le grain de peau est lissé, les quelques rides que les années ont gravées sur ton visage ont plié bagage — tu voulais l’âge insolent, celui où tu avais été teigneux mais séduisant, tout en gardant ta carrure d’homme mûr. savant mélange de jeune audacieux à l’aspect mature.

tu ignorais simplement quel alexander elle pourrait-elle aimer le plus — sachant pertinemment mais en gardant silencieux l’aveu qu’elle n’en aimerait probablement jamais aucun.

thétis incarnait l’apogée de ton amour le plus intense : d’une puissante profondeur, capable de t’achever ! elle a droit de vie et de mort sur ton âme, tu lui avais donné toutes les armes, sans un soupçon de regret. mais tu ne savais toujours pas, et cela malgré les années et les échecs de tes louanges à son égard, comment aspirer à un brin d’équivalence, ou même tout bêtement à un regard un tant soit peu amoureux. rien. thétis n’avait pour toi que l’amertume qu’elle a pour le monde. peut-être, si tu osais l’exprimer, un peu de considération maternelle. c’est tout ce que tu ressens d’elle quand ses yeux divins se perdent à remarquer ta putride présence.

tu n’as rien arrangé à la décoration morbide qui fait ton honneur, si ce n’est ajouté bon nombre de bougies allumées pour laisser se répandre une chaleur qui vous est étrangère à tous les deux. la table est dressée, le vin est servi, les chaises, indiscrètes, n’attendent plus que de recevoir vos conversations.

aujourd’hui tu as sollicité sa venue, murmurant un prétexte honteux, pour qu’elle te rejoigne en ta demeure. voilà pourquoi tu te voulais particulièrement beau — et pas trop amoché par la fatigue, les oublis, le temps.

et voilà qu’elle arrive. tu tires sur tes joues avec la paume de tes mains jusqu’à entraîner tes cheveux en arrière ; elle a simplement toqué à la porte et tu te vois déjà gravir une montagne de cadavres pour déposer une unique bise sur le coin de ses lèvres — mais crève, alexander. tu es déjà chanceux de respirer le même air. tu ouvres la porte, la dévore comme tu dévores les morts. si l’amour avait un visage il serait le sien et s’il avait un goût, eh bien, tu connais déjà les saveurs du cœur.

« entre, je t’en prie. »

tu espères qu’elle te trouve beau, qu’elle ne s’offusque pas de cette ambiance mélodramatique qui ne vous sied guère, que l’idée d’un dîner aux chandelles n’est pas incompatible avec toutes les discussions du monde. oh dieu tu ne veux pas qu’elle parte et quand cette pensée te traverse tu t’imagines déjà saisir ses poignets pour la forcer à rester là.

c’est que tu deviens fou à l’idée qu’elle puisse décamper.

« ne t'énerve pas. » pourtant tu souris, tu sais qu’elle aperçoit derrière toi les bougies allumées. t’es complètement fou. « tu es aussi belle qu’au premier jour » absolument fou. « reste manger, pendant qu’on parle. »

son charme n’a d'égal que sa froideur, pourtant tu fonds d’amour quand ses mots te frappent de leur gel.

tu restes face à la porte que tu refermes doucement, une main sur la poignée, la seconde sur la clé, que tu verrouilles, d’une lenteur maladive. thetis fait d’ici sa demeure, et de son verbe tendre mais le timbre rêche, tu te sens insulté même quand elle prétend reconnaître ta fraîcheur ; mais qui saurait t’insulter avec pareille élégance ?

« tu es terrible de parler de moi ainsi… »

pauvre homme dont la vie n’est rien, pourtant quand sa voix répand ton nom tu te sens objet de sa possession. enfin tu la rejoins, prenant place à côté d’elle — tu n’aimes pas les face-à-face désuets — sans pour autant te tourner vers sa majesté ; tu te contentes simplement de prendre l’un de trois verres de vin servi pour t’en abreuver, sans trinquer.

« je parlais du jour où tu m’as sauvé. les autres n’ont aucune importance. on finira tous par mourir. » tu souris, fugacement, presque impatient à cause de ta curiosité. mais thetis n’est surement pas enchantée qu’il lui faille un jour une fin ? elle a l’air si occupée à longueur de temps, comme si l'éternité ne suffirait pas à assouvir son aphasique rage. « alexander louis anderson. si tu veux correctement me nommer le jour où tu me tueras ; tu pourras dire alexander louis anderson. » tu inspires, comme pour revivre après le courage qu’il t’avait fallu pour la reprendre sur la correction de ton identité. « tu aimes, la table, l’ambiance ? je voulais que tu te sentes aimée en mettant les pieds ici. » tu étouffes un rire dans ta bouche, ne laisse que tes lèvres et un soupir te trahir. « je peux ajouter tout et n’importe quoi, tu me dis, en tant que fidèle esclave de tes commandements c'est le moins que je puisse faire. » comment l’ignorer, avec tes mains ensanglantées ardemment bien lavées. tu piques dans un bol une pistache que tu fais rouler entre tes doigts, le regard préoccupé. « si je vis, c’est pour toi, après tout. »

terrible. mais tu l’aimes ainsi : morose et terne, amie de la mort sans jamais s’en amuser. même ses sourires n’ont rien de beaux : ils annoncent, maladroits, une mélancolie qui toujours te sera étrangère.

« c’est pour hébé. » quand bien même elle ne vient jamais — peut-être se doute-t-elle que tu veuilles l'attraper par les cheveux pour la traîner sur des kilomètres. sinon pourquoi ne se présente-t-elle jamais ? un coup d’oeil blasé sur ce verre toujours gâché et tu continues à consumer le tien.

quand elle se fige tu lui donnes ton attention, observant son visage sont tu ne saurais te lasser avant de constater que sa main ne parvient pas à conclure son geste. tu ne fais point de remarque mais l’aide à saisir le verre, l'approchant de ses doigts fins jusqu'à ce qu’il effleure l’intérieur de ses phalanges.

« je ne sais pas. je ne connais pas mes parents. » tu voudrais fondre tes lèvres dans son cou, lui narrer l'étendue de ta détresse et énumérer tous les malheurs qui t’ont rendu sauvageon mais comment oser s’approcher d’un danger si mortel ?

t'es paupières sont lourdes et tu te penches simplement, assez pour t’imaginer agir selon ton fantasme mais tu te stoppe toi aussi dans ton élan, pour ne pas t’attirer les foudres de ta déesse. un murmure t’échappe, mélange de supplice et bonheur d’être là sans pouvoir la toucher comme ta chose… tu souffles, reprenant une gorgée de vin pour noyer ta peine.

« mon père m’a abandonné et ma mère attend probablement de recueillir mon dernier souffle. comme le reste de la famille… tu n’aimes pas ? je répondrais à tous les noms pour toi. alexander. alex. al. machin. même un sifflement… je le jure thetis pour un simple grognement j’accours baiser tes mains tes lèvres tes cuisses et tes seins… mais tu n’en as pas envie. » tu avales enfin la pistache qui occupait ta seconde main. « je peux toujours t’imaginer moins sévère avec moi durant la nuit. » tu hausses des épaules, regardant en face de toi. « il n’y a qu'en dormant que je suis libre… tu ne penses pas pareil, mon ange ? »

sûrement pas. il ne doit exister aucune once de liberté pour une âme aussi tourmentée.

thetis renforce la critique, ajoute un défaut qui t’appartient aussi à ce père dont tu ne connais rien. il est désormais un lâche et un incapable : un homme si bien dépeint tu croirais presque que les femmes ont toutes raisons de vous haïr… et tu ne dirais le contraire à thetis.

pourtant c’est à cause de ton verbe que s'enlaidit la femme de ta vie, et tu saurais n’en être plus fier. comment s’en vouloir d’avoir un impact tel qu’il est impossible à cacher, quand tu peines à lui arracher un mot tendre qui puisse être sincère ? thetis ne dit pas qu’elle t’aime — car elle ne t’aimera jamais, mais elle sait te montrer comme tu répugnes, les divins comme les mortels.

la tempête passée (penses-tu) tu détends tes épaules, crispées par ton inconscient — tu ne sais pas trop quand. à son arrivée ? à sa peau qui verdit ? à la menace de ta mort ?

tu l’observes, plus attentif qu’amoureux à présent. elle décrit une tragédie sanglante et tu prends conscience que tu n'espérais pas souffrir en rendant ton dernier souffle. mourir était toujours aussi drôle, alexander ? tu passes la paume de ta main sur ta joue, frotte ton oeil au passage, balayant si c’était possible le doute qui te rend vulnérable.

moins concentré sur la beauté de ton corps tu vieillis doucement, les ridules se creusant malgré tes efforts ; quand thetis est avec toi tu penses tant à elle que tu t’oublies — qu’elle ironie, pour un homme qui n’a plus toute sa tête !

« alors je dois mourir pour une étreinte ? quelle chance j’ai, d’avoir deux vies. » mais t’entendre le dire te fait t’esclaffer de rire. toi, profiter d’une rédemption ? tu es convaincu qu’hebe te l’interdirait. tes doigts viennent fixer tes lèvres pour calmer ton bonheur, et tu te fonds un peu dans ta chaise, la tête en arrière pour mieux observer la divine, les yeux levés vers elle et tu aimes cette perspective. tu joins les mains, tombantes sur ton bassin. l’amour est revenu, la curiosité s’en est allée.

« tu crois que si je capture un oracle, j’en apprendrai plus, sur nous ? et si je le torture, puis-je influencer le destin ? faut-il que je kidnappe hécate elle-même pour espérer lier nos deux chemins ? ça te fatigue, cette obsession qui m’accroche à toi ? ô si tu savais la retenue que j’ai, quand tu es avec moi. j'acquiesce, les hommes ne sont que des insectes insignifiants, mais je n’en pense pas un mot. je tuerai ma propre famille si tu me le suggérait. je mettrais à feu et à sang cette île qui me torture si tu estimais l’idée juste sympathique… tu existes et je ne peux que penser à tout ce dont je suis capable pour toi. c’est une torture, tu sais ? que tu es terrible avec moi thetis. j’adore ça. c'est ça qui me tuera... et tu as raison, c'est violent. »

tu t’approches, obéissant. il n’existe aucun ordre auquel tu ne te plierais pas s’il provient des lèvres de thetis. et si vulnérable tu t’imagines déjà mourir en héros pour elle, quand bien même elle ne saurait te voir autrement que comme un misérable parmi les misérables — un homme.

mais quelle torture embrasser, alors, si ce n'est pas la mort lente et sans chaleur que l’univers lui avait promis ? il l’observe, silencieux, laisse le chant de thetis bercer le torrent de ses douleurs, car il espère pouvoir embrasser tout ce qu’elle lui supposait d’embrasser : de la plus horrible des peines à ses présupposées délectables lèvres. pourtant il ne comprend pas.

il l'a redécouvre à chacune de ses présence comme on rencontre pour la première fois le feu : avec curiosité, douleur, puis désir. et chaque nouvelle venue est un renouveau toujours plus amer. Parce que chaque fois il souffre un peu plus, l’aime toujours plus, et la désire encore plus. et quand elle le quitte il est mort (tant de fois) parce qu’il n’a pas dompté le brasier, et quand elle le retrouve il est bête car il a oublié les brûlures.

Et son contact, aqueux, pourtant laisse une cicatrice au martyr qui ne saura se rappeler

« tu m'aimes. c’est déjà plus que ce qu’on m’ait jamais donné. »

et elle le sait. elle t’a trouvé enfant meurtri, t’a emmené ici pour souffrir moins mais souffrir encore et elle te voit, désormais, adulte qui traîne trop de rancœur pour la taille de son corps. de désespoir alexander tu avais développé la surprenante capacité a en développer bien plus que de raison mais à toujours le contenir dans ta folie. et quand cela éclatera-t-il ? peut être restait-elle dans ta vie pour observer ta puissante destruction. peut-être s’était-t-elle faite la mission de ramasser tes poussières.

« ce jour n’arrivera probablement pas de mon vivant à moins que je sois celui qui renverse l’ordre de ce monde… ou bien dois-je te capturer, te faire croire que tout cela s’est passé et qu’à présent tu m’appartiens. » tu souris, triste mais conscient que ce chagrin te ronge sans réussir à te tuer. « mais comment pourrais-je. » tu ne t’imagines pas poser un doigt sur son corps sacré, rampant lamentablement mais avec servitude pour qu’elle t'offre elle, de son plein gré, une étreinte – même désagréable. tu trouves dans sa main poisseuse de la douceur, dans ses yeux méchants de la tendresse, dans son désarroi de l’amour amoureux le romantisme parfait. « je n'ai pas prévu de vivre heureux tant que tu ne t’offres pas à moi et j’ai trouvé bien assez de confort dans la désillusion pour accepter ce fardeau. je découpe des corps, je digère leurs entrailles et je décore avec leur carcasse. voilà ma punition pour t’aimer sans être aimé pareillement. ils me puniront aussi les autres un jour, quand je ne serai plus le plus malin et qui sait ; peut-être m’aideras-tu à m’en sortir ou peut-être vais-je mourir ainsi. qu’importe. tu as promis d’enlacer ma première mort quoi qu’il arrive. au final tout me ramène inéluctablement à toi et c’est la preuve que je t’aime. »

tu cesses de la détailler comme le plus précieux des trésors pour t’abvreuver par ta main libre du verre disposé pour hébé. à la santé de ta mère tu avoues tes crimes, le cœur en feu pour une femme qui ne te désire pas, si peu inquiet pour la fin parce qu'elle ne saurait être plus parfaite qu’à cet instant là.

« as tu déjà aimer, thetis ? autrement que comme une mère. as tu déjà rencontré quelqu'un qui te renverse l’estomac, te brouille les pensées, te torture le cœur si fort et avec tant de violence que tu te dises, je veux que cette personne ne cesse jamais car l’absence de cette peine serait une bien pire torture alors ? »

tu tournes lentement ta main pour que vos paumes se rencontrent et que ses doigts hésitent à entrelacer les tiens, qui eux, initient l’acte.

« et penses-tu que moi, je puisse un jour aimer comme un père ? »

le penses-tu vraiment, alexander ? elle te le demande et tu t’imagines aimé — alors tu sais que ça ne t’es jamais arrivé vraiment. même cette affection partielle que thetis semble consentir à te léguer (surement pour que tu cesses de demander) ; ça n’a qu’un goût amer. car personne ne saura un jour
t’aimer.

tu es le diable en personne, luttant timidement (personne ne doit le soupçonner) à embrasser la bonté qui te rendrait désirable mais comment, comment ! qui se laisserait séduire par un homme capable de tuer ! elles se méfient toutes ! elles ne veulent pas toucher la peau d’un meurtrier ! elle ne veulent pas embrasser des lèvres qui mentent, ne veulent pas se perdre dans des yeux qui prévoient la mort !

monstrueux, et féroce. passionné, par trop de ferveur. tu inspires en l’écoutant peindre le portrait du malin, tout en lui délivrant tout l’amour qu’un cœur même un peu mort est capable de donner.

« tu trouves ça bête. que je puisse avoir envie que tu m’aimes. » murmure-tu. tu voudrais quitter sa compagnie, errer dans l’appartement en respirant le même air qu’elle dans un silence de plomb. tu crains maintenant qu’à trop parler tu ne finisses trop blessé — c’est qu’à ses côtés tu deviens sensible, comme le petit garçon qu’elle avait un jour récupéré au pied d’un immeuble.

ce même gavroche qui n'avait pas de patience.

tu te redresses, guidé par ses paroles maternelle et par cette main qui t’appelle, rapprochant ta chaise de la sienne. tu prends dans tes paumes les siennes, tourne tes genoux pour qu’ils rencontrent les siens.

thetis est tantôt belle tantôt laide mais toujours le reflet de ses émotions et c’est en cela que tu y trouves une beauté qu’aucune femme ne saurait imiter. alors toi aussi la sincérité te rend difforme, tant tu étais imprégné d’amour pour à la fin de ton discours n’être gouverné que par l'orgueil.

« thetis bon dieu aime moi par pitié ; je me contre fou de ma mère. elle ne viendra pas ; elle n’est jamais venue quand je l’ai appelé. n’y pense pas. concentre toi. sur moi. je ne suis pas ton fils. tu ne me sauveras pas de la mort, et je ne crèverai pas plus vite parce que tu m’aimes. je ne veux pas être un homme qui t’oblige mais je ne saurai pas être un homme qui t’attend. rejette moi et je trouverai la façon de te mettre en cage. qui pourrait t’aimer aussi assidûment que moi ! il n’y a que ça qui te manque ! »

tu serres tes mains sur les siennes, comme un naufragé s'agrippe à son radeau et tu essayes de la tirer, qu'elle se penche et s'abandonne à toi.

« je n’ai pas besoin d’une mère je n’en ai jamais eu ; ce que je veux c’est une femme, et je te veux toi. »

tu râles comme un enfant qui fait son caprice et thetis l'entend sans te maudir — comment ne pas l’aimer d’avantage à chaque seconde qui s’écoule ? tu ne le sauras jamais !

tu t’effondres, le dos voûté, ton front sur les genoux où tu tenais toujours ses mains prisonnières. elle mentionne la dure notion de respect et tout ce que cela t’inspire c’est l’affection acharnée que tu ne sais contenir. tes joues se frottent au dos de ses mains : tu ne saurais mieux expliquer ce qui t’empêche d’être galant quand ta passion est aussi débordante.

puis tu te redresses. thetis pose une question, tu n’oserais lui répondre sans la regarder : c’est cela, le respect aussi, non ?

elle dit alex, tu relèves doucement ton buste, fais découvrir ton air boudeur. ton sourire renversé ne fait que s’affaisser tes joues sans vieillir ton visage, mais il ne suffit que de quelques mots pour que tout change ;

« équilibre universel… » souffle tu, défformé désormais par une grimace — une sorte de rire succinct qui ne mérite pas de se faire remarquer. jamais n’avais-tu eu la moindre démonstration d’une quelconque balance : tu étais même convaincu que tous les malheurs du monde ne traçaient leur route que pour se lier à ton parcours. « si c’est mon cœur qui répond je dirai que ta vie vaut toutes celles du monde. si c’est la raison ; alors, j’hésite. peut-être cent, peut-être juste une. mais tu es mature ; une seule suffirait je pense, les autres ne seraient que pure vengeance. il faudrait que je tue celui t’a définitivement coupé du bonheur. tu portes ses mains à ton visage, qu’elle effleure ta mâchoire pour reposer ses paumes contre ton cœur famélique. « par contre je ne veux pas acheter ta vie thetis, je te veux toi, vivante, aimante, pleine, entière. pas le cadavre de celle qui jadis eut aimé, même timidement. mais si je dois tuer une ou cent personnes pour que tu t’accordes la douleur savoureuse de l’amour, soit. ta folie est ma folie. j’ai trop longtemps attendu que l’on me laisse une chance, qu’on me félicite d’être bon. j’en n’ai plus rien à foutre, si tu savais. j’ai hâte qu’on m’attrape avec le sang de tes ennemis dans la bouche. »

ses lèvres laissent un voile d’iode sur les tiennes, puis ta langue se fait vague et elle balaye le sel qui s’était posé sur ta bouche. voilà la miette d’un amour dont elle ne t’offrira jamais le buffet, mais t’en contenter ne pourra sustenter le gouffre

béant

qu’a provoqué cette faim que tu as pour elle.

tes mains sur sa mâchoire alors que tu la dévores de baiser, découvrir son corps sous ton toucher sans laisser à la pudeur le moindre secret, t'immiscer en elle de toutes les façons ; charnelle et spirituelle, par une brutalité pure capable d’anéantir à jamais cette sensation de manque qui t’a rendu si avare d’elle

mais tout ça tu l’imagines simplement sans oser bouger. comment pourrais-tu oser ?

elle t’a condamné à une vie d'acharnement qui sera ton naufrage, et tu dois lui sourire, affirmer sans peur que tu sauras nager sans peine dans l’océan d’épreuves qu’elle prépare contre ton audace.

mais tu as peur. qu’un jour la patience te trompe, que tes doigts attrapent la crinière de la néréide pour la contraindre à ton existence — à votre existence.

il y aura un jour, probablement celui de ta mort ; où tu ne pourras plus tuer l’homme. alors il faudra tuer la femme.

« cent… »

pas moins, peut-être plus ; tu bois ses paroles (elles ont un goût amer) mais tu ne les digères pas. thetis est forte ! elle ne fait que tendre la corde, et toi tu n’as plus pied depuis longtemps. ce n'est pas pour rien que tu as toujours été pendu à son cou.

« va-t-en thetis… » te plains-tu. tu n'as pas envie qu’elle s’en aille. alors tu te lèves ; c’est toi qui pars. tu déambules dans la pièce, ta respiration bruyante meublant le silence que tes pas lourds instaurent, puis tu reprends, avec la voix éprise d’une peine qui voudrait renier la colère : en vain. « tu me traites comme un enfant mais tu attends de moi que j’agisse en adulte ? » soupire après une grosse inspiration, tu lèves les yeux. c’est dur de retenir tout le désespoir qui t’as élevé en tyran. « si je n’écoutais que moi, oh, tu sais ! j’te garderai ici, j’te clouerai au mur même, tu ferais partie de la bâtisse ! » tu restes figé un instant, dos à elle, puis ton pied se lance pour taper dans le meuble qui te fait face. la morbide décoration subit un tremblement, rien ne se renverse… mais toi tu es sans dessus-dessous. tu as comme, mal aux doigts ? tu serres les poings pour les retenir, car tu sais comme ils sont happés par elle. « qu’est ce que j’ai fait pour que personne ne m’aime ? » ton père a préféré l’abandon, ta mère a choisi l’ignorance, et toutes les autres âmes ne croient que les rumeurs pourtant jamais ils n’ont vu de sang sur ta figure. c’est indécent, pas vrai alexander ? d'être confondu pour le diable simplement parce que tu lui ressembles.

si encore ils savaient, tu comprendrais.

tu tapes sur la table, le regard furieux sur sa silhouette merveilleuse. tes yeux hurlent leur amour mais ta voix ne traduit que la rancœur. cinq minutes de plus à l’aimer sans pudeur et tu sais que tu lui arrachera le cœur.

« pars thetis, pars. cinq minutes de plus avec toi, maintenant, et j’essaye de te tordre le cou pour que tu ne m’échappes jamais ! je suis fatigué de devoir me prouver ! tu ne m’aimeras pas ce soir, tant pis, tu m’aimeras demain ! »

ému tu tires en arrière les cheveux qui tombent sur ton front par une main, alors plus une mèche ne pouvait cacher la douleur qui déformait ton visage amoureux.

ah. elle te rend fou. et tu ne sais pas te passer d’elle. plus de vingt ans que tu l’aimes sans être capable de lui plaire — et ça ne prendra jamais fin. tu crèveras avant qu’elle ne te cède.

elle défend son honneur, habille joliment ses arguments dans de petite tirades pour justifier son caractère pédant, s’érige telle la déesse que tu la laisses être à tes yeux amoureux. rien n’est vrai mais tu t’interdis de lui dire qu’elle se trompe, à la place

tu rêves.

ça ne dure que quelques secondes mais tu t’imagines te ruer sur elle, la main fourrée dans sa bouche : là elle ne dirait plus rien. tu lui arracherais les yeux oh elle saura vivre sans et sa beauté ne réside pas seulement dans ses iris merveilleux ; qu’importe. ses épaules si délicieuses tu les déboiterais, ses bras : cassés, ses jambes, pareilles ; bref, léthargique.

mais tu n’oses pas la toucher. l’entendre te dicter ses ordres et ses contraintes que tu ne pourras jamais contenter est un fait mais imaginer qu’elle puisse te repousser serait la pire peine qui signerait ta mort.

tu grimaces simplement, sur la mélodie de ses mots qui t’agressent et tu te répètes, calmement, « arrête, arrête, arrête… », comme si ces chuchotements pouvaient étouffer sa voix que tu veux entendre tandis que tu tournes en rond au rythme de sa cadence.

quand tu discernes (et tu as essayé de ne pas l’écouter mais elle a un timbre si divin) sa question, sa stupide, question.

terni par l’incompréhension tes traits se froncent, tu la dévisages, les lèvres entrouvertes s’apprêtent à gerber toute tes vérités ;

mais pas sans agir, non, tu n’arrives plus à tout contenir dans ta carcasse. tes pas te guident directement à elle, jetant la chaise qui avait été la tienne mais elle te bloque d’elle ! tu dois regarder dans ses iris le reflet de ta rage, tu veux vomir tous tes mots dans sa bouche, qu’elle s’en étouffe ! alors c’est normal, de foncer sur elle comme un animal, d’effleurer ses divines merveilleuses oh si jolies petites épaules avec tes mains crispées qui finalement ne trouveront un support que sur le dossier de l’assise qui la tient.

« ce que je préfère ? ce que j’préfère ! qu’tu m’aimes vraiment ou pas tu crois qu’j’en ai quelque chose à faire, là, maintenant ? je ne sais même pas ce que ça fait ! d’être aimé, putain, thetis ! tu crois que je m’en rendrais compte, de si c’est faux ? tu crois que ça me ferait du mal tant que je peux me blottir contre toi le visage entre tes seins pour ne pas voir la comédie dans tes yeux ! je dois tuer ! cent hommes ! j’ignore qui, j’ignore pourquoi, j’ignore même si ça suffira ! tu dis qu’tu vas essayer d’toute façon, pas que tu y parviendras, pas que t’as envie d’y parvenir ! je dois me battre et crever pour une possibilité qui ne naîtra pas ! parce que tu veux PAS, thetis, tu n’veux PLUS ! ENFANTER ! QUOI QUE CE SOIT ! NOTRE amour. NOTRE avenir. NOTRE bonheur. ça t’es égal ! tu veux que je fasse des choses pour TOI, et moi je veux que tu m’appartiennes pour MOI ! »

la bile dans ta gorge s’estompe mais ta colère a encore besoin d’être expiée ; alors tu frappes quatre phalanges contre la table et la douleur te paralyse quelque seconde le bras, si bien que tu le secoues, grimace, laisse s’échapper un hurlement de douleur alors que tu t’éloignes, tenant ta main en douleur dans la paume de l’autre.

« ARG ! MERDE thetis ! je t’aime putain ! si je suis maudit toi tu es déjà morte sans le savoir, saleté de nymphe ! et y'aura jamais QUE moi pour t'aimer ! »

dans la cage de ses bras (thetis emporte toujours toutes les batailles), elle commande le silence de ta colère.

tu ne pourrais plus hurler car elle l’a interdit. aller à l’encontre de ce qu’elle veut — tu veux toujours marchander ou montrer ton mécontentement, mais jamais désobéir. tu observes l’horizon de ton appartement, celui que l’on saccage à la moindre contrariété, celui que tu répares inlassablement pour accueillir les prochains éclats de rage… tu aperçois à travers la tristesse désabusée de ton regard la chaise que tu as jeté, le meuble dans lequel tu as tapé. de l’autre côté il y a d’autres vestiges de ta hargne ; toujours remis droit debout. comme tout. comme toi.

il y a inévitablement un temps où tu dois te briser ; ce n’est que comme cela que l'on répare mieux les âmes cassées. dans ses bras le contact est presque dégoûtant mais tu la tiendrais contre toi même si elle était morte et couverte de sang. rien ne peut t'empêcher d’aimer le moindre cadeau d’amour qu’elle te fait ; qu’il soit vrai ou non.

c'est dur de croire qu’il y a une minute à peine tu voulais la démembrer pour qu’elle ne te conteste plus même dans un souffle. à présent tu veux la couver dans coton et tendresse, embrasser sa peau ragoûtante avec envie.


« je t’aime… » murmures-tu en cachant honteusement ton visage dans son cou et ses cheveux. il n’y a aucune chaleur dans son étreinte mais tu sais te contenter des mers gelées, tu n’as pas peur de l’inconfort, tu as déjà décidé que tu aimais les morts. « je t’aime… » ressasses tu sans t’en fatiguer, tes bras glissants contre elle pour mieux la tenir contre toi avec l’envie contenue de l’étouffer par ton amour. « je t’aime… » brûlé de passion tu fonds contre elle, terminant à ses pieds tu ne tiens contre toi plus que ses jambes que tu embrasses en priant encore ; « je t’aime, je t’aime, je t’aime… » sachant pertinemment que cela ne suffira jamais.

il n'existe plus que le déni pour t’autoriser à la garder dans ta misérable vie. tu acceptes, tu ne sais faire que ça quand il s’agit d’elle ; mais tu acceptes de mourir pour ses désirs sans jamais exaucer les tiens.

il n'existe pas de monde où thetis saurait répondre les mots qui te feraient trembler, mais il existe ce monde ci, ou elle t’enlace même si ce n’est que pour refroidir tes ardeurs. tu sauras t’en contenter — ce soir.

le sommeil vient toujours laver ta conscience de la moindre raison et à la prochaine aurore tu seras redevenu ce fou rongé par la passion.

et c’est ainsi que tu te préfères. fou.

« tu m’assassines, si lentement, si bien même qu’après toutes ces années j’ai appris à aimer la violence de ton rejet, autant que je t’aime toi. je suis désolé. je ferais tout. je n’existe que pour toi. tu m’as sauvé, c’est normal que je ne désire que toi, pas vrai ? » tes joues rougissent à force de se frotter à ses cuisses. « reste pour la nuit... tiens moi dans tes bras jusqu’à demain... s’il te plaît s’il te plaît s’il te plaît thetis. »