Elle savait que cela n’était pas bien, elle savait qu’elle devrait s’éloigner, elle connaissait les supplications de la raison et de ses années sur l’île. Mais Mielikki n’était pas raisonnée, ni passionnée, ni rêveuse, elle l’aimait juste aussi tendrement que si elle l’avait vu naître.


Monstre humain, plus grand qu’elle, visage défiguré par des années à lui dire quoi faire, quoi penser. Luther.

Mielikki.


Une histoire qui n’existait que pour mieux se détruire alors elle le regardait derrière son verre, secouant le liquide carmin au creux du cristal. un thé d’Afrique du Sud, sans doute.

Elle ne boit pas d’alcool.

-Je suis contente de te revoir, merci de me recevoir alors que je viens un peu de nulle part. Je me suis faite une amie à New York, c’est plus aisé pour moi de venir te voir désormais.

Ses lèvres cousues en un secret méchant, un secret qu’elle ne désirait pas partager car elle savait que c’était une plaie inutile à Leila, à Quill, à l’humanité toute entière qui pensait qu’elle n’aimait qu’eux. Son coeur appartenait à ce qui se mouvait, homme comme monstre, tombés comme elevés, et Luther ne faisait pas exception. Premier monstre à l’avoir écouté, à vouloir qu’elle demeure à ses pieds et comme l’ombre fraîche d’un repos langoureux.

-J’ai vu l’Ange de Caucase se faire capturer, je suis désolée, je n'ai rien pu faire.

Se sentir coupable était plus aisé que de reconnaître que tu étais qu’une virgule dans l’infinité de ce monde.


-J’ai peur de tout ça, doit-on vraiment continuer sur cette route ?


Les lèvres tremblaient difficilement, l’angoisse de perdre la rendait fragile, aisément brisée et elle confiait un fragment de son existence à Lui.
Lui qui se rappellera d’elle comme d’une ombre vite effacée dans son immortalité.


 

Elle aurait tant voulu que le monde entier se voit à travers ses yeux, elle en aurait donné corps et lumière pour que chacun apprécie la tendresse d'un soleil couchant et la douceur d’un geste aimé. Mielikki lui souriait car comment ne pas sourire lui et sa gentillesse maladresse dispensée comme la main d’un père peu habitué aux remèdes et à l’affection.

Elle l’aimait et c’était cruel, injuste, grotesque, laid, incompréhensible.
Elle ne se battait désormais plus contre cet état de fait car enlacer le monstrueux rend le monstre humain.

Au fond de son thé, le marc rougissait sous les reflets de la journée entamée.

-Je te suis reconnaissante de ton hospitalité, laisse moi te rapporter encore une fois des choses que tu aimes pour te remercier.

Elle tournait la main, laissait le bout de ses mains reposés dans le creux. Il était glacé, elle était brûlante, et le contact était tiède.

Apaisant presque.

-Tu me complimentes trop, je suis tout à fait ordinaire, ma mère et mon père sont mortels, je ne suis pas une des douces nymphes mais merci. Si tu trouves ainsi, j’aimerai danser pour toi.

Elle but un peu, avalait la tristesse quand il annonçait la promesse du massacre de ce troupeau béni, de ce troupeau fait et écrit par les moires pour la guerre et ses enfants. Mielikki voudrait pleurer mais elle savait que ses larmes ne pouvaient réparer que les fissures de ceux qu’elle offensait.
Et elle n’avait offensé personne.


Luther était de ce sérieux absolu, les choses du monde contenues dans son ton. Il ressentait ce qu’il disait, jurait de mener cette Révolte contre les lois du monde.

-C’est comme ça…un monde de paix existera que dans mes songes, je le sais très bien. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser à toutes ces femmes enceintes de demi-dieux, à tout ces pères bénis par cette progéniture divine, à tout ce temps utilisé, à ces rêves, à la douleur confinés dans chaque enfant et que ces enfants deviendront adultes, des adultes fait pour la guerre, fait pour la violence, fait pour tuer des êtres comme toi. Des monstres… Ne le prends pas mal Luther, je t’en prie. Le monstre est l’être contre nature, l’être qui échappe aux règles des choses et du monde, le monstre est formidable. Vous êtes formidables mais vous devez être si fatigués, si fatigués d’exister et d’attendre les Dieux ou vos pères, ou une solution, n’importe quoi. J’ai tellement de peine pour vous… vos buts sont si sembables mais si loins. Au fond, tout le monde veut juste vivre.

Rebrunie, assagie, elle lui sourit avec toute la tristesse de cette mère à l’hymen déchiré, cette vierge assise là les bras encombrés des cadavres et d’un coeur compatissant envers ceux ayant ravagés sa cité.

-J'aimerais pouvoir les protéger tous, tu le sais très bien. Ne tue pas ce que tu n’as pas besoin de tuer, cela est tout ce que je me sens dans l’obligation de te demander. Maman est une divinité neutre, une divinité qui veille sur tous, tant que vous avez un feu sur lequel vous reposez elle sera là. Ne détruisez juste pas ce feu, je vous en prie. Je t’apprendrai à le garder si un jour, je dois partir de l’île. Tu me garderas à tes côtés et je vieillirai là bien gentillement à cuisiner et à entretenir le feu. Cela serai charmant.

Elle riait presque, l’idée était saugrenue mais si douce.


 

Avec douceur qu’il parlait, prenait ses songes entre ses mains abîmées pour les rendre tendres. Miel voulait croire en ce futur où il lui apprenait à danser et où elle apprenait à apprécier la lueur d’un soleil couchant sur ses peines. Luther lui chuchotait l'égoïsme salvateur sous la maladresse de son comportement et elle lui souriait de ses yeux et de son visage.

Il souriait aussi et le monde parut enfin à Miel du plus délicat rose. Elle voulait croire que les hommes avant elles ont pu connaître ces instants, croire qu’elle n’était qu’une parmi des milliers à avoir pu être aimée mais elle le savait que cela n'était qu’un rêve de misère. Mais elle voulait rester auprès de lui, pour lui montrer toutes les couleurs du couchant et du levant. Quel amour indolent, indélicat même, un amour fraternel et éphémère face à l’éternité de son corps.

-J’ai très hâte que ça arrive Luther, vraiment. Est ce étrange de dire que je souhaite croire en toi ? Croire qu’un jour, on pourra rêver les yeux ouverts de notre réalité ? J’ai envie qu’on danse ensemble et que je t’écrase le pied, et que je m’excuse jusqu’à en perdre le souffle et que tu me dises que cela n’est rien. Qu’on rit de moi et avec moi, que tu ris de moi et avec moi, que quand tu reviens fatigué de la vie, je puisse t’écouter?

Hestia ne lui en voudra pas à Miel, elle humanisait les envahisseurs, faisait d’eux des êtres à la tendresse soluble. Si par sa présence, elle épargnait un des enfants des dieux, alors elle n'aurait plus jamais peur.


-Nous sommes les outils des immortels, Luther. Peut-être pas moi, pas les enfants d’Hestia. Mais les autres, oui. Hercules a été crée pour supporter la force de Zeus, Orion a été crée pour tuer Typhon. Nos chairs sont faits pour abriter l’infinie force et pour disparaître l’instant d’après, nos existences ne sont faites que pour vous détruire vous. Ils auraient trop peur de vous sinon, ils auraient trop peur de perdre. Mais ils peuvent…ils peuvent se permettre de nous perdre nous.


Les sanglots rendaient sa voix inégale. Cruelle. Alors elle reniflait, poussait les larmes au fin fond de son cœur.

-Oui, Luther. Je te suivrai jusqu’au tartare si il le fallait. Tant que je crois que demain sera plus beau qu’hier, tes frères et tes sœurs ne me feront pas peur. Veux-tu de moi à tes côtés Luther? Je suis faible, sans pouvoir, sans divinité, je sais juste pleurer et prier.


Et la guerre est la raison de sa présence car si le père Hoover n’était pas mort au fin fond de l’Iran, si tout cela avait été autre…

Le passé était fini, le présent était une excuse et le futur était une douleur.

 

Miel ne connaissait pas le Mal ni le Bien, elle ne connaissait que la Douleur et l’absence de Douleur, la majorité de l’une rendait l’autre amorale ou vertueuse, du moment que personne ne souffrait, personne n’était dupé, personne ne trahissait. Personne n’avait besoin de se réveiller la nuit, les yeux alourdis par la sérénité de la paix.

Elle y avait réfléchi, s’était dévouée à l’analyse de la morale pour n’en jaillir que cette persistante résolution que faire souffrir était odieux. Mais que souffrir était nécessaire. Devons-nous atteindre l’absence de douleur pour être heureux ? N’était-elle pas très limitée ? Elle qui pardonnait à l’Ange de se repaître dans les corps de ses frères, Elle qui pleurait pour Luther et qui voyait en lui un précieux ami. Confuse par l’univers entier, elle entendait les mots dans le creux de sa tanière, roulant sur sa peau.

-Prêtresse ? Moi ?


Les larmes commençaient à sécher sur ses joues, croûtes de sel et d’espoir sans gloire.
Puis les termes s’installaient en elle, les images de la même traînée de cenesthesie contraire en son âme mouvementé invoquaient des sensations. Elle voyait sous ses yeux clos les jardins ordonnés, les enfants rire sous la protection de Luther et le feu chaleureux crépitant dans ses paumes dantesques.

-Tu parles comme si tout cela était déjà fait, déjà prêt à être fait. J’ai envie de te croire, Luther, j’ai envie qu’on change les choses, qu’on offre aux monstres et aux hommes la possibilité d’être plus que ce que les moires nous infligent à être.

Alors elle tendait les mains, touchait la sienne, bloquait les souvenirs de ses vies sous le bout de ses doigts, inspirait.


Parce qu’elle sentait que sa nature divine hurlait, sacrilège.
Elle devait être la proie et lui le prédateur,
Mais elle serait le lapin assis au milieu des griffes du dragon.


-Laisse moi te donner mes larmes et mes prières alors, je porterai le feu pour te réchauffer et tu auras mes pensées. Je veux que tu sois-

Heureux,
Bienheureux,
endormi dans les arbres et les forêts,
à respirer la joie que tu as aidé à créer.


-mon guide.

Elle en avait déjà un, de D.ieu.

-Et nous nous promettrons sur le Styx de respecter nos vœux mutuels.

Car elle voulait sentir au creux de son âme la trace de Luther, que ces instants ne soient plus volés.


 

Cela n’a plus d’importance désormais, plus d’importance aucune. Comment parvenir à être dans le monde sans choisir ? Miel ne désirait plus choisir. On a toujours choisi pour elle après tout, on a choisi pour elle la vie plutôt la négligence des enfants morts là, on a toujours choisi pour elle la chaleur de l’amour plutôt que les braises de la haine.


Miel n’avait jamais eu aucune importance, elle n’était que la déesse des feuilles tombées et de ces instants minuscules. La déesse des fourmis écrasées par des enfants laissés seuls, la déesse des mères cuisinant, la déesse des pères endormis, la déesse de rien du tout. Et cela lui allait.

A sa façon, elle a toujours été égoïste. Mais personne ne lui a jamais dit, personne n’a jamais vu en elle plus que cette sympathie gauche et cet amour sans forme dont elle débordait. Et dans les yeux de Luther, elle voyait l’avenir juré. Elle voyait le dragon endormi dans les herbes tendres pendant que le coucher d’un soleil capricieux nappait ses écailles d’un orange timide. Elle voyait les crânes sur lequel il posait la patte et elle n’avait pas peur.


Car elle se haïssait trop pour ça.


Si elle devenait sa prêtresse.


Miel avançait la main vers lui.


Si elle devenait sa prêtresse.

Miel blottit sa main dans le creux de la sienne.

Si elle devenait sa prêtresse, peut-être qu’elle pourrait faire quelque chose.

Pour les demis-dieux, pour les monstres, pour son âme écartelée, pour son coeur inutile, pour sa morale d’un gris teinté. Elle était devenue rien du tout.

-J’accepte ton serment, et prends le mien. Je jure sur le Styx de demeurer à tes côtés et de t’être fidèle.


Pas au Lotus, pas à la mort, mais à lui.

Elle ne se ressentit pas différemment, elle ne considérait pas changer mais elle savait qu’elle avait commis un crime.

Cela n’avait plus d’importance désormais, elle n’en avait jamais eu.
Elle contemplait Luther, fouillait dans ses yeux millénaires pour extraire ce qu’elle pouvait ressentir pour lui. L’aimait-elle ? Le respectait- elle? Elle voulait lui dire quelque chose de tendre, quelque chose de vrai, mais les us n’aimaient guère les mots qu’elle voulait prononcer.

Alors de ses yeux pleins de larmes, de sa voix de brise d’été, elle lui dit

-Merci.

Parce que cela était vrai et que la gratitude provenait de son être.