Naissance Thetis naît d’une forme parfaite, s’écoule des cuisses de l’océanide comme un poisson visqueux ; aux écailles merveilleuses et à la chevelure sombre - crachée sur un rocher poli par le sel de la mer. Thetis n’est pas la première et loin d’être la dernière mais elle sera celle dont l’histoire a le plus retenu. À peine vivante à fixer le ciel que les Dieux la convoitent déjà, l’enfant s’échappe dans les vagues, jusqu’à ce qu’elle soit repêchée de la mer par les grandes mains de la Mère. Hera l’avait choisi et s’était servi, comme elle le faisait avec toutes les créatures au destin funeste.

Enfance Elle grandit aux côtés de la déesse, sur l’Olympe. Mais l’Océan lui manque et viennent déjà les courtisans. On prédit à Thetis un fils plus fort que son père. Zeus et Poséidon grincent des dents. Ils la voulaient, crevaient de se loger entre ses cuisses et de cajoler sa beauté - mais craignent désormais de ce qui pourrait en ressortir. Thetis est rejetée à l’eau, dans l’attente d’un mari qui ne leur ferait pas de l’ombre.

Mariage La Néréide maudit les Dieux de son courroux. Qu’on ne l’y prenne pas, elle ne se soumettra pas. Qu’ils essaient seulement de la maîtriser, elle n'aimera jamais un vulgaire mortel de son plein gré. Mariée contre sa volonté à Pélée, roi de Phthie en Thessalie ; il avait été prévenu des ruses de la Néréide, et ne devait la laisser partir sous aucun prétexte, quand bien même Thetis l’attaquait à coup de griffes, de dents, d’anneaux, de dards et de becs. Épuisée et griffée par le sable, Thetis dans l’ardoise de l’océan, y mêlant le rouge de sa virginité pour dresser un tableau édifiant : même les déesses ne peuvent rien contre la tyrannie des dieux ; car elles restent des femmes. Leur ventre est plus sacré que leur volonté.

Maternité Les Dieux la forcent à rester un an auprès de son époux. Sa défloraison étant liée aux sacrements du mariage. Elle s'acquitte de sa sentence maussade et dénuée d’émotion. Elle ne prend même plus la peine de se contorsionner pour se défaire - restant allongée muette, raide et humide comme un vieux poisson. N’offre à Pélée qu’un silence de désintérêt et sept fils, qu’elle plonge dans le feu pour les défaire de leur nature mortelle. Un seul en réchappe, sauvé par son père : Achille. Elle l’escorte aux enfers et le trempe dans le Styx, pour le rendre invulnérable. Son corps se retrouvé béni d’une protection surnaturelle, hormis le talon - par l’endroit où elle le tient - ce qui causera plus tard sa perte. Quand l’année finit de s’écouler, elle s’en retourne à la mer sans un mot et plonge du haut de la falaise pour rejoindre les bras de sa Mère.
Ne revenant sur la plage que pour visiter son fils, la chair de sa chair. Son doux Achille.

Prophétie Achille va mourir. Thetis emploie tous les moyens possibles et imaginables pour l’écarter de la guerre de Troie. Elle le met en garde, l’envoie chez Chiron puis le cache parmi les filles de Lycomède, cherche à l’éloigner de l’amour immature de Patrocle. Mais tout est vain, Achille s’en va à Troie et fait la guerre - comme les Hommes de son espèce, destiné à devenir le meilleur des grecs au prix de sa vie.

Guerre de Troie Perchée sur le pic rocheux en pleine mer d’Aulie, Thetis observe la furie des mortels. Achille le juste ne se bat pas que pour gagner ; il défend également son honneur. Face au manque cruel de celui du Roi Agamemnon. Achille boue de colère et s’enferme dans sa tente, jurant de ne plus aller au combat. Il lui implore de demander à Zeus de donner l’avantage aux Troyens. Et Zeus lui doit bien ça.

« Chante, ô déesse, le courroux du Péléide Achille,
Courroux fatal qui causa mille maux aux Achéens
Et fit descendre chez Hadès tant d'âmes valeureuses
De héros, dont les corps servirent de pâture aux chiens
Et aux oiseaux sans nombre : ainsi Zeus l'avait-il voulu. »
Zeus, dans L'Iliade.

Achille périt.
Et Thetis pleure, hurle, nettoie l’océan de ses larmes salées. Elle en veut au monde entier et surtout à elle-même. Son cœur est brisé, son corps meurtri, ses espoirs délavés. Elle adresse à son fils des mots qui ne seront recensés ni dans l'Iliade ni dans l’Histoire :

« Ma chair, ils t’ont dépouillé de ton enveloppe
Mais personne ne peut commander au soleil
D’Apollon tu as volé les merveilles
Va ! Sois libre dans les îles ; sois bienheureux
Heureux de caresser la main de Patrocle. »

(...)

âge contemporain Thetis s’est recluse dans l’Océan pendant des siècles. À force de pleurer, ses larmes ont créé un détroit. Elle a nagé loin de la Grèce et de l’Europe, attachée à l’Olympe. Les Dieux ont continué d’enfanter des héros et les héros ont continué de périr. Thetis s’efforce de les guider, mû d’une destinée tragique qu’elle s’inflige à elle-même. Les voir grandir et mourir, les uns après les autres.

Ainsi va la vie.
Ses entrailles s’en souviennent et d’entre ses jambes pleut le souvenir moite de leurs chairs.
Thetis n’enfantera plus jamais de mortels.