Quelques semaines, quelques mois… les jours se suivent et se ressemblent depuis ton arrivée dans l’élite. Tu jongles de membre en membre, cherchant ceux que tu peux influencer, ceux qui sont imperméables à tes charmes.

Une vue d’ensemble, c’est ça que tu veux. Partant de ce postulat, il est vrai que l’invitation du protecteur chez toi est… incongrue ? Inutile ? Tu es persuadée qu’il doit lui-même se demander ce que tu peux bien lui vouloir, toi qui ne sembles intéressée que par l’ambition de tutoyer les sommets. C’est une interrogation légitime.

Mais si celui-ci se pense discret… il ne l’est pas tant qu’il le croit. Tu as remarqué ses œillades, tu te sais observée. S’il est souvent muet comme une tombe ; tu ne le sous-estimes pas au point de ne voir en lui qu’un ignare bon pour envoyer au charbon.

Pourtant c’est un fait : être dans ses bonnes grâces ne t’octroie aucun avantage stratégique sur les  autres. Il ne t’offre aucune influence que tu n’as pas. Alors pourquoi ? Pourquoi l’inviter ?

Tu l’avoues, tu n’en sais rien.
Mais tu es impatiente de le découvrir.

Car si tu ne prends pas de risques, si tu n’oses pas quelque chose de nouveau, d’inattendu, comment peux-tu espérer surprendre ? Comment peux-tu espérer prendre les autres à revers si toi-même tu suis toujours le même schéma ?

Et qui sait.
Tu pourrais apprécier sa compagnie ?
Tu pourrais t’amuser ? Mieux encore : à ses dépens.
Oh, oui.
Quelle merveilleuse idée !
Tu frétilles d’excitation rien que d’y penser.

Enfin il fait son arrivée. Un silence et un regard. C’est tout ce qu’il est pour toi à cet instant. Tu ne sais ce qui l’intéresse, ce qui peut bien délier sa langue. Il est vrai que tu n’as pas choisi la tenue la plus affriolante du siècle. Un costume aux nuances rouge cerise, dont seule la chemise noire le protège du monochrome.

Te doutant que le voir ouvrir la bouche en premier est peine perdue, tu prends l’initiative :

— Bienvenue, Ellair. Entre, entre, je t’en prie.

Tu lui rends ses regards ; la différence étant que les tiens ne sont pas qu’inquisiteurs, ils sont aussi espiègles.

— Comment va notre protecteur, harassé par la lourde tâche de protéger nos jolis petits derrières ? Tu pouffes de rire, attendant une réponse qui très certainement comptera ses syllabes sur les doigts d’une main.

Le protecteur ne fera pas d’effort, tant que tu n’auras pas trouvé de quoi l’appâter. Si ton charme naturel et le petit coup de pouce donné par tes pouvoirs aident… tu sens qu’il t’en faudra bien plus si tu veux faire causer Ellair le patibulaire.

— Je t’ai promis un verre… mais je dois admettre que je ne sais absolument pas ce que tu aimes. Et comme personne n’a su me renseigner… je suis navrée, mais il va falloir que tu fasses bouger un peu ta langue pour me le faire savoir. Est-ce que tu peux me faire ce plaisir ?

Ta suggestion n’en est pas vraiment une, mais… tu soupçonnes qu’il le sait pertinemment.
 

Une onomatopée en guise de réponse ; un grand classique. Fut un temps tu aurais déjà perdu patience et l’aurait envoyé vaquer à ses occupations. Mais là ça t’amuse. C’est un parfait exercice de lecture entre les lignes… et une occasion de plus d’user de tes pouvoirs.

Ellair est avare de mots, certes, mais il se fourvoie lourdement s’il se pense illisible. Et tu en fais un défi personnel d’appréhender les émotions qui s’esquissent sur son visage, aussi subtiles soient-elles.  

Tu dois toutefois admettre que lorsqu’il prend la peine de répondre à ta question, il te rend service. L’homme sait ce qu’il veut, mais il prend garde à qui le dire. Tant qu’il est sur la défensive, tu n’obtiendras rien de lui. S’il tient absolument à mettre ta patience à l’épreuve… qu’à cela ne tienne, tu es prête.

« Un bon rouge » ; son petit commentaire t’amuse, tu répliques dans la seconde :
— Évidemment. Je serais bien bête de ne pas profiter des privilèges de mon statut.

Tu t’éclipses un instant, cherchant le nectar parfait pour ravir le palais de ton invité. Il n’est pas question de minimiser son statut en choisissant un vin bas de gamme. D’une part parce que tu vas aussi le boire, mais aussi parce que même en le taquinant, tu respectes sa position et son statut.

D’autant que si tu veux rentrer dans ses bonnes grâces ; ce genre d’erreur de débutante ? Sous-estimer quelqu’un ? Il y a quelques années peut-être, aujourd’hui c’est impensable.

— Quand on fait quoi ?

Tu ricanes, sert le vin dans deux verres avant de trinquer le tien contre le sien.

— Santé. Une pause le temps de le laisser répondre et réclamer : hm… navré, mais je suis bien plus attachée à la saveur que le taux d’alcoolémie dans mon verre. Tu vas devoir te contenter de ce que tu as.

À son tour de se montrer inquisiteur. Tu lèves les yeux vers lui, qui semble vouloir attirer ton attention vu comment il te regarde.

— Ça t’étonne ? J’aime en savoir plus sur ceux qui font partie de notre petit comité d’élitaires. Tu es un guerrier, Ellair ; tu ne vas pas me faire croire que le savoir n’est pas une arme qui compte dans un arsenal ? « Connais ton ennemi et connais-toi, toi-même. » Ça ne t’évoque rien ?

Tu pourrais aussi rajouter que connaître ses alliés est essentiel… mais tu n’as pas encore déterminé qui est qui au sein de votre petit groupe.
 

« Tu sais » ; évidemment que tu le sais. C’est même pour cela que tu t’entraines autant ; il ne faut rien laisser au hasard, à la chance. Si avec tes capacités tu peux influer, créer une différence, même minime, pourquoi te priver ? Plus encore, si l’enfant d’Ares y est sensible.

— Hm. Oui, je sais.

Une réponse à son image : peu de mots, mais pleine de sens. Ellair ne conçoit peut-être pas que se murer dans ses silences te donne encore plus envie de délier sa langue ; il finira bien par se rendre compte que c’est inéluctable.

Mais à la différence de certains où tu cherches des informations pour gagner un avantage, tu n’as besoin de lui pour rien, tu n’attends rien de lui. Il est légitime qu’il se demande alors : que fait-il ici ? Dans quel but l’as-tu invité ?

Il doit en être convaincu à force de t’observer ; l’enfant terrible d’Aphrodite a toujours un motif ultérieur à celui qu’elle annonce. Tu veux toujours quelque chose de plus que ce que tu prétends venir chercher.

Aujourd’hui, il s’agit là d’une rare occurrence où tu veux simplement profiter de sa compagnie ; espérant qu’il satisfera ta curiosité sans en attendre davantage. Ellair prend le temps de déguster, le temps de s’installer ; il semble que le breuvage ait fait forte impression… rien d’étonnant, c’est un millésime de ton choix.

Tu viens t’assoir à l’opposé de lui, profitant toi aussi du vin. Tu te retrouves surprise quand il relance lui-même la conversation ; tu peines à cacher un sourire narquois.

— C’est ainsi que tu te vois ? Inintéressant ? Tu fais mine de réfléchir, les yeux levés au ciel. Pour quelles raisons je m’interroge ? Parce que tu es fils d’Arès ? Parce que tu ne fais pas tourner ton caquet à plein régime comme d’autres le font ?

Si tu aimes entendre le son de ta voix, tu n’es pas vaniteuse au point de haïr les silences et les combler systématiquement. Il y a des mutismes qui sont bien plus parlant que n’importe quel discours. Ceux d’Ellair en sont l’exemple le plus probant.

— Tu cherches hein… mes raisons. Tu dois te demander pourquoi. Tu te demandes ce que je veux de toi ; probablement à cause de ma réputation. Pas un instant tu ne songes à mon envie d’une simple visite de courtoisie. Un sourire moqueur : j’en serais presque vexée.

Tes iris le scrutent, cherchent les réponses dans son faciès stoïque. Ils se délectent de l’incompréhension qui nait sur ses traits.

— Le vin est à ton goût ?  
 

Le besoin de savoir, freiné par ses vaines velléités de protéger son intimité. Tu ne sais si Ellair le fait par habitude par méfiance… peut-être les deux à la fois. Il croit sans doute que ses silences le protègent, avec quelqu’un d’autre oui, mais face à une fille d’Aphrodite ?

Tu as l’impression que lui arracher la moindre information, demande un effort surhumain ; t’armer de patience est la seule solution qui s’offre à toi. Mais tu dois l’admettre, ça peut vite devenir épuisant. Tu tiques néanmoins sur son aveu ; ce refus d’être le divertissement de ta soirée. Tu as en réponse un haussement d’épaules ; et de quoi le faire réfléchir :

— Et si les rôles s’inversaient ? Qu’est-ce que tu en dis ?

Jusqu’alors, cette idée ne lui a probablement pas traversé l’esprit. Tu en viens à te dire que tu ne serais pas contre… c’est déjà à toi de faire tous les efforts pour qu’il ouvre un peu le bec, autant qu’ils soient concluants.

Peut-être que l’assommer de questions n’est pas la bonne tactique. Tu te surprends alors à t’imaginer un scénario où ton avidité d’informations s’éclipse pour laisser sa place à un instant de détente. Tu sais que ton oreille trainera quoiqu’il arrive, que tu retiendras ce qu’il te dira, car c’est une seconde nature. Mais la pensée de ne pas en faire ton but ultime ; après tout, pourquoi pas ?

— Ah… et quel genre d’impression je te donne alors ? Je ne suis pas aveugle, Ellair, je remarque ces petits regards discrets sur moi ; c’est mon domaine d’expertise. Quant à sa question, elle t’amuse, alors tu satisfais sa curiosité : évidemment que si. Et pourtant j’ai fait le choix de t’inviter toi. Mystère, mystère.

Un petit ricanement mutin s’échappe de tes lèvres ; tu constates que ton verre est déjà vide alors tu le remplis. Ellair semble lui aussi satisfait de cette saveur qui a ravi son palais.

— Tant mieux. Si tu es sage, je te donnerai une bouteille, tu pourras la partager avec tes amis.

Tu n’insinues pas encore que tu en feras partie, mais… une fois encore, pourquoi pas ?

— Supposons un instant que nous soyons proches. Comme des amis. Tu en profites pour marquer un peu ton territoire et te rapprocher de l’homme. Supposons que tu veuilles te divertir avec cette amie. Tu sirotes le breuvage, puis tu reprends : qu’est-ce que je pourrais bien faire pour te distraire ?

Si l’on oubliait un instant tout ce qui pullule en toi ; ambition, vilénie, obsession, jalousie. Si ce soir tu décides soudainement de te plier à ces exigences plutôt que satisfaire les tiennes.

Pourquoi pas ?
 

Audacieuse et résolue. Ellair ne s’en rend pas compte, mais il te complimente. Tu n’as jamais rien connu d’autre que le trop. Les excès sont ancrés dans ta chair et ton âme ; tellement que tu vas jusqu’à renier la suffisance que certains portent en étendard de précaution. Toi, ça t’ennuie.

C’est aussi pourquoi le protecteur s’interroge et à juste titre. Ce moment que tu passes avec lui est inopiné ; il ne t’apporte rien d’autre que sa compagnie. Ellair ne te fera grimper aucun échelon comme l’inverse. C’est comme si en escaladant une échelle tu décides soudainement de t’arrêter. On peut l’envisager comme une façon de reprendre ton souffle.

Tu n’es pas aveugle ; tu vois bien que ton petit numéro l’intrigue malgré son air détaché. Le vin qu’il déguste est à son goût ; sinon il aurait affirmé le contraire. Ellair est brut, mais franc, il ne se cache pas derrière des mensonges ou des faux-semblants. Tu oserais même jusqu’à dire qu’il en est incapable, mais tu préfères penser qu’il n’en voit tout simplement pas l’intérêt.

Certains boudent et méprisent les machinations pour se focaliser sur le concret. Néanmoins, tu soupçonnes chez lui qu’il y a quelque chose derrière cette attitude un peu bourrue. Même s’il est prêt à soulever des montagnes pour te prouver l’inverse ; en atteste cette réponse inéloquente.

─ Combattre. C’est tout ? Tu ricanes.

Pas un instant tu ne le crois. Qu’il apprécie les joies des joutes, certes ; qu’elles en deviennent ses raisons de vivre ; à d’autres. Néanmoins, tu rentres dans son jeu, un maigre sourire aux lèvres. Tu te lèves de ton canapé pour aller te poser devant lui ; debout, les bras croisés.

─ Qu’est-ce que tu aimes le plus… frapper ou être frappé hm ?

C’est dit dans un ton qui se veut neutre, mais tes joues légèrement rosées peinent à cacher ton émoi. Tu dévoiles un embryon de tes vices au protecteur.

─ Je serais une piètre adversaire, mais je peux satisfaire l’une de tes envies si tu le souhaites. Tu pourrais… m’apprendre ?

D’un geste vif, ta main vient se saisir de son verre pour le poser sur la table basse. Une autre vient effleurer la sienne avant de l’attraper, guidant celle-ci jusqu’à ta joue, puis ta gorge.

─ J’ai mes propres armes qui diffèrent en tout point des tiennes. Nos centres d’intérêt divergent, je ne peux le nier… mais des chemins peuvent parfois se croiser sans pour autant se rejoindre.

Le sourire change ; il en devient aussi sordide qu’aguicheur. Tu ne ressens aucune attirance particulière envers lui… mais en fille d’Aphrodite, tu sais parfaitement persuader du contraire.

─ Alors. Frapper ou être frappé ? Qu’est-ce que tu préfères ?  
 

Dans l’expectative… tu attends, patiemment. Qu’il succombe totalement à tes charmes ou qu’il en montre seulement les prémices ; tu seras satisfaite de l’un comme l’autre. Une fois encore, tu ne ressens envers lui aucune attirance particulière ; tu veux t'amuser.

Tu n’as que faire de la vie si tu ne la dévores pas goulûment ; ton temps est compté. Profiter de ton existence comme du plus délicieux nectar, n’en laisser aucune goutte ; pas de gâchis et certainement pas de partage. Tu veux tout dévorer, tout consumer.

Lorsque tu sens sa prise se refermer ; la pression augmenter, tu ne réagis pas un seul instant. Seules tes joues se carminent de plaisir, profitant de ce moment où tu parviens enfin à amener le protecteur à oublier son rôle quelques secondes.

Ton visage s’assombrit lorsque sa poigne faiblit. Déçue, ta bouche vient le montrer dans une petite moue désappointée. Agressive, le ton monte :

─ C’est tout ? Quelle tristesse ! Incapable d’aller jusqu’au bout des choses. Ai-je un seul instant demandé ta protection ? Ai-je un seul instant montré un signe de faiblesse qui suggère que j’en ai besoin ?

Un râle de frustration alors que ta main vient chercher la peau de son visage, trouvant son chemin jusqu’à son cou. Incapable d’offrir la même emprise que lui, tu viens planter tes ongles, exerçant une pression qui s’accentue au rythme de tes paroles :

─ Techniquement… tant que je suis encore en vie, tu garderas ta place. N’aie pas peur d’abimer cette peau parfaitement entretenue ; n’aie pas peur de tuméfier ce merveilleux visage de coups. Ton facies se rapproche du sien, dangereusement. Ne me prends pas pour une demoiselle en détresse, enfant d’Arès… parce que si tu me sous-estimes, je vais te bouffer tout cru.

Un rire amusé, tu laisses une marque sur sa peau, une griffure en guise de souvenir alors que tu te redresses, rompant cette proximité pour venir boire une gorgée de ton breuvage. Une fois debout, tu viens donner un petit coup de pied dans la cheville du protecteur.

─ Ton métier est de nous protéger, alors apprend-moi à me défendre face à plus fort que moi. Divertissons-nous, fils d’Arès. Remplis ton rôle comme tu sais si bien le faire…

Tu es bien présomptueux si tu penses que les coups me font peur. Il n’y rien de plus pur, de plus délicieux que la douleur ; elle est le rappel constant que je suis en vie, elle stimule mes sens et anime mon âme. Abîme mon corps et souille ma peau de ce merveilleux carmin... protecteur.

Ta patience atteint enfin ses limites. Tu fonds sur le protecteur en agrippant sa tignasse noiraude d’une main ferme ; tirant sur celle-ci pour attiser les braises.

─ Frappe-moi, tu n’es pas fait pour réfléchir.

Un rire déformé par la vilénie alors que tu fais quelques pas de recul pour lui laisser suffisamment d’espace pour se relever. Tu accueilles à bras ouvert les impacts qu’il posera sur ton corps, folle d’excitation à l’idée que cette algie fasse bouillir le sang qui coule dans tes veines. Ellair n’a pas idée de ce que tu es… du mal qui te ronge.

Il n’a pas idée que tu embrasses ce mal, que tu en es l’esclave. Il se fourvoie lourdement s’il pense que tu crains ses poings et que tu te protègeras d’eux. Mais il est tout aussi certain que s’il le désire… tu lui rendras la pareille.
 
 

Tu as anticipé le coup, mais tu l’as laissé te heurter malgré tout. Tu accueilles la douleur avec un rire difforme, espiègle et lascif. Pas un seul râle de douleur, pas le moindre geignement lorsque son pied s’abat sur toi ; dans une violence caractéristique de son ascendance divine.

Ellair est un enfant d’Arès, dans toute sa splendeur. Tu te félicites d’avoir provoqué cet élan en lui, qu’il ait obéi à tes ordres alors qu’il perde enfin ce semblant de patience qu’il maintenait depuis tes premières provocations. Tu t’amuses déjà ce que tu es en mesure de lui faire ; prête à lui montrer tes propres armes.

Tu apprécies les coups… qu’il se retienne alors que tu as expressément demandé le contraire, pas vraiment. Tu te dis qu’il est de bon ton de lui enseigner une leçon qu’il ne sera pas près d’oublier. Les yeux larmoyants ; tu viens chercher son regard, la main levée vers lui, faisant mine d’implorer :

─ Non ! Arrête… par pitié ! Arrête…

Un visage faussement déformé par la peur de le voir se déchainer sur toi. Un petit coup de pouce de ton pouvoir alors que tu maquilles ta voix d’une supplique visant à avoir pitié de toi.

─ Aide-moi à me relever… s’il te plait…

Ellair est un enfant d’Arès. Il est sensible à ton charme et le semble tout autant à tes fausses démonstrations de vulnérabilité. Plutôt que de continuer à frapper, il s’interrompt et tombe dans ton piège. Quelques secondes pendant lesquels tu le vois perplexe, te laissant le temps de te redresser.

─ Naïf.

D’une impulsion de tes jambes, le sommet de ton crâne vient violemment percuter son menton. Juste assez de quoi le laisser à ta merci pendant quelques secondes cruciales. Tu as à peine le temps de le pousser de toutes tes forces pour lui faire perdre l’équilibre, allant attraper la bouteille par le goulot pour la briser contre la table basse.

Les morceaux de verres s’éparpillent sur le sol… pendant que tu fonds sur lui, l’arme de verre contre sa gorge, le tranchant contre la peau de son cou. Une pression suffisamment assez forte pour faire couler le carmin, alors que tu poses le tranchant contre sa veine.

Ton fessier sur son estomac, ton visage proche du sien, tu ricanes.

─ Je t’ai pourtant dit de ne pas me sous-estimer. Tu as tes armes, j’ai les miennes. D’ailleurs… tu frappes comme une fillette. Tu te redresses, laissant tomber le restant de la bouteille au sol, offrant une main au guerrier pour l’aider à se relever : je me suis bien amusé, Ellair. Quand tu veux, tu peux être divertissant. Mais ce sera tout pour aujourd’hui… protecteur. J’ai des visites à rendre et je dois être sur mes deux jambes pour cela. Sans rancune ? On remet ça quand tu veux.

Un avertissement du même acabit que le sien. Tu n’as peut-être rien d’un combattant comme lui… tu ne lui arrives pas à la cheville, c’est une certitude. Mais est-ce que tu t’avoues vaincue pour autant, non ? S’il s’impose des limites, toi, tu n’en as aucune.

─ Je vais te chercher une autre bouteille.
 

La colère déformant son visage t'est exquise. Il se doute à quel point tu es perfide, mais l’expérimente pour la première fois. Un simple aperçu, mais de quoi te présenter à lui de la meilleure des façons. Tu vois sa rage bouillante lorsque tu te relèves et lui tends ta main.

Tu t’attends à des représailles ; il ne faut pas longtemps avant qu’elles n’adviennent. Lorsqu’il se saisit de ta main pour mieux l’écraser ; la douleur est plus intense que d’ordinaire. Tu soupçonnes là un léger coup de pouce de son don.

Mais plutôt que de la craindre et la fuir ; elle te procure une fois encore un odieux plaisir lascif ; qui fait trembler ton corps de ton son long, carmine tes joues, cramoisies d’une euphorie incompréhensible. Dans ce simili de vengeance, il ne gagne rien. Tu n’es pas intimidée, tu accueilles la souffrance comme si elle était un remède à tous les maux ; tu ne peux dissimuler ce petit éclat de voix, ce soupir voluptueux qui s’échappe de tes lèvres. Puis un regard déçu lorsque soudainement il s’arrête.

Il t’attire à lui ; exprimant un désir de se revoir que tu espères sincère.

─ Bientôt.

Puis il te libère. Comme promis, tu vas lui chercher une autre bouteille, sans un regard pour les bouts de verre éparpillés un peu partout sur le sol. Tu reviens quelques instants plus tard, ton cadeau pour lui dans les mains. Tu constates que l’homme a pris le temps de ramasser les vestiges de votre altercation ; pourtant tu ne lui as rien demandé.

Tu lui tends la bouteille, un sourire mutin collé au visage.

─ Ce fut un plaisir, Ellair. Je suis rassurée de savoir que quelqu’un d’aussi compétent veille sur nous. J’ose espérer que tu honoreras ta fonction du mieux que tu le peux... bien que je me doute que tu as tes priorités concernant ton devoir de protection.

Tu marques une pause dans laquelle tu fais un pas pour te rapprocher de lui, le fixant dans le blanc des yeux. Pas impressionnée par sa stature alors qu’il pourrait te briser en deux comme une allumette. Il le pourrait oui… si tu étais dépossédée de ton statut.

─ Si tu gardes un œil sur moi… que tu me détestes ou non, je dois admettre que c’est le cadet de mes soucis. Nous n’avons pas besoin de nous aimer pour collaborer. Mais j’avoue avoir apprécié ta compagnie. J’espère qu’on se reverra, ne serait-ce que pour profiter du calme avant la tempête.

Un soupir.

─ Je te propose un petit arrangement, en gage de bonne foi. Si un jour tu as besoin d’une alliée pour résoudre un problème, tu pourras faire appel à moi. En échange ; j’ose espérer que tu me rendras visite dès que tu veux profiter d’un excellent cru.

Tu sais qu’à cet instant c’est la seule chose que tu peux lui offrir… et pourtant tu as l’intuition qu’il ne sera pas contre un petit coup de pouce ; ainsi qu’une autre bouteille.