ce ne sont pas les monstres, leur chasse acharnée ou même les effusions de sang qui dicteront la conduite sparte. délibérément, seraph s'est interdit la peur à l'idée de quitter l'île - sinon, que serait-il, si ce n'est une proie captive, réduite à se terrer dans son enclos ? dans le tumulte des derniers jours, il a attendu l'accalmie, le sang bouillonnant déjà des manquements de ses adeptes. dès lors les plaies pansées et les corps comptés, récupérés, réanimés ou oubliés sans sommation, il s'est attelé à réunir les membres de son clan. puisque ses pas l'ont guidé jusque manhattan c'est bien qu'il s'agit là de son devoir : il vient récupérer satya.
satya, dont il a remarqué l'absence il y a déjà trop longtemps ; satya, dont le sérieux lui inspire d'ordinaire la confiance. c'est une confiance retenue, économe par la force des choses, dont la constance même n'est pas si commune.
le pas alourdi par l'urgence, seraph n'a pas accordé un regard à la réceptionniste qu'il a juste dépassée comme si elle n'existait pas. il n'a besoin que du numéro de l'étage. accoutumé à exister sur son territoire en maître, il refuse de jouer le jeu des mortels qui s'emprisonnent dans ces tours immenses et étrangères.

il se réjouit de ne pas avoir à toquer. satya. l'air de dire te voilà, je t'ai trouvé, seraph s'avance déjà, les mains enfoncées dans les poches de son cargo. il a consciencieusement délaissé son allure précipitée pour une démarche qui feint la désinvolture. je me demande ce que tu fais de si important pour que je doive venir te chercher moi-même. il ne lui demande pas comment il va, ce n'est son style, non - seraph considère que l'honnêteté de ses hommes est une évidence qui lui est due. il n'aime pas réclamer ce qui lui revient de droit.

satya et seraph n'ont rien à voir l'un avec l'autre mais quelque part ils se ressemblent, dans l'impératif utilisé par défaut, inspiré par la nature de leur fière condition ; dans les excuses qui ne s'envisagent même pas puisqu'elles n'ont pas lieu d'être. du regard, seraph étudie les traits du fils d'aphrodite, décèle dans son allure soignée et dans sa stature haute que ses épaules ploient légèrement sous un poids invisible.
il admet : j'apprécie ton honnêteté. l'oreille inattentive y lirait la mesquinerie d'une remarque équivoque, mais seraph fait preuve d'un sérieux qui lui est propre - seule la voix porte une tranquillité désinvolte.

ainsi, il ne trouve aucun motif à s'offusquer de l'ordre qui lui est adressé. lui qui se montre hostile à l'injonction s'apprête déjà à retirer ses chaussures par force d'habitude. il a le pas léger, maîtrisé lorsqu'il se dirige vers le minibar avec l'air confiant d'un invité qu'on traite avec considération. en un coup d'oeil, il a choisi la bouteille et quand il pose son verre rempli sur le comptoir immaculé, c'est en symétrie parfaite à satya. il s'est servi la même liqueur, par mimétisme poli - une volonté sous-jacente de lui inspirer la proximité.

la question tombe après un silence soigneusement cultivé, savouré : et qu'est-ce qui justifie que tu t'apitoies de la sorte ? seraph a le sourcil levé, le regard inquisiteur. la revanche est un thème qui m'est familier, et cela veut dire parle-moi. sa certitude de pouvoir se faire confident est un retour de son défaut fatal, encouragé par l'intérêt qu'il porte à cet homme dont il pense comprendre la différence.  
dans le goût de la boisson, on devine son prix. la première gorgée réveille son palet et lui dessine un sourire presque imperceptible - c'est là le sommet de son expressivité.  merci pour le verre, d'autant plus savoureux qu'il s'est en réalité invité lui-même et ne délivrera son hôte de son emprise que lorsqu'il aura trouvé réponse satisfaisante.

il est évident que seraph n'est jamais à l'aise face aux épanchements d'autrui. les élans vulnérables de satya le prennent de court, plus encore, piquent une curiosité singulière - c'est qu'il y perçoit un émoi inhabituel, étrangement déraisonnable pour ce fils d'aphrodite dont il a toujours respecté la retenue et la discipline.
satya dit je déteste aimer qui j'aime et le secret à demi-dévoilé par ces mots crève les yeux ; si seraph était un autre, il aurait ri. il se contente d'un hochement de tête appliqué, aiguisé d'un sourire torve et d'un regard oblique. il ne se moque pas, non, du moins pas des confessions qu'il arrache. il n'apprend rien.

et les voilà, les vrais aveux : ceux que seraph n'aurait pas pu prédire. (ton frère, ton propre frère ?) ce sont les ombres sur ses prunelles qui trahissent la confusion que lui inspire cette formulation énigmatique.
mais voilà l'illustration qui tombe à point.
la métamorphose de satya est convaincante. sous les paupières de seraph se dessine le portrait clair, éthéré de précieux. ces traits, qu'il a caressés, décortiqués, retracés cent, non, mille fois ! ce sont ses yeux, ses cils, sa mâchoire et la courbe de son nez.  et puis cette voix familière - dans les tympans de seraph, immiscée jusque dans ses terminaisons nerveuses, l'illusion fait effet : il reconnait là un timbre qu'il connait par coeur, qu'il a absorbé sous son épiderme et par les vaisseaux de son myocarde (cassiopée).

dans un sursaut qui ressemble à de la colère, seraph lâche son verre. arrête ça - destabilisé, cela s'entend, il recule. tout de suite, un ordre qu'il donne sourcils froncés et mâchoire serrée. c'est assez pour saisir la nature du crime dont satya a été victime : il a voulu savoir, mais refuse de voir, de sentir.
il inspire, expire, et c'est avec violence, comme en guerre contre lui-même qu'il reprend le contrôle sur son corps. il s'est dérobé au spectacle d'un mouvement de tête sur le côté, afin de ne pas regarder précieux, non, cassiopée, non, satya. il parle, d'une voix basse qui fait vibrer ses organes : ce ne sont pas tes pouvoirs qui font de toi un guerrier ou non. il ne la comprend pas, cette honte, non, il la constate avec révulsion. le silence auquel il fait place est révolté, contre son gré. il voudrait punir pour cette intrusion, lever le poing et frapper le visage de son amant, admirer le sang maculer cette belle contrefaçon ; il a besoin de rester digne, de ne pas succomber au trouble, il suffit d'exercer le contrôle. regarde-moi faire.

il a fini son verre d'une traite et sans conviction. et pourquoi ? il demande sans détour. quel intérêt ? dans quel but ? il t'a trompé, il t'a souillé alors. qu'attends-tu pour le lui faire payer ? c'est comme ça que tu deviens un guerrier.
c'est là son sermon.

seraph s'est reculé d'un pas raide et interdit. il n'apprécie pas l'assurance avec laquelle satya l'imagine se mettre à genoux sans pouvoir combattre. c'est énoncé comme une vérité générale, ineffable. il rejette ce que cela sous-entend : sa force physique, précautionneusement cultivée et disciplinée par les années, n'étant plus rien, impuissante face à l'Amour de l'illusion. quand il s'enhardit à relever le regard vers le portrait chimérique de ses fantasmes, il est soulagé de n'y trouver plus que des traits familiers, ordonnés ; des traits qui ne se font plus reflet de ses propres confusions, qui n'appellent plus son corps entier à l'offrande.
je n'aime pas sans conséquences, la preuve.
il est vrai, pourtant, qu'il n'a jamais eu à subir ce qu'il était : depuis son éveil, sa nature toute entière est contenue par qui il a choisi d'être. il n'était personne avant de devenir un tout, une entité créée pour le pouvoir au nom de seraph - et si seraph veut coucher avec des hommes, personne n'en dira rien.

cela ne veut pas dire qu'il ne comprend pas. au contraire, il saisit les enjeux auxquels satya l'expose. s'il juge absurde de dissimuler les affects de la chair derrière de honteuses barrières, il sait d'où cela vient.
ce qu'il ne comprend pas, en revanche, c'est l'offense faite à la nature divine qui lui est dépeinte. cela le révulse, d'imaginer qu'on puisse ainsi faire afffront à son ascendance, au sang qui pulse et bout dans les veines. c'est une aberration qu'il ne peut transposer à sa propre fratrie sans risquer la nausée déjà violemment contenue. qui est-il ? il sera confronté aux conséquences de ses actions, il faudrait alors que le sang coule, ce sang pourri qui se croit descendre de l'Amour mais qui n'en est qu'une perversion - exposé à la vue de tous, en dehors du corps, et non dissimulé sous la peau. tu veux le détruire, détruis-le.

seraph a retrouvé sa place assise en face de satya, de nouveau prêt à mener la conversation en complice, à niveau égal. la résilience est une force, il lui souffle, avec puissance, ce message belligène : tu es sparte, relève-toi. pour l'honneur, je te prêterai ma puissance, si c'est celle-là qui te manque.

satya caresse seraph de ses louanges et il est difficile de ne pas tenter d'y voir une nouvelle nuance de charme - puisqu'il est déjà parvenu à harponner son regard sous les traits d'un autre. appuyé sur son coude, seraph se penche au-dessus de la table comme s'il s'apprêtait à se confesser tout en sachant pertinemment qu'il taira les conséquences de ses amours. satya lui dit tu ne subis rien : lui, seraph, chef des spartes, intouchable, invulnérable à tous les maux du coeur derrière l'armure cuirassée de son corps ! voilà une image qui lui plait et qu'il voudrait authentique. hélas ! il est encore humain. mais comme tout humain, il ne s'interdit pas l'amour. que satya se condamne, lui qui est sublime, semble défier la logique. l'esprit libre d'illusions, seraph est toujours capable d'admirer sa façade et de le constater beau ; car il l'est, de cette beauté noble qu'il est impossible de réellement posséder. mon coeur bat, comme le tien. c'est tout ce qu'il en dira.

zana, tu dis ? seraph fronce les sourcils à l'entente du nom familier dans un échec de dissimuler sa surprise. zana hysenaj... cet homme appartient donc à cette espèce, celle-là même qui se targue d'incarner l'Amour mais n'en est qu'une perversion. qu'il me regarde, donc, et de près. car il jouera le jeu, le piégera si c'est là ce que satya souhaite. ce n'est pas la compassion ou l'altruisme qui le motive à l'aider selon ces méthodes qu'il abhorre - il dirait qu'il s'agit d'un impératif, mais encore ? pas pour l'honneur, d'accord. au-delà du devoir, au-delà de la grandeur, il agira pour un demi-dieu dont il reconnait la loyauté, la droiture et par extension la valeur. ce sera donc un échange équivalent. afin de ne pas s'épancher ou se perdre, c'est ainsi que seraph se justifie convenablement l'amitié qu'il accorde sans la nommer. je l'attirerai, le mot ne lui plait pas, il évoque une fourberie indigne. mais contrairement à ce que satya pense, seraph n'est pas inatteignable, et le voilà tout entier, par ses éloges, conditionné à la guerre. zana hysenaj... il mérite qu'on l'abime un peu, tu ne penses pas ? ce joli visage, déformé par les coups : une consécration douce-amère pour sa beauté trompeuse. alors il saignera.