pendant la nuit suivant l'hybris ※ clinique d'asclepiosDans un morbide carousel, les cadavres et les blessés défilent à faire tourner la tête ;
Simca pourtant ne cille, le regard les dévore sans pudeur, dressée droite dans une robe blanche à faire croire aux fantômes, le teint livide mais apparemment impeccable.
Ne persiste sur l’épiderme diaphane aucune trace des sévices d’hier.
Les pieds nus piétinent un carrelage du bout des orteils.

Les pupilles noires semblent éteintes lorsqu’elles se posent sur le défilé des morts.
Le regard ne se lève que pour croiser le visage - le seul qui fasse s’éveiller ses sens parmi les vivants - de Ethel revenu les bras chargés des détresses du monde.
Pas les siennes - Simca songeait qu’il était trop bon de porter toutes ces peines - les blessés geignaient trop fort elle les aurait achevés qu’elle se serait trouvée bien généreuse.

Un brancard prenait le relai et sans doute repartirait-il ;
Mais l’enfant de la mort avança d’un pas.

Ethel.

Elle avance des doigts impudiques ; la peau glacée glisse près des poignets du traqueur. Les lèvres muettes s’imaginent dire “attends” ; reste avec moi ; il fait noir, j’ai peur du noir, Ethel, j’ai peur ne pars pas ; mais les yeux ne disent rien le corps est mort, Simca ne saurait laisser ces mots parcourir l’air.

Comment tu vas ?

Pour se refuser à dire que le coeur est las et qu’il veut mourir ;
Pour s’échapper d’elle-même préférerait entendre Ethel.

Tu dois y retourner tout de suite ?

Le bras retombe à sa cuisse, à Simca, abandonne le contact ;
Comme la conviction lui manque - accuserait la fatigue mais cette vulnérabilité elle n’en veut pas.

pendant la nuit suivant l'hybris ※ clinique d'asclepiosLe pas suit silencieux ; les pieds embrassent le froid mordant des carrelages blancs.
Hoche la tête à sa réponse ; ça va - qu’elle aurait dit dans le mutisme, sans ajouter davantage, sans parler des tourments qui attrapent l’air et l’en privent.
”Emon est mort, ne te rappelles-tu pas ?”

Fondue à l’ombre d’Ethel, l’enfant de la Mort ne s’habille d’aucune lumière lorsque le sourire s’étire mécanique.

Mon frère ?

Il n’existait que l’ombre de lui - et sans doute était-ce mieux ainsi - elle n’aurait pas eu la force de s’inquiéter davantage. Emon lui suffisait.

Je suis venue pour moi-même.

Les épaules haussées dans une réponse lasse.
A la machine café, quelques dos courbés et des mines à faire pleurer l’asphodèle se partageaient un espace restreint ;
Chassés par la lumière d’Ethel à peine s’était-il approché - de politesses oubliées entre les lèvres s’écartaient pour laisser la place.

Bientôt un gobelet en carton brûlait au bout des doigts de Simca qui s’en accommoda aussi vite.

Pas que je voulais particulièrement faire observer ma tête, mais Cerbère n’a pas été bien tendre avec elle.

Cependant elle ne pouvait pas être malhonnête trop longtemps.
Alors elle soupira ; le liquide chaud levé aux lèvres.

Je reste pour Emon, à dire vrai.

Aurait pu le présenter comme Monsieur Ueda ;
Mais Simca avait fait tomber ses manières au profit d’une sincérité qui ne lui ressemblait pas.

Dire que je m’en veux serait mentir. Mais ça n’était pas à lui de mourir. Le chien…

Soupir.

Cerbère. Je le connais. Pour avoir déjà manqué de me faire déchiqueter par ses mâchoires. Les mots qu’il prononçait à l’encontre de mon engeance… je veux dire, notre engeance, à Ezra et moi-même…

Relève le regard vers Ethel.
Il semble qu’aucune émotion ne traversait ses pupilles.
Vides.
La phrase reste suspendue sans jamais trouver de suite.

Est-ce présomptueux de songer qu’Emon est peut-être mort à cause de moi ? Crois-moi, ce n’est pas une lamentation. Je n’ai, d’ailleurs, jamais eu envie de me sacrifier pour qui que ce soit. La mort de tous les gens ici m’indifférerait. Peut-être la tienne aussi, qui sait ? Mais lorsque Emon s’est effondré…

Le nez se retrousse.

J’ai eu la haine. C’était la première fois que la mort me faisait cet effet. Est-ce cela que la mort vous fait, d’habitude ?

pendant la nuit suivant l'hybris ※ clinique d'asclepiosAu sourire, l’enfant de la Mort répond la réciproque.
Il est rare qu’il ne soit ni pincé ni mécanique, Simca sourit dans une lumière incomparable aux factices. Il semble qu’aux pupilles se pleurent des tendresses en silence ; aucune larme ne roule sur les joues froides.

Je vois.

Rien d’autre que de la colère ;
Les mêmes rages qui grondent éternelles et jamais n’expulsent complètement.

Simca songe que l’amour est discriminant.
Qu’elle n’aurait sourcillé pour personne mais Emon - important à en croire les mots d’Ethel - avait fait vaciller ses convictions.

Quand elle imagine qu’on le lui arrache alors il y a la colère ;
Alors il y a la haine, la rage ; la frustration.
Qu’il soit ambassadeur ou fils du boulanger n’a pas la moindre importance pour Simca.
Qu’il soit Emon, en revanche, fait trembler le palpitant.

Et que fait-on, avec ça ? Avec la colère, la frustration ?

Morne au regard ;
Elle lève le visage dans une mine haute mais froide, elle ne se targue d’aucun faux sourire, le précédent a fané. Elle ne lui ferait pas l’affront de ses insipides manières.

Qu’as-tu fait, lorsque Jocelin a quitté les traqueurs ?

pendant la nuit suivant l'hybris ※ clinique d'asclepiosSes doigts courent le long de la colonne vertébrale comme les frissons des spectres qui y chahutent toutes les nuits et un vertige attrape le coeur. Elle ouvre des lèvres muettes ; elle croit un instant que c’est la caresse de son père ; et la gorge se serre.
Qu’il lui attrape la gorge et la prive d’air ;
Qu’il lui griffe les chairs à en faire s’échapper la sève.

La caresse est amère ; frustration soudaine lorsque les doigts s’échappent pour ne plus la faire vivre ;
Ca dit “n’arrête pas” lorsqu’elle se retourne pour lui faire face.

Un rire désarticulé et irrepressible se fragmente à ses lèvres étirées ;
Doux et aux clochettes qui tintent.

Puis le silence.
Elle lève des doigts vers le visage de Ethel.

Elle y dessine, impudique, des sillons abstraits ;
Elle fait fermer ses yeux, alourdit ses paupières.
La voix est peinte de mille tendresses où les mots sont acérés ;

Parfois j’aimerais que tu sois mort.

Les doigts coulent jusqu’à ses joues et dévalent pour terminer à quatre sur ses lèvres ; l’empêchent de répondre une seconde, le temps d’apprivoiser ses propres silences.

Le souffle remplit l’espace sonore dans une inspiration ample à faire s’ouvrir la cage thoracique.
Lentement, reprend ; articule ;

Pour te garder toujours avec moi.

La main tombe le long de sa cuisse.
Le regard est las lorsqu’il redéfinit les traits du visage de Ethel.

Je crois que tu as plein d’autres choses à faire, Ethel.

D’autres mortels à voir ; d’autres morts à retrouver ;
Un sourire vague au visage froid ;

Pars et ne te retourne pas.