concentre-toi...
seraph grogne, soupire. le fracas des armes blanches qui s'entrechoquent au loin fait vibrer ses tympans sans parvenir à couvrir le tumulte qui tambourine entre ses tempes.
les yeux fixés sur le rien, il pense.
à la créature. rose, étrange, affamée, redoutable. les regards s'étaient croisés, ou plutôt harponnés, l'espace de quelques brèves secondes: assez pour réveiller en seraph le soupçon d'une angoisse insoupçonnée.
il pense au danger. pas le danger de la mort, fortuné et délicieux - ce danger qu'il a pu admirer, brièvement, sur le visage livide de cassiopée - mais celui de l'échec, de loin plus impitoyable.
il pense à sa capitulation, - temporaire, certes, rien qu'une épreuve, destinée à l'élever davantage. mais le retour à agôn district, la queue entre les jambes, lui est cuisant, humiliant, exaspérant.

en face de lui, disposées le long du mur, les épées, poignards, hâches et autres bijoux par dizaines; les jours de rumination, il a pris l'habitude d'entretenir son arsenal. il s'y occupe parfois des heures durant, tentative d'apaiser ses nerfs acérés.
la main gauche se saisit d'un glaive, la main droite se pose sur la pierre à aiguiser, déjà usée par les passages précédents. l'air absent, il manipule l'objet tranchant comme sur autopilote, si bien qu'il lui faut plusieurs secondes pour remarquer la plaie ouverte qui traverse sa paume, faute d'inattention.
la vue du sang le frappe, le contrarie presque.
il contracte la mâchoire, réprimande silencieuse. reprends-toi.

il n'en aura pas besoin, la distraction ne se fait plus attendre, elle débarque à point nommé: une figure familière dans l'embrasure de la porte.
sohel. la salutation est formelle, simpliste et détachée, et c'est à peine s'il le grâce d'un regard, les pupilles rivées sur la balafre palpitante, sur ce sang d'une couleur qui lui semble étrangère. qu'est-ce que tu veux? cette fois, plus que formelle, la question est machinale, désintéressée, à l'image des gestes méthodiques qui s'attèlent à panser la blessure.

@Sohel Vermillon

sohel est fidèle à lui-même, abrasif, impétueux. si son agressivité pique les nerfs à vif, seraph demeure impénétrable même avec la rage qui lui hurle au visage.
ressaisis-toi... pour le chef des spartes, la sévérité est une forme de défense. une nécessité. sohel n'est pas le seul à osciller au bord d'un gouffre, à lutter pour se maintenir à la surface. c'est pourquoi les mots se font durs - ils emprisonnent l'impuissance, la frustration et la crainte sous quelques couches de béton armé. tu te tapes la honte.
d'un geste désinvolte, il lâche le glaive fraichement aiguisé et saisit les poignets du demi-frère en furie. serre.
vivre parmi les mortels, ça t'en fait oublier les bonnes manières ? et cette fois, il n'y peut rien, il se montre moqueur malgré lui; l'altercation provoque son ego, déjà fragilisé par la rumination des derniers jours. il se protège, afin de ne pas faire d'aveu de faiblesse, quitte à paraitre inhumain. au contraire, humain, il l'est inévitablement, ébranlé par l'échec, en proie à une fragilité ravivée à la vue du corps blême de cassiopée. cette faiblesse, il pensait l'avoir laissée derrière lui.
rester en contrôle lui a rarement été aussi difficile;
et face à sohel, il n'a jamais été aussi bancal.

@Sohel Vermillon

évidemment, sohel n'est pas intéressé par la mesure.
il veut la guerre.
seraph, lui, sait que la guerre n'est pas une option.
que ce soit pour ses propres ambitions ou pour le bien du clan - une simple question de bon sens. mais sohel n'a pas vu ce que lui, il a vu: il demeure inconscient, prêt à en découdre, incapable de se représenter le danger.
alors il fulmine. parle de rendre des comptes. seraph secoue la tête. tu n'es pas le seul qui tient à cassiopée tu sais... mais ça il ne le dit pas.
tu ne peux pas le faire payer.
à la main posée sur son épaule, il se dégage, réajuste son col. calmement, ramasse le glaive à ses pieds, puis plante ses yeux dans ceux de son allié de longue date. d'un sérieux qui ne laisse place à aucune concession.
celui qui a tué cassiopée n'est pas un sang-mêlé ou même un dieu. un flottement, puis: honnêtement, je ne sais même pas s'il s'agit d'une personne.
maintenant qu'il les a prononcés à voix hautes, les mots lui semblent d'une évidence toute nouvelle. tant pis pour la fierté, il commence à se rendre à l'évidence. on n'avait aucune chance. j'aurais fini comme cassiopée si j'étais resté plus longtemps. on l'a pas vu venir. tu peux t'en prendre à moi, si ça te chante. ça ne change rien.
au fond de sa rétine, les relents obscurs d'une peur insoupçonnée qu'il ne peut pas cacher.

@Sohel Vermillon

rien de plus difficile pour un sparte que d'accepter son impuissance. seraph ne le sait que trop bien, et sohel aussi. vengeance sera donnée. si seulement... encore une fois, il secoue la tête, et son soupir en dit long, tant il est lourd. si son amour-propre en a pris un coup, il sait qu'il n'avait pas le choix: s'enfuir, il le devait. toujours au fond de l'estomac, la peur primale de la proie face au prédateur. une nervosité dont il ne parvient pas à se départir. la mâchoire grince aux mots de sohel, le regard retrouve sa dureté.
tu te crois fort? il est cinglant, impitoyable. face à lui, tu es faible.
as-tu au moins vu à quoi il ressemble?
qu'a-t-il vu?
le souffle court, il se détourne de sohel. autour de lui, le monde semble se repeindre de rouge et de noir. le poing se serre, les ongles s'enfoncent dans la paume jusqu'à raviver la douleur de sa coupure tout juste pansée.
je... et la suite se perd. il pense. au visage de cassiopée, et au visage inconnu - au rose,  au rouge.
la plaie, rouverte, lui repeint les phalanges de ce même rouge mais il n'y prête pas attention. je ne sais pas trop ce que j'ai vu...
c'est que la peur lui a jusque-là toujours étrangère. plus maintenant: agité, désemparé, il se débat, à l'image du gibier en fuite qui prie pour ne pas trébucher.

@Sohel Vermillon

impossible de ne pas tiquer aux mots de sohel. s'il n'est pas un lâche, qu'en est-il de seraph? le sous-entendu est lourd et s'en prend directement à son amour-propre.
c'est sans aucune envie de répondre aux questions qu'il s'y plie pourtant - comme on baisse la tête sous la punition. pour avoir échoué, il l'a mérité.
et puis le ton s'apaise; loin de lui le désir d'en rajouter. je pourrais le reconnaitre, oui. mais il ne lui permettra pas d’aller le chercher lui-même. dans une tentative de se ressaisir, il reste le dos tourné, abrité du regard d'autrui. la honte ne lui est pas familière: elle esquinte, tourmente, le surplombe de son ombre menaçante. je m'assurerai que ça n'arrive pas.
même pas une promesse, une évidence. le ton est sans équivoque, le sang qui décore la paume sans appel. il sait qu'il n'a pas été à la hauteur; il y remédiera.
mais sois patient. des ennemis, nous en avons toujours eu. nous sommes spartes, ça fait partie du contrat. l'âme tordue par la peur, elle ne sait que se cabrer - ultime défense face à l'adversité. il triomphera, écrasera. mais pas tout de suite : même orgueilleux, seraph demeure lucide, conscient d'être le chassé et non le chasseur; face au prédateur, la proie devra redoubler d'ingéniosité.

@Sohel Vermillon

le sang réclame le sang. le chef des spartes est bien forcé d'y adhérer, à cette pulsion dévastatrice. qui serait-il sans ces dogmes lourds d'implications ?
la mort dans le regard, il refuse de faire face à sohel, de peur qu'il n'y trouve une faille: infime, peut-être, mais intolérable.
contraction de la mâchoire, étincelle au fond des yeux mornes, fixés sur le sang qui s'égoutte des bandages.
non, ce n'est pas rare. et cette fois, le visage se retourne vers l'interlocuteur, et les mots se teintent de ce rouge. contre un ennemi, la mort est une possibilité. à quoi t'attends-tu ? tu es sparte, et bientôt ce sera la guerre. tu penses que tu ne perdras personne ? ou pire, que tu es immortel ?
il en rirait, de ce ricanement cynique et résigné, si seulement il en était capable. fais donc ce dont tu as l'habitude. le jour où tu perdras quelqu'un, tu sauras.
tu te rendras compte d'à quel point c'est futile. lui qui a donnée la mort et l'a contemplée alors même qu'on lui refusait toujours, il demeure de marbre face à la persévérance des mortels qui lui résistent obstinément.