août ※ arbre méduseAux prémices d’un morne après-midi c’est de coton que s’était habillé le ciel blanc ;
Il filtrait une lumière blafarde et claire au travers des buis et des feuillages des grands arbres mais c’est sous le plus imposant de tous ceux du bosquet que l’enfant de la Mort avait déposé son pas.
A l’Arbre Méduse son foyer, elle s’était laissée aller à une contemplation silencieuse, dérangée parfois par l’une ou l’autre brise.

Mais comme s’il était question de la contrarier, le silence se meut en un rayon de soleil à arracher la rétine ;
Jayden se fait incandescent, dans un bruit propre à son extraversion ;
Et Simca lui adresse un froid sourire.

Qui t’a fait croire que tu pouvais m’adresser la parole ?

Elle penche la tête et mime un rire en silence ;
Secoue une main devant son visage comme faisant s’éparpiller les mots qu’elle venait d’échapper.

Je plaisante, je plaisante.

Perfide, le regard transperça le visage de l’autre, jaugeant l’importance de conserver quelconque amabilité en sa présence. Simca peinait parfois à maintenir des apparences.

Je me porte bien. Que voulais-tu me dire que tu as interrompu ta réflexion pour venir me voir ?

août ※ arbre méduseDes incrédulités s’étaient articulées sur le faciès curieux, le regard grand ouvert pour attraper de ses pupilles comme des trous noirs les vecteurs invisibles de ses manigances.
Pourtant, à bien y regarder, Simca ne semble soustraire aux actions de Jayden aucune intention sous-jacente, sinon celles qu’il lui exposait.
Quels diables avaient pu murmurer à son épaule que connaître l’enfant de la Mort était un plaisir dont il fallait s’emparer ?

Jayden…

Le sourire qui s’étire est pincé dans une mine inquiétante ;
Les pensées qui prennent place sous son crâne morbide sont tout à coup peintes des couleurs des cimetières et des cadavres.

Tu essaies de m’inviter à prendre un verre avec toi ?

Sordide est le rire qui sonne à ses lèvres ; à sa gorge ouverte ;
Elle imagine ouvrir celle de Jayden en y plantant des ongles acérés et le recoudre comme sa poupée.

N’as-tu pas peur de ce que je pourrais glisser dans ton verre ? Je ne suis pas vraiment une fréquentation recommandable, tu ne crois pas ? Je n’ai pas beaucoup d’amis, ce n’est pas une information infondée.

Les menaces se font tendresses sous les longs cils noirs.

août ※ arbre méduseLe sourire qu’elle affiche est pincé comme tenu par des fils de marionette.
Les pupilles se dilatent sous le poids d’un plaisir qu’elle ne cherche même plus à camoufler ;
Des couleurs roses grimpent au haut de ses joues laiteuses.

Un rire glousse tendre et de toutes les lueurs noyant le regard elle eut choisi celles qui parlaient d’amours.
Venait-il de la défier de le faire ?

Eh bien - puisque tu as l’air si sûr de toi, Jayden, je t’en prie.

Elle tend une main vers lui.
L’invite à lui offrir son bras - sa main - qu’importe ;

Je te laisse m’emmener où tu souhaites m’inviter.

Un regard malice sous des longs cils noirs.
Les fantômes rient tout autour.
Elle glisse sa main au bras de Jayden alors, et lui emboîte le pas.
Quittent l’arbre méduse d’un pas de promenade - sans empressement.

Quitte à boire aujourd’hui, arrange-toi pour m’emmener où ils servent de bons cocktails, hm ?

Simca préférait le thé à l’alcool, à dire vrai ;
Mais dans les couleurs phosphorescentes et criardes des jus de fruits et le brûlant des liqueurs, elle trouvait un certain réconfort - une certaine immunité.

août ※ le Fury, un bar de l'Atè DistrictElle glousse idiote.
Le pas virevoltant ; flatte du bout de ses pieds le sol comme flottant au-dessus.
Les malices dans le regard se moquent avec tendresse ; les meilleurs bars au sein du Nomos disait-il.
Elle ne relève pas.

Eh bien, si ce n’est que ça, j’en connais un très bien ! Par là -

Elle indique une rue ; puis une autre ;
Ils avancent au rythme des balades.

Arrivés au coeur d’un bar de l’Atè, passés la porte à peine, un regard s’échange entre ce qui semblait être le patron et Simca.
Elle penche la tête vers Jayden.

Va nous trouver une table ; je te ramène à boire. Tu me fais confiance ?

Le regard pétille.
Elle le laisse s’asseoir.
En se penchant sur le bar, elle salue le patron sans s’épencher de trop ; montre “deux” de ses doigts ; un rire à nouveau prend possession de ses lèvres.

Lorsqu’elle revient à la table qu’a déniché Jayden, c’est avec deux verres à cocktail aux couleurs pétantes.
Deux verres orange.

Ils l’appellent le nectar.

Elle s’asseoit à la table.
Lui adresse un sourire.

Tu voulais apprendre à me connaître, tu disais. Voilà la première étape ; mon cocktail préféré, le Nectar. Un des cocktails phares du Fury.

Lève son verre pour trinquer avec lui.

[santé, glouglou]

Simca, déjà, n’écoute plus les mots qui s’écoulent des lèvres de Jayden, qui deviennent incohérents.
Elle écarte un sourire candide.

Jayden ?

Le regard ne le quitte plus ;
Les paupières de Jayden s’abaissent ;

Oh, ta vue va se troubler, mais ne lutte pas trop, ça rendrait le réveil plus douloureux…

Elle pose un coude sur la table, adresse une oeillade rapide au patron du bar.

Fais de beaux rêves, Jayden. On se revoit dans une heure.

***

Les poignets de l’enfant de Niké sont liés dans son dos.
Assis sur une chaise en métal et attaché à celle-ci ; le siège grince à chaque mouvement - chaque rotation de ses hanches ou de ses épaules - couine sous le poids du demi-dieu encore sonné.
Simca est installée sur la table en face, assise confortable les pieds dans le vide, les deux mains posées sur son genou droit.

La pièce est austère - lugubre - une lumière blanche blafarde pleut depuis un plafonnier de mauvais goût.
Une ancienne réservé - désaffectée peut-être pour des raisons d’humidité à en croire l’air moite.

Simca s’allonge sur la table, le regard poind au plafond.
Et lorsque les paupières de Jayden se rouvrent, qu’un grognement paresseux gronde dans la gorge, Simca sourit.

Ah ! Merveilleux..

Elle se redresse assise.
Le corps en avant, lui adresse son plus joli sourire.

Je commençais à m’ennuyer. As-tu bien dormi, mon agneau ?

août ※ le Fury, un bar de l'Atè DistrictImpassible est le sourire ; mue par aucun sentiment visible, l’enfant de la mort reste en silence pendant d’interminables secondes alors que les yeux tombent à sa silhouette pitoyable.

Parce que je peux, évidemment !

Plus aucun rire ni ne traverse les lèvres ni ne gronde dans la gorge ;
Elle balance ses jambes d’avant en arrière et dans l’air et le silence, fantasme une mélodie qui s’invite sous le crâne sans qu’aucun son ne soit produit.

J’ai essayé de te prévenir, mais tu as insisté pour me connaître, Jayden, alors j’ai préféré te montrer ; tu vois, je ne suis pas bien pudique.

De pudeur elle débordait à dire vrai ;
N’exposait habituellement pas ses travers si ouvertement - cela avait démangé les doigts, les lèvres, les cils - lorsqu’il avait dit “tu ne le ferais pas”.

Quel dommage, pas vrai ? Que Hébé nous ait bénis. Maintenant, il faut les tuer plusieurs fois pour qu’ils viennent me hanter.

Des fantômes occupent la pièce dont l’air devient froid ;
La lumière du plafonnier clignote lugubre.

Tu ferais un ennuyant petit fantôme - bruyant et trop bavard. Mais cela s’éduque, les fantômes comme ça ; et à regarder tu n’es pas désagréable.

Elle se lève de la table, se penche avant vers Jayden.

As-tu peur de la mort, Jayden ?

Comme un écho à leur premier échange ; leur première discussion ;

Qu’as-tu accompli, si elle devait survenir aujourd’hui ?

août ※ le Fury, un bar de l'Atè DistrictElle écoute, sans âme, la voix de Jayden s’élever insipide.
Elle se mure dans un silence, les lèvres scellées et le regard froid levé au plafond et les poutres de bois qui soutiennent le sol de l’étage.
Il flotte une odeur d’humide et de rassis dans la pièce.

Aucun sentiment ne traverse la poitrine.
Aucun sentiment ne semble habiter les mots qu’il prononce.
Aucun sentiment ; jamais ; froidement ;
Simca se sent être la mort pour de vrai et la sensation la lasse.

Mon pauvre Jayden.

Elle dépose un regard haut sur lui.

Tu es d’un ennui…

Il persiste une forme de tristesse dans le regard ; une déception peut-être.
Simca se retrouve face à elle-même, comme seule intervenante de la pièce.
La pièce de théâtre est mauvaise.

Est-ce là tout ce que tu as à dire ? Je n’ai droit à aucun éclat de colère, aucune véhémence ? Tu te réveilles drogué et attaché à une chaise, je te menace de te tuer, et tu restes de marbre ? Moi qui espérais te faire ressentir quoi que ce soit, me voilà face à un cadavre plus convaincant que moi encore. Même mon frère est plus intense, tu sais ? Et on parle de l’enfant dépressif du maître de la mort.

Elle hausse les épaules.

Je songe à te laisser là. Quelqu’un finira bien par te trouver. Mais tu peux aussi me supplier de te relâcher tout de suite, histoire que tu n’ais pas à espérer pendant des heures que quelqu’un remarque que tu as disparu. Je te laisse essayer, hm ? Supplie-moi.

août ※ le Fury, un bar de l'Atè DistrictBien sûr, que je veux te détacher, Jayden !

Elle écarte les bras, convaincue certes, mais pas plus encline à le faire ;
Ce qu’il lui dit, elle le sait déjà.
”Nous sommes dans le même camp, tu veux me détacher” ; étaient déjà ce que Simca pensait, au fond d’elle, et ça ne l’avait pas empêchée.

Mais tu te fourvoies complètement, mon joli ! Je ne t’ai pas attaché pour te faire du tords, je ne t’ai pas enfermé motivée par une quelconque ambition de te soumettre. Tu n’es pas mon ennemi, tu ne l’as jamais été, je ne t’ai même pas considéré une fois comme une menace.

Il y a une tristesse dans le regard.
Une lassitude, peut-être.
L’Enfant de la Mort éternellement incomprise ; éternellement seule au fond d’elle-même et désespérément hurlant à ce qu’on la fasse vivre.
Il y a de l’amer au bord des lèvres.

Tant pis, Jayden.

Elle inspire ;
Gonfle ses poumons.

J’espérais qu’on se serait compris.

Elle se lève de son perchoir, et elle détache les liens qui retiennent Jayden d’un seul mouvement bref, las.

Pars, je ne veux plus te voir. Et ne t’avise plus jamais de prétendre vouloir “apprendre à me connaître”. Tu n’es pas prêt, pour ça.