aurore leïla: "née pendant la nuit". elle pleure à peine, sourit presque tout de suite. et l'amour, fulgurant, de la mère qui a donné la vie en ermite. dans un silence crépusculaire, elle berce l'enfant déjà endormie (comme épuisée d'être venue au monde).
chez les voisins, le murmure des rumeurs : on dit qu'elle a pactisé avec le diable ou qu'elle a prié la bonne étoile, elle qui n'a jamais été vue avec un homme. si les têtes se sont toujours tournées sur son passage, les regards accrochés par son éclat, les a priori la condamnent à demeurer inaccessible.
et cette tendresse qu'elle n'accorde à personne, elle la déversera toute entière à sa progéniture.

matinée le rire carillonnant de la fillette comble les silences, épate tant il est fréquent et communicatif. cette joie a quelque chose d'égoïste : elle ne laisse la place à aucun partage, n'est réservé qu'à la mère qui dessine les contours de son monde.
l'épicentre de ce monde, c'est l'atelier, dans lequel les yeux, écarquillés, intiment aux mains maladroites de tout toucher, tout saisir. à la vue des outils, un tremblement, un appel du fond de l'être - et quand elle s'abandonne à l'élan créateur, le tumulte du temps s'endort; lac à la surface immobile.

averse dans un de ces flottements où l'existence semble suspendue, le murmure avait rompu la tranquillité: il est temps. et les gestes maternels, attelés à démêler la chevelure sauvage, s'étaient fait distraits. le lendemain, leur départ fut discret, et s'il ne passa pas inaperçu, personne ne vint dire au-revoir.
la clameur de la ville anéantit la quiétude des campagnes, réduites à des bribes oniriques, déjà regrettées. mais les questionnements enfantins ne se sont heurtés qu'à des semblants de réponses et des allusions évasives.
le visage collé contre le hublot, elle observe la terre d'algérie s'éloigner jusqu'à n'être plus qu'un point sur la surface de la planète. l'amérique lui déplaît, l'anglais lui est épineux et les visages étrangers.


tu seras à ta place, tu verras.
mais c'est qu'elle ne s'est jamais sentie autrepart qu'à sa place, et c'est qu'elle n'aime pas cette promesse inquiétante - et l'existence de ce père jamais rencontré lui semble bien abstraite et imperceptible.
la main de la nymphe est douce et tiède, rassurante, sa voix réconfortante, envoûtante, mais pas assez pour détourner leïla du visage de sa mère. jusqu'à franchir l'isthme, elle ne la lâchera pas des yeux; la conviction d'un coeur déchiré, dont la moitié serait resté de l'autre côté, la hante et noie son corps de larmes brûlantes et infatigables.

en compagnie de ses demi-frères et demi-soeurs, elle se fait hérisson - et le temps n'a plus rien d'un lac immobile qui reflèterait les astres; il s'écoule sans rien laisser paraitre.

éclipse quand elle apprend la mort de sa mère, c'est un jour comme les autres. elle ne l'aura jamais revue : l'ombre de ce tourment se met à lui emboiter le pas.
le reste est lointain, dérisoire.
seule, elle suffoque du vide, somatise;
entourée, se rabat sur les excès (entre fous rires et crises de nerf, de la promiscuité passionnelle aux reproches acerbes). fragile, elle chute, souvent, s'écorche les genoux sur des talons trop hauts, regrette, se sent faiblir à nouveau.
inéluctable est le temps qui passe et engloutit tout sur son passage, océan de force tranquille.

éclaircie le parent divin se fait connaitre au détour de sourires gauches et de silences maladroits. si leurs conversations sont rarement longues et loquaces, elles se montrent d'une simplicité rassurante.
ce semblant de famille retrouvée la met sur oxygène.

quand elle quitte le camp, elle comprend ce que voulait dire la nymphe : elle ne sera nulle part davantage à sa place.

azur à l'image du misanthrope, elle pense parfois à traverser le désert (océan, désert, deux noms pour une même chose - sous le ciel astral, étendues bleues à perte de vue).
elle n'en fait jamais rien.

la surface du lac reflète le ciel à la quasi-perfection : cette vision l'allège, l'apaise. quand elle s'y est installée, c'était dans l'espoir que le temps l'imite et reprenne son cours placide. absorbée par ses machines, l'esprit léger, elle cesse enfin de voir le monde tourner.