quand il avait été ramené chez lui, d’abord, il s’était lavé. c’était machinal, presque, il l’avait fait sans penser - à vrai dire, il ne pensait plus vraiment. il ne savait pas grand chose, en savait sûrement trop : il savait, la réalité de la mort, la réalité de la condition qui l’avait rattrapée trop vite, que le sang qu’il avait par le passé fait couler de ses mains avait la même apparence que celui qu’il s’efforçait désormais à faire disparaître de sa peau, de ses vêtements, et pourtant il cernait l’horreur dans les couleurs familières, et se demandait si elle avait toujours été là. dans le miroir il s’était vu, ou c'était le visage de la bête, il ne sait plus : je vais te traquer, est-ce elle qui le hurle, est-ce lui qui le murmure ! ça n'a pas d’importance, dans la glace les gueules portent encore les traces de l’ichor des morts et c’est une vue trop obscène, il s’écarte.

propre enfin, il s’était donné les airs habituels, avait cherché à se tenir dans ses routines avec la même noblesse qu’il portait toujours, et c’est en s’imaginant sans elle, quelques heures auparavant, en se voyant inutile, impuissant, qu’il l’avait perdue, avait laissé des larmes tomber sur l’écran de son téléphone sans accepter qu’elles puissent couler ainsi. j’ai rien pu faire, il l’écrit, et donc, je n’ai pas le droit de pleurer ! alors il se lève, accepte la proposition de son amie comme un recours aux sanglots - il ne veut pas s’y noyer seul.

il avait couru, fuite à la réalité : c’est le milieu de la nuit quand elle lui ouvre sa porte. la clarté le frappe ! il ne sait pas si c’est la lumière de l’intérieur ou la présence de leïla qui lui paraît si étrange, les deux contrastent tant avec sa torpeur mais le fait, dans sa récurrence ordinaire, le réconforte doucement - il n’a pas le temps de s’en rendre compte qu’il est déjà dans ses bras, et c’est en la serrant à son tour, moins fort certes, qu’il comprend toute la nécessité de ce soutien là.

”moi aussi.” je suis soulagé, c’est impliqué, soulagé de la voir, soulagé de la savoir en vie, de la savoir loin de ça, de la savoir près de lui ! c’est impliqué, c’est soufflé tout bas, c’est inhabituel et pourtant c’est tout aussi sincère que les cris - l’étreinte est le sourire qu’il n’a pas pu lui adresser, celui qui voudrait sécher ses larmes, retient les siennes. il ignore les excuses - pense qu’elles devraient venir de lui mais préfère les taire encore, parce qu’il ne les pense pas non plus encore pleinement, que “désolé” ne suffit pas, qu’il ne peut les adresser à personne ! et qu’il commence à trop penser, alors il s’écarte, et la regarde seulement.

”c’est gentil de ta part.”

il se met à haïr l’inconsistance de sa propre voix - il lui manque l’enthousiasme dont il aimerait faire preuve mais il ne sait pas le forcer, accepte douloureusement qu’il ne peut plus faire front digne, qu’il s’est un peu trop laissé tomber dans l’étreinte et que son dos n’est pas tout à fait droit. c’est avec cet amer constat qu’il rentre pourtant comme à son habitude, s'assoit sans vraiment faire attention sur le premier siège qu’il trouve.

”désolé, j’ai pas beaucoup à raconter, en fait.” j’ai l’impression d’être mort, je crois. ”je suis en vie, c’est déjà ça.” oui, eux sont morts, pas moi.

il souffle.

”je peux avoir un peu de thé ?”

avançons, normalement - j'aimerais être capable, au moins de ça.