Tu dois y aller, Heph’. Le nez dans ses outils, Hephaistos contemple un instant les fils divins qui alimentent son automate. Il lâche des mains la structure lisse de l’airain poli et s’éloigne de sa créature imparfaite pour rejoindre le corps d’un homme de fer : son fils est mort, et ce malgré le soutien qu’il a essayé d’apporter aux demi-dieux.

Il a envoyé son grand condor, le mulet à grandes roues. S’il ne peut pas intervenir lui-même, il peut compter sur ses créations pour leur venir en aide.

Dans l’ellipse hors du temps où attend Jasmin, entouré d’un halo blanc et pur, Hephaistos apparait finalement à son fils. Il n’a pas eu le temps de se maquiller d’un filtre de fausse pureté - il est brut et sincère. Il se sait laid et repoussant mais ne cherche pas à le dissimuler.

J’sais que t’m’en veux.

Il n’a jamais trop parlé avec Jasmin. C’est un de ses fils les plus autonomes, pourtant sa rancœur se transmet sans avoir à être portée par des mots.

Qu’est-ce qu’j’peux faire pour toi, hm ?

Hephaistos n’a jamais été très doué pour communiquer. Il est plus à l’aise quand l’un de ses enfants lui pose une question technique ou quand iels partagent ensemble la même passion. Jasmin a l’air d’être comme le reste de sa fratrie : débrouillard et créatif. En cela, il est fier de lui. Mais il n’a aucune idée de comment accueillir sa colère. Ça le dépasse, c’est toujours pareil, année après année, siècle après siècle, millénaire après millénaire.

J’suis un dieu. Un forgeron. J’sais que j’suis un mauvais père. C’est comme ça. T’peux m’en vouloir si ça te soulage. J’t’en veux pas de me détester.

Il grogne, un peu bourru. Au fond ça le touche toujours un peu lorsqu’un de ses enfants le repousse. Ça lui rappelle le rejet de sa propre mère ou les tromperies de sa femme. Il se sait indigne d’être aimé et préfère la compagnie de ses machines.

D’un geste lent et nerveux, il triture sa longue et broussailleuse barbe rousse. Jasmin lui crache sa vérité, d’abord par énigme (qu’il a du mal à déchiffrer) puis précise enfin sa pensée.

Désolé, on ne peut jamais rester avec elles. C’est comme ça, c’le boss qui a décidé. Les enfants souffrent toujours.

Mais un détail l’attire en particulier. Il ne comprend pas pourquoi Jasmin lui parle de la mort de sa mère, alors que…

Narcissa est vivante. Je pensais que tu l’aurais vu. Elle bosse là où tu travailles en ce moment. Comment ça s’appelle déjà ? Ah oui, le Danaé.

Il lève la main dans l’intention de caresser l’épaule de Jasmin mais se ravise.

J’dois te laisser maintenant. Fais gaffe à toi p’tit gars.