La petite graine avait germé dans l'esprit de Moon-Lee, et d'une simple idée lancée dans les flots infernaux - était née une entreprise, une réaction en chaine que désormais personne ne pourrait arrêter. L'idée s'était échouée, bulle d'écume, aux pieds de Divine de Guisé, alors même qu'elle fixait l'horizon, à quelques souffles de l'Océan. Cecil ne l'avait pas vu de ses yeux, mais il avait ressenti ce qu'elle avait ressenti.

Quelque chose n'allait pas au sein de cette île.
((Quelque chose n'allait pas au sein de lui))
Mais il ignora cette seconde vérité, apaisé.

Il avait attendu, attendu - le coeur en émoi depuis le conseil d'urgence. Il avait vécu la guerre et pleurait en silence, chaque soir, de ne pas saigner de nouveau. Les traitres étaient pardonnés, la sécurité n'était pas une priorité, et Cecil se demandait quand est-ce qu'on allait enfin commencé à l'écouter.

Si personne ne désirait trembler face à ses menaces, alors il s'occuperait lui-même de purifier celleux portant atteintes à son confort, à ses règles et à son masque.
C'était avec honneur et détermination qu'il attendait celle qui se faisait appeler Divine. Il était curieux - tellement curieux qu'il en oublia de la saluer et s'empressa de demander, la tête penchée sur le côté.

Est-ce ton vrai nom, Divine ? D-i-v-i-n-e. Je l'adore.

Il ne s'éparpilla pas d'avantage. Le soleil de l'après-midi faisait pleuvoir des perles de sueurs le long de ses cheveux d'or, et il se pencha en avant pour échapper aux caresses sur son épiderme déjà fragile. C'est que sa peau avait déjà léché le feu.

Moon a parlé. Je vois. C'est bien.

Il transpirait l'orgueil, quand bien même ses sourires étaient fins et délicats.

Tu as du entendre bien des choses de la part de mes ex-compagnons. Ils parlent sur moi, encore et encore... ils ne se lassent jamais de me salir. Laisse moi te rétablir la vérité : tout ce qu'ils crachent sur moi est sûrement réel. Mais j'en avais assez d'être dirigé par un chef qui n'en as pas les épaules. J'en avais assez d'attendre qu'ils prennent des décisions nécessaires ! Je suis parti pour construire ma vision. Ça n'a pas plu.

Il joignit les mains, enfant sage. Ce n'était qu'une façade.

Le conseil a parlé. Nous allons choisir, d'ici quelques semaines, des émissaires pour nous battre à l'extérieur. Mais nous n'allons pas châtier les traitres, nous n'allons pas venger nos morts.

Divine n'était pas celleux qui alimentaient l'orgueil du juste, ni de celleux qui valorisaient la valeur du fort. C'étaient les résultats qui l'intéressaient - et la pudeur qu'on accordait à ses ambitions. Cecil avait eu besoin de quelques minutes pour analyser son discours et sa posture, de sorte à se caler humblement sur ce qu'elle attendait. Il n'avait pas ciller ; ses épaules demeurèrent droites et nobles. Il la scrutait d'une lueur pétillante, qui trahissait vaguement une malice et une curiosité presque déplacées.

Il ne se laissa pas pour autant démonter. Il accueillit les paroles de Divine, ne s'en formalisa pas - il n'était après tout qu'un homme comme un autre face à la fille illégitime de Zeus, même s'il possédait quelque chose qu'elle n'avait pas : la reconnaissance d'un Dieu, au moins un. À la voir, il n'était pas certain qu'elle l'attendait encore, elle avait dû devenir Divine à sa manière, sans père.

Sauver les vivants...

Cecil était persuadé que pour protéger l'intégrité de l'île, il fallait débusquer les traitres à la racine, les punir pour montrer l'exemple et dissuader quiconque essaierait de s'allier à la race des monstres.

Il n'était plus question de fermer les portes car ils trouveraient le moyen de sortir quoiqu'il arrive. Il fallait se former à combattre, dénoncer les comportements suspects pouvant mener à un massacre. Mais le conseil était buté : il préférait s'absoudre de telles mesures, aussi extrêmes étaient-elles, plutôt que d'agir pour le bien de tous.

Si mon chemin doit être tracé de sang, il le sera. Mais je refuse de laisser les petits rats s'échapper de l'île pour vendre leurs frères et soeurs à des créatures dénuées d'humanité.

Cecil savait que Divine avait perdu un être aimé.

Tu ne veux plus être mise en laisse.

Et il en avait assez d'être forcé de devoir tous les contrôler : il espérait qu'on aille enfin dans son sens sans qu'il ait besoin de forcer.

Et je ne recherche aucun chien fou à mettre en collier. Ce à quoi j'aspire, c'est une paix durable pour Nausikaa.

Et peut-être qu'il ne sera plus là quand elle arrivera ;
tant mieux !
Après tout, il était fils de la guerre, pas fils de la paix. Il était important d'être honnête à ce sujet.

Mais nous ne l'obtiendrons pas en repoussant inévitablement la guerre, encore et encore !

Pour la première fois depuis le début de leur échange, Cecil avait mis à nu une de ses émotions les plus primaires. Il avait l'air plus humain, moins divin.

Cecil ressentit un frisson parcourir le long de sa colonne vertébrale. Il lui semblait que tout ses os vibraient de la même colère que Divine ; il avait des difficultés à masquer ses émotions, bien qu'il en restait indubitablement le maitre. Il voyait une nouvelle ère se dessiner à l'huile derrière elle, comme s'il avait été momentanément doté d'un troisième oeil. La peinture se figea en tableau absurde ; une nature morte, figée dans le sang et les larmes. Les protagonistes pleuraient tous de joie - la guerre est là, la guerre est là !

À la réponse de Divine sur la laisse, Cecil arqua un sourcil durant plusieurs secondes. Elle eut au moins le mérite de lui arracher un rire cristallin, dont les notes firent penser à un rire d'enfant. Il avait les joues un peu roses et le regard clair. Pour une fois, il n'eut pas besoin de recourir à la fausse flatterie pour détourner l'attention de son ennemi : il le pensait.

Tu es la seule personne que j'admirais, petit.

Même David ne lui arrivait pas à la cheville, selon lui. Mais Cecil n'était plus petit - sauf face à elle, sûrement - et ses rêves de grandeur étaient sur le point de se concrétiser. Ce qu'il désirait ardemment, ce n'était pas tant une alliée qu'une partenaire. Sur le champ de bataille, Cecil mourrait d'envie de se jauger lui même face à une telle adversaire ; mais il avait le recul nécessaire pour admettre la grande probabilité d'une défaite. Il se battrait jusqu'à la mort, et quelle mort grandiloquente que d'être compressé par une force de la nature comme elle.

Tu es d'un pessimisme poncif, ma chère. Mais ce sont des mots qui te vont bien, j'en prends note.

Cecil se souviendra. Il se souvenait toujours de tout - à son grand avantage.

Le conseil a refusé de voter ma proposition de surveillance accrue. Ils préfèrent laisser aux demi-dieux la possibilité de trahir Nausikaa et de guider les monstres vers nos semblables sans lever le petit doigt.

Cecil baissa les yeux pour la première fois. Ce n'était pas tant par faiblesse d'âme que par formalité.

La milice doit prendre son indépendance. Je ne te demanderai pas de servir les Olympiens. Mais elle ne doit plus dépendre des Spartes. Nous devrions créer notre propre camp - celui qui se bat, qui traque, débusque et agit.

Pendant un instant, Cecil fut projeté hors du temps. Il ne riait plus, ne souriait plus comme à son insupprtable habitude - il attendait, la mine assombrie par le poids des responsabilités, que Divine soit disposée à prendre les siennes. Ce n'était pas de son ressort que Divine soit à la hauteur de celle qu'elle fut ; il était persuadé qu'elle n'avait jamais vraiment chuté, mais que tout colosse finissait par se faire de l'ombre à un moment donné. Cecil fut happé par le mouvement massif de ses cheveux rejetés brusquement vers l'arrière. Cette femme n'avait rien de féminin ; elle était différente d'Arden ou Sinistra. Elle était mû par l'art féroce du combat, c'était ça qui l'attirait.

La leçon de morale eut l'effet d'une gifle cinglante et désagréable. En bon adolescent orgueilleux, Cecil fut heurté - à hauteur de sa propre sagesse, qui tenta tant bien que mal de réfréner ses élans de violence. Il étira un sourire crispé et hocha la tête. Cecil s'interdisait de rêver au jour où il pourrait lui renvoyer son conseil. Ils seraient peut-être déjà tous morts d'ici là.

J'accepte.
Le regard de Cecil s'illumina d'une satisfaction difficilement mesurable, tant il contrôlait ses réactions avec minutie. Divine était raisonnable et lui était ravi.

Je viendrai, sois-en sûre.

Flaté d'être invité à un tel événement, il ne manquerait pour rien au monde les réactions de Seraph et des autres Spartes à une telle annonce. Sûrement même qu'il léverait son verre pour célébrer !

J'aiderai la milice du mieux que je peux ; je leur fournirai moyens, sécurité et légitimité. Mais pour ça...

Il semblait lui même déçu de cette conclusion, mais elle était la plus logique.

Je dois rester pour l'instant chez les Olympiens. Ce sont eux qui détiennent le pouvoir executif sur l'île et me les mettre à dos ne nous avantagera pas du tout. Mais je réfléchis à d'autres opportunités...

Divine n'était pas naive ; elle devait se douter que Cecil tournerait le dos à ses camarades avant même qu'ils ne se rendent compte être en train de couler. Il voulait être maitre de son destin.

M'avoir dans leurs rangs vous permettra d'avoir l'appui de l'autorité. Je serai fidèle à nos valeurs.

Il avait déjà trop donné à ces usurpateurs.

Un espion - il aime ce titre, il aime cette cape mystérieuse qui le tord malgré lui à des desseins plus sophistiqués. Il hoche la tête, confirme cette analyse qui lui sied bien. Cecil n'a aucun avantage à mentir ou trahir Divine, il a besoin d'elle et il s'assurera qu'elle lui fasse confiance. Parce que tout est une question de confiance. Les actions concrètes seront un cadeau qu'ils se feront en temps voulus.

A t'offrir ?

Cecil fronce les sourcils. Il n'avait pas prévu d'offrir quoi que ce soit pour l'instant - les garantis de plusieurs présents plus tard. Il caresse le manche de l'épée attachée à sa ceinture, concentré. Le mouvement n'est pas menaçant, il sert simplement à le rassurer - à le raccrocher à la réalité.

Les allégations portées par sa fratrie ont toujours puisé dans une source de vérité ; mais ce serait jouer leur jeu que de nier, tout comme ce serait faible d'avouer. Cecil préfère entretenir le doute et en tirer les bénéfices des deux côtés : la soumission par la crainte et le respect par méfiance.

J'aurai pu t'offrir ma vie Divine, mais je ne suis pas encore prêt à la perdre. Disons que je peux te la faire à crédit.

Il étire un sourire et dégaine son épée dans un bruit de frottement métalique délicieux. Il pose un genoux à terre. Cecil était protocolaire ; elle aussi. Elle respecterait son geste.

Je te prête serment. Ma malice sera à ton service ; je ne l'utiliserai que pour tromper nos ennemis.

Et la lame plantée dans le sol, droite, ne tremble pas lorsqu'il y passe sa paume - se la tranchant proprement, suffisamment pour faire couler le sang.

Il allait gagner.