, Ange, ne sait pas quel goût ça a ;
Les bourrasques s’intensifient ; font s’envoler les chevelures dans des mouvements erratiques.
Le regard ne le regarde plus ;
Les yeux sont pris dans le brouillard.

Il y avait Dionne - Dionne jolie - Dionne belle - Dionne seulement qui méritait le regard. Ou qui sait ? Si tous les autres méritaient aussi - je crois que je les aime - que je les hais - que je les aime - je ne veux plus manger les enfants des rois.

Elle relève les yeux sur Duke.
Le sourire grandit alors.
Un peu fou, un peu perdu.

Je veux manger les Rois !

Je veux manger les Dieux.

suite directe de "home sweet home" ※ archeron ; ruelle adjacente arrièreComment peut-on vivre trop, Duke ? Comment faire pour vivre moins, si je ne fais que vivre tout court ?

Veux-tu que je meurs, sont-ce les mots que tu prononces alors ?
Il se berce des violences contre les lèvres qui se scellent.
Ange ne sait plus ce que Duke veut d'elle.

Peut-être tout - peut-être rien - elle croit que les mots qu'il lui adresse ce sont des mots qu'il s'adresse à lui-même.
Alors Ange réalise que Duke ne la voit pas car il ne voit que son reflet.
Il dit "je t'ai envié" et elle comprend que Duke ne peut pas entendre qui est Ange car pour Duke il n'existe que Duke et ça n'a toujours été que ça.

Et il naît dans le coeur de Ange une idée secrète, une idée malsaine, une idée qu'elle chérira sans jamais la dire -
Ange doit devenir Duke pour qu'il l'aime.

Oui.

Ange ne rit plus.
Ange a les yeux grands ouverts.
Ange apprend.
Comment être Duke ? Comment être toi ? Comment être si bien ton reflet que tu me confondrais ?

On se repaîtra de leurs chairs et de leurs regrets.

Mais elle ne dit pas "ensemble" car ensemble voudrait dire qu'ils seraient deux ;
Et Ange ne veut pas être deux.
Elle veut être Duke, maintenant.

Je ne leur pardonnerai jamais.

Elle répète, s'imprègne.
Et le sourire naît à ses lèvres, finalement.

ANGE EST MORTE CE SOIR, ANGE EST MORTE HAHA

Le regard est fou sous les cils noirs.

QUE FAIT-ON, MAINTENANT ? Que fait-on, que fait-on, j'ai hâte de savoir!

suite directe de "home sweet home" ※ archeron ; ruelle adjacente arrièreLe regard est grand ouvert ; le regard dévore.
Ange apprend.

Elle répète pour que les mots soient de sa langue à elle ; glissent de ses propres lèvres ; s’approprie éhontément ce que Duke croit lui être réservé.

J’ai juste besoin de me remplir.

Elle penche la tête.
Dans le regard elle semble percevoir une forme d’ennui - de lassitude soudainement.
Alors Ange, qui a bien appris ; se met à rire.

Les lumières pétillent dans ses pupilles.

ENFANT SAGE ? Allons, Duke, nous n’avons jamais été un enfant sage.

Se fait reflet ; se fait miroir ; comme s’il parlait à une projection de lui-même.
Ange a toujours été sage.
Duke, jamais.
Mais Ange était morte, ce soir !
Lorsqu’il prononce son nom elle s’efforce de ne pas l’entendre.
Elle entend “mon ange” comme s’il se susurrait des mots doux ;
A lui-même.
N’existait plus que Duke.

Maman sera en colère mais elle l’est toujours ; ça nous a jamais empêché de nous amuser ; ah - ce soir, ON DANSE

Elle lève des doigts au visage de Duke ; esquivent les cicatrices ;
Ange n’a jamais existé ! les cicatrices n’existent pas non plus.
Ange est morte et ses souvenirs avec !

Un nouveau vent se lève dans la ruelle ;
Expression de Ange qui ne veut pas mourir au-dedans quand bien-même elle se fait assassiner lentement par elle-même.

Ce soir on MANGE - on mange mange mange - on mange - qui veux-tu manger ? Avec qui veux-tu danser ?

”Existe un peu plus fort” ; qu’elle demande ;
”Prends toute la place, je te la laisse” ; qu’Ange n’existe plus du tout ;
Meurs - meurs - meurs - Ange !
Dans des rires et des explosions de joie ;
Le sourire glousse aux lèvres le regard dévore.

Dis-moi qui tu es ce soir, je serai aussi !

suite directe de "home sweet home" ※ archeron ; ruelle adjacente arrièreDu baiser ne tire aucun plaisir.
Le regard resté ouvert sur celui qui s’articule comme étant Ange ;
Du baiser ne tire aucune saveur.
Papillonne des paupières avant de glousser, extatique ;
La nouvelle voix de Ange dit “Je t’aime Duke” et le coeur meurt au-dedans.

Aucune réponse aux mille questions qui se chamaillent sous le crâne.
Sinon un rire fugace qui se moque un peu d’eux, un peu d’elle surtout, de Ange imbécile qui avait aimé son frère trop fort et qui avait oublié ce que cela voulait dire.

Comme tu es bête, Ange…

Machinalement lève des doigts au menton de nouvelle Ange, lui fait lever un visage suppliant. Elle lève les sourcils, le rictus qui s’arme aux lèvres ploie sous le poids d’amertumes innommables.

Bien sûr que tu m’aimes.

Comment pouvait-il en être autrement ?
C’est cruels que les doigts se séparent d’elle.

Et cruel que Duke s’avance, sans s’inquiéter qu’elle le suive ;
Car Duke sait que Ange suivra ;
Il ne l’a emprisonnée d’aucunes chaînes ; il l’a emprisonnée avec mieux que ça.

Il l’a emprisonnée avec des “Je t’aime” qui disent “Je ne t’aime pas” ;
Emprisonnée avec des “Je t’aimerai demain promis juré”.