Ange veut croire aux promesses des premiers soirs, murmurées sur l'oreiller à l'orée de passions innommables, celles qui prétendent que l'amour ne meurt et qu'il est là quelque part. Ange veut croire en les regards des autres et en leurs étincelles qui crépitent au fond de leurs pupilles noires. Ange veut y croire et se les approprier toutes entières, s'approprier l'existence des autres, leurs vœux, leurs rêves, leurs ambitions, Ange les attraperait entre ses serres pour ne plus jamais les laisser s'échapper et dévorerait jusqu'à la dernière larme, écouterait jusqu'à la dernière supplique pour ressentir rien qu'un peu les esquisses de leurs extases. Au creux d'une cage thoracique en ruines pulse d'envie un cœur à la dérive, jaloux et morbide, aux désirs jamais assouvis. En quête de toujours posséder davantage, Ange accumule les bibelots et jamais ne jette, s'accommode du bazar de tous ses trésors empilés et aux souvenirs, aux émotions, réserve le même traitement. Ange voudrait conquérir le monde et que le monde reste entre ses doigts fébriles, voudrait conquérir les regards et cultiver la haine, le mépris, l'amour, les passions, tout ce qui, intense, s'expulse des vivants. Collectionnerait les gens dans des fioles de formol et n'aurait besoin d'aucune étiquette pour se rappeler de chacun de leurs patronymes - dans l'esprit, gravés et indélébiles. Fascination extatique au bord des yeux jamais fermés, elle dévorerait pendant des millénaires car elle n'a appris que ça et que la faim jamais ne se calme. C'est le désespoir qui la guette chaque soir quand Morphée, jamais, ne s'inquiète de son sort.  Le cœur, avare, craint que le crépuscule s'éteigne et que l'obscur tombe dans la solitude. Ange est seule à l'intérieur d'elle-même et le vide la terrifie car dans le vide les murmures s'installent.  Ange crie et Ange pleure lorsque l'étreignent les senteurs d'autrefois, les images récidivistes d'un temps où il faisait froid.

Esclave d'elle-même et esclave des autres, Ange dresse au-dessus d'elle des idoles et se fait leur dévoué canin, donne la patte et fait le beau ; Ange n'a des ailes que la parure car de son vol elle n'en tire aucune liberté, enchaînée et aveugle, était le chien de Zeus jadis et est toujours chienne à ce jour ; porte sur ses épaules les colères d'une autre et fait s'abattre son courroux, sa justice, au nom de celle qui l'ordonne. Subirait tous les sévices de ses idoles et n'y trouverait rien à redire, Ange n'a besoin de rien sinon qu'on prononce son nom au moins une fois dans sa vie. Crèverait juste pour que s'articule entre ses lèvres son patronyme.

De raison il ne persiste plus que des bribes au fond de son esprit nébuleux et les pensées s'entassent dans une immonde cacophonie ; Ange existe plus qu'elle ne réfléchit car sa réflexion ne ferait sens aux yeux de personne. Ange obéit car lorsque c'est de son propre chef qu'elle agit, elle s'abandonne et au réveil tout est détruit autour d'elle, ses serres acérées encore salies par les chairs.