C’est un bal de questions qui valsent dans ta tête. Qui ? Comment ? Pourquoi ? Tu ne peux que t’interroger, pendant que tu roules à toute vitesse dans les rues de la ville, espérant ne pas croiser une seule voiture de flic. Le cas échéant… tu aviseras. Comme tu le fais toujours.

Arrivée à destination après quelques minutes qui t’ont semblé une éternité ; tu sors en trombe de ta voiture, cavale à t’en briser les jambes, défonçant presque la porte qui se dresse devant toi. Tu croises le regard candide de ton enfant, bien installée sur les genoux de la ravisseuse, qui est… ravissante ? Rien à voir avec ce à quoi tu t’attendais.

Pour autant, tu ne baisses pas ta garde. Un regard suffit pour comprendre qu’elle est dangereuse… que tu es à sa merci. Tu ne saurais expliquer pourquoi tes joues virent au rouge lorsque tu poses ses yeux sur elle ; mais elle t’apparait comme une prédatrice monstrueuse, un être supérieur.

Sans arriver à une conclusion qui pourrait sembler évidente, tu as ton petit doute sur sa nature. Tu ne tenteras rien de stupide, pas tant qu’elle tient la prunelle de tes yeux entre ses griffes. L’enfant qui ne comprend pas la situation s’exprime dans ta langue natale comme elle le fait d’habitude :

─ Maman ?
Tu réponds également en japonais :
─ Tout va bien mon ange. C’est une vieille amie… pour basculer en anglais : cela fait une éternité que nous ne sommes pas vues (littéralement, c’est la première fois que tu la vois) ; d’où ma surprise…

Néanmoins tu reconnais ce « pressentiment » que tu as. Parce que ce n’est pas la première fois que tu ressens ça. Les souvenirs remontent, le massacre de ta famille, ton bras dévoré sous tes yeux. Tu avais imploré à genoux pour ta vie… tu en ferais de même si elle menace celle de ton enfant. Car pour elle tu ferais n’importe quoi ; abandonner ta fierté ne serait qu’un début.

Tu dois jouer son jeu, tu vas le faire.
Quelque part, tu es aussi curieuse.

Car au-delà de constater qu’elle tient ton bébé entre ses griffes ; tu remarques également que malgré ses menaces, l’enfant n’est pas blessé ni traumatisé. En d’autres termes, la conclusion logique serait que vous êtes là pour négocier.

D’une longue inspiration pour reprendre ton souffle et ton calme, tu ne discutes pas ses ordres, tu prends place sur le canapé, t’installant confortablement. Pas question de faire le moindre geste que tu pourrais regretter ; pas tant qu’elle tient sa vie entre ses mains.

─ Je suis tout ouïe.

Un sourire pour rassurer ton bébé ; quelques mots glissés dans ta langue natale à sa destination :

─ Tu es bien installée ?
─ Oui ! L’enthousiasme de la petite te réchauffe le cœur, elle ne perd jamais sa bonne humeur.
─ Tu restes sage avec mon amie d’accord ?
─ Oui, je ne bouge pas !
─ C’est promis ?
─ Promis !
─ C’est bien, on ira manger dans ton restaurant préféré tout à l'heure, si tu restes sage.
─ C’est promis ?!
─ Oui… promis.

Puis tes iris se lèvent ; bifurquent sur la blonde ; tu bascules en anglais :

─ C’était vraiment nécessaire… tout ça ?  
 

L’esquisse d’une impatience matérialisée par l’envie de reprendre le fil de la conversation ; la blonde manque de temps et toi l’envie de la contrarier. Forcée d’écouter son discours barbant sur l’humanité et ses tares, elle pense t’avoir cerné.

L’intérêt de votre échange réside ailleurs que ses prises de position sur tes semblables ; comme si elle cherchait en toi ce qui la lie à elle. Si seulement elle savait que tu te sens parfois plus proche de son espèce que de la tienne.

— Oh mais je le suis : au sommet de MA chaîne alimentaire. Je suis en bas de la vôtre, c’est certain… mais qui sait, je pourrais grimper les échelons.

Un ricanement goguenard ; loin d’être paralysée par la peur, tu as dépassé ce stade il y a longtemps. Comment espérer être plus rapide, plus forte et plus déterminée, sans le moteur le plus puissant de l’esprit humain.

— Je sais ce que vous êtes. Mais je ne sais pas qui vous êtes. J’ai ma petite idée sur la question, cela dit…

Pour les demi-dieux ; elle est l’ennemie personnifiée. Les entités à abattre ; les adversaires d’une guerre qui dure depuis des millénaires… qui continuera sans doute bien après ta mort.

Son intérêt pour toi serait presque flatteur si elle ne tenait pas entre ses griffes ta fille adorée. Toutefois, malgré les sueurs froides qu’elle te donne, tu te sens presque honorée ; pour une raison encore inconnue.

— Hm… disons que j’ai des goûts très… particuliers. Des talents uniques qui ne leur siéent pas ; injustement jugés comme contraire à leurs mœurs. L’ironie est savoureuse, je pense qu’au fond ce n’est pas tant mes compétences qui dérangent, mais sur qui j’en fais usage... et comment.

Un sourire tout aussi mauvais que le sien. L’aveu au bout des lèvres :

— Vous avez raison sur un point : je n’ai jamais su trouver ma place… et je la cherche encore.

Tu la fixes droit dans les yeux.

— Si d’aventure vous souhaitez un échange en tête à tête, je pourrais vous en dire plus. Si vous me rendez mon trésor, je vous offrirais bien plus que ma simple curiosité. Bien que je cherche encore à savoir ce que vous me voulez…

S’il a bien une chose qu’il faut te reconnaître… c’est ton pragmatisme. Faire un pacte avec le diable ? Pourquoi pas tant que ça te rapporte ce que tu veux. Si seulement elle peut te l’offrir.
 

Elle se présente à toi, monstrueuse matriarche ; tu perds encore un peu plus le contrôle de la situation. Incapable de te mouvoir, obligée à une prise sur le cou de ton enfant. Terrorisée par sa mère, elle hurle… avant que sa voix ne s’étouffe dans un silence assourdissant.

— Arrêtez, vous lui faites mal !

La prise se referme davantage et tu prends peur. Fierté oubliée comme si elle n’avait jamais existé, elle a toujours été une entrave à tes vices, inhibant tes folies. Il y a bien longtemps que tu y as renoncé… détruite depuis ta plus tendre enfance. Supplier n’est pas un problème, mais une nécessitée.

— Par pitié, vous allez la tuer !

L’instinct de survie prend le dessus sur la peur ; d’un coup de télékinésie, tu arraches ta prothèse de ton épaule pour que la poigne mécanique vienne s’opposer à la chair. Elle peut contrôler ton corps, mais pas ton esprit.

Suffisant pour réduire ta prise… mais tu restes à sa merci.

— Je ferai ce que vous voulez ! Mais laissez-la tranquille ! Je vous en supplie !

L’orgueil se meurt là où la vie de ton enfant se retrouve en danger. Tu encaisses son coup sans broncher ; bien qu’il te faut quelques secondes pour te redresser. Tu t’attendais à être dominée ainsi… mais la douleur reste vive et humiliante.

Ce n’est pas la première fois néanmoins. Tu es une habituée des situations comme celles-ci. Ce n’est pas la première fois que tu te retrouves impuissante.

La petite dans tes bras pleure à torrents ; tambourine contre ta poitrine dans une furie digne des tiennes.

— J’ai peur Maman ! J’ai peur ! baragouine-t-elle dans ta langue natale.
— Je suis désolé mon ange… je suis désolé…
— J’ai peur de toi !

Tu n’as de réponse que celle de l’enrouler de ton bras, cherchant ta prothèse des yeux ; avant que ta vue ne s’obstrue de la mère des montres. Elle a raison sur un point : que ne ferais-tu pas pour ton enfant. Il te faudra du temps pour regagner la confiance de la tienne, malgré tes vains efforts pour t’empêcher de lui faire du mal.

Echidna est au sommet de sa chaine alimentaire… c’est une preuve de plus. Mais tu t’en fais le serment, Yumeko, que tu grimperas cette échelle pour la retrouver côte à côte. Et la fin… tu lui arracheras la tête.

Mais pour l’heure, tu ne peux que t’incliner. Et c’est dans un éclat de rire incontrôlable que tes yeux la défient.

— C’est limpide, madame.

Dans une œillade mêlant haine et admiration, c’est le visage rouge d’une honte lascive pour cette merveilleuse monstruosité que tu la mets en garde :

— Tant qu’elle est en sécurité, vous pouvez compter sur moi. Mais s’il lui arrive malheur…

Tu te promets de lui faire la peau, même si c’est la dernière chose que tu feras.

— Ah… vous êtes merveilleuse, Echidna…

Hilare de ton impuissance ; elle t’écrase de toute sa supériorité et tu l’admires. Tu n’en ressens aucune honte ; il n’y en a aucune à rejoindre le camp des vainqueurs.

— De mère à mère… ai-je le droit à une petite requête ?
 

Les esprits rebelles et nocifs n’ont qu’eux à blâmer lorsque les choses tournent au vinaigre. Tu n’irais pas jusqu’à dire que tu le mérites… mais tout ceci, tu l’as cherché. Mère monstre affirme que tu es responsable de ton enfant et de ce qu’il lui arrivera si tu ne files pas droit. Message reçu.

Echidna est une abomination ; aberrante d’arrogance. Certaine que personne ne viendra la déloger de son trône ; elle piétine tout ce qu’elle juge inférieur, te traitant comme la vermine qu’elle voit en toi. Souvent, l’on tend à se méprendre quant à tes attitudes. Bouffie d’orgueil ? Loin de là.

La vérité, c’est que le traitement de cette entité acariâtre ne peut que s'incliner face aux sévices infligés par les Kemonobami. Dépossédée de la moindre nuance de fierté à ta naissance ; tu en es tout aussi dépourvue de honte.

Il n’existe rien.
Rien qui te fera reculer pour le fruit de tes entrailles.
Rien ; certainement pas ta propre vie.

Mère monstre s’érige en figure toute puissante ; juge, jury, bourreau. L’épée qui tranche la tête ; main de fer ou velours, qui dorlote ses amours d'une tendresse indifférente. Elle est le plus grand défi de ta vie...

─ C’est d’une simplicité enfantine. Quelques années auparavant, deux de vos enfants sont venus me rendre visite. Ils m’ont laissé un souvenir… atroce ? Impérissable.

Tu te redresses, ton bébé dans tes bras, tétanisé… il te faudra du temps pour regagner sa confiance.

─ Luther et… Ashe ? C’est ça ? Ma requête est simple : dites-moi où les trouver, s’il vous plaît. Ils me manquent, terriblement.

Un baiser déposé sur le front de ton enfant, l’implorant de se calmer ; tu lui dis que tout ira bien. Tu lui mens pour la protéger… que ne ferait pas une mère pour son enfant ?